Marocains, Algériens, Sénégalais, Annamites, les soldats coloniaux furent nombreux à tomber pour résister à l'offensive allemande, défendre Verdun et reprendre Douaumont durant la Première Guerre mondiale. Aziz Chouaki redonne vie à ces combattants des colonies par un va-et-vient incessant entre douceur du Maghreb et abomination des tranchées. Par le biais du conte, l'écriture déconstruit bien des certitudes sur la guerre, l'héroïsme, la dignité, la liberté. Il y est question d'un figuier magique et érudit, d'un narrateur anonyme qui vole dans les airs, des Pieds Nickelés, de bidasses en goguette, d'amour, de guerre... Mise en scène : Jean-Louis Martinelli Auteur : Aziz Chouaki Réalisation : Hélène Ricome, 2009. Interprètes : Hammou Graïa (le narrateur), Aziz Chouaki (le figuier) Enregistrement au théâtre Nanterre-Amandiers.
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Le taxi ressemble à une mosquée ambulante, effluves de musc, autocollants du FIS, Allah, versets du Coran, une cassette de prêches virulents d'Ali Benhadj explose les baffles.
Lunettes noires, chewing-gum, bedaine replète, le chauffeur peste contre les femmes sans hidjab, toutes des putes, ah bientôt tout va changer, le FIS va te nettoyer tout ça vite fait, tu vas voir.
Moussa fait mine d'acquiescer , changer les cordes du mandole, débrouiller la pompe à eau, le taxi prend la bretelle pour Ben Aknoun.
Au café du Chihab, Mouloud :
- Tu sais pourquoi nous les musulmans on n'a jamais évolué dans l'industrie ?
- Ehh, non ?!
- Parce que les chrétiens ils nous ont volé les pages techniques du Coran.
Ca a commencé par comment on écrit : hippopotame ? avec deux p après le i ? Ou après le o ? A cause de ça, se sont viandés, déballé les vieux sacs, ta soeur c'est une pute je l'ai baisée, salaud je vais te niquer ta mère tu vas voir. Le rouge, le soleil, le coup de poing, le sang. Les hommes.
Il se retrouve à Bab el Oued. Incroyable, ce que ça a changé. Poubelles, gosses, barbes, kamis, comme toute l’Algérie, format national standard.
Des nuits et des nuits j'ai rêvé d'un pays d'oranges, où langue, religion, couleurs, goûts, feraient tous le même bouquet. Celui des vraies oranges, celles d'avant. Tout le monde s'en souvient.
Un jour, j’ai pris un mètre cube de terre d’Algérie, et je l’ai analysée avec Djaffar, un copain chimiste, qui a un ordinateur. On a déduit que dans un mètre cube de terre d’Algérie il y a du sang phénicien, berbère, carthaginois, romain, vandale, arabe, turc, français, maltais, espagnol, juif, italien, yougoslave, cubain, corse, vietnamien, angolais, russe, pied-noir, harki, beur. Voilà, c’est ça, la grande famille des oranges.
(p. 48, Partie 2).
J'ai compris une chose, la civilisation musulmane est morte depuis Cordoue, Séville, Grenade. Après, ce n'est que suite de poignards derrière des tentures de velours, vizirs aux sourcils carquois, manigançant les coulisses du palais. Arabiades de tapis volants, oh, il a glissé tout seul, s'est fendu le crâne, le pauvre...
Le pays commence à plonger suavement, bordel baroque et glauque, ça devient vraiment officiellement le tiers-monde.
Quelque chose de très important vient de se casser à jamais, tout de suite, là. On vient de broyer sous nos yeux les jouets de notre enfance, six cents morts, l'innocence va désormais se traduire vice civique légal. C'est-à-dire : cercle, parfaitement carré.
Cafés populaires, gares routières, gargotes de relais, marchés aux bestiaux. Partout où je passe, chaque brin d'alfa, chaque rose des sables chante la mélancolie d'avant. Ce chant tressé d'odeurs de thym et de benjoin.