Du 17 mars au 11 mai 2020, Axel Sénéquier est resté confiné dans son appartement parisien. Il a mis ce temps à profit pour faire la connaissance de ses trois enfants – selon les termes de la quatrième de couverture – et écrire les 12 nouvelles qui composent ce recueil, le deuxième publié par les éditions Quadrature (après Les vrais héros ne portent pas de slip rouge). Il est aussi auteur de théâtre. Une bonne année s'est écoulée depuis et j'ai été surpris de lire avec plaisir ce recueil et d'y trouver une forme originale et utile de témoignage.
Les nouvelles sont courtes, une dizaine de pages seulement. L'auteur a l'art de mettre la musique de ses mots sur chacune d'elle avec des titres empreints de douceur et de poésie. le bruit du rêve contre la vitre, qui donne le beau titre au recueil, est formidable, mémoires d'un homme de 39 ans, malade du Covid-19 et proche de la mort. Il raconte lui-même cet étrange voyage. C'est troublant et parfaitement écrit alors même que je suis habituellement réticent aux récits de mort imminente.
On part souvent de situations et de personnages qui sont dans la norme :
– Banale dispute de couple, à première vue, dans « Les murs porteurs », un titre encore bien choisi et qui ne s'éclairera qu'après lecture de l'histoire.
– Volonté de Mathieu, artiste, de compassion et d'action pour aider à lutter contre la maladie dans « Les somnambules ».
– Pour ses enfants, Victor, employé d'une start-up, pense se transformer avantageusement en enseignant à la maison dans « le chemin de l'école ». Là, il m'a semblé reconnaître l'auteur lui-même !
– Un jeune couple parisien, Sigrid et Alex, s'échappent du confinement à Paris pour rejoindre leur maison à la campagne dans « Intégration ».
– Fashion week, mode et la youtubeuse. Cécilia est influenceuse beauté dans la nouvelle « Fashion faux pas ».
– Titouan lors de la « Crise de la quarantaine » est risk manager chez Total, un emploi classé par certaines de ses connaissances : Bullshit job.
– Milou, squatteuse dans la nouvelle intitulée « Sauvage » va, elle aussi, être touchée par le confinement.
– Pierre, retraité, s'ennuie devant sa télé, et pas seulement depuis le confinement d'ailleurs... dans « Balcons fleuris ».
– Catherine dans « Marée noire » a un riche musée intérieur. Gare à la vague !
– Valentin n'est pas bien dans son corps, il a eu son coming-out à 26 ans. C'est la « Fermentation lente ».
– Dans « Verre solitaire », trois jeunes couples bien conventionnels vont se retrouver pour un apéro zoom corsé. Adrien a encore en tête les problèmes de connexion lors du copil avec le community manager de la semaine précédente. En plus il doit se priver de trois épisodes de la série Breaking bad... le pauvre !
Axel Sénéquier nous lance habilement sur des pistes, des normes de vie – ces termes anglais en sont pour moi le symbole – qui vont se fissurer, s'éclater parfois sur la nouvelle donne s'invitant dans chaque vie avec le confinement. Un départ qui se met en place dans la précision, sa part de mystère, et qui évolue doucement vers une fin surprenante, étrange, dans des vies qui ont pris quelques virages par rapport à la droite ligne initiale tracée par une société trop sure d'elle-même (dans la nouvelle orthographe l'accent pour sûr - certain - est seulement conservé au masculin ?).
J'avoue avoir été troublé par les mots ile, diner, connaitre, fraiche... écrits, comme c'est tout à fait correct maintenant, sans ce petit chapeau sur le i. Moi, j'aime bien ce petit accent circonflexe et je conserve encore l'orthographe traditionnelle tant que la nouvelle est seulement recommandée... Je trouve que ce petit toit apporte son relief à l'île, sa saveur au dîner, son mystère à la rencontre quand on commence à se connaître... Il faudra certainement que je m'y fasse. C'est mon côté nostalgique et l'image gravée en moi de ces mots employés depuis longtemps. Est-ce que cette nouvelle orthographe, avec deux possibilités au lieu d'une, est vraiment une simplification ?
J'ai lu très vite ce recueil et adoré cette série de récits en prise avec l'actualité récente, ce qui n'était pas un mince défi pour l'auteur. Par petites touches, changements d'angles de vue, apparaissent une époque, une organisation sociale, des normes et des croyances, qu'un virus a fait vaciller.
Je remercie énormément Axel Sénéquier de m'avoir fait confiance avec cette proposition de lecture. J'ai aussi apprécié la qualité de cette édition Quadrature et son ambition de se consacrer complètement à la nouvelle de langue française. L'auteur et cette maison d'édition m'ont donné l'occasion de réfléchir à ce qui fait l'originalité des nouvelles, et dans la foulée j'ai créé une rubrique distincte sur ce blog. C'est évidemment un genre à part entière, bien loin d'un genre mineur, il suffit de voir la place des nouvelles dans l’œuvre d'écrivains tels que Gogol ou Maupassant. Ce n'était pas lui rendre hommage et même une erreur de le fondre dans la catégorie Roman. Par contre je garde pour l'instant tous les romans, de langue française et traduit de langue étrangère dans une même catégorie, pensant que la littérature n'a pas de frontières.
Je recommande la lecture de ces petits récits de confinement qui ne manquent pas de sel, ni d'humour, ni de talent d'écriture. A propos, la nouvelle orthographe, qu'en pensez-vous ?
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