Citations de B. Traven (154)
Qu'on ne vienne pas sermonner les travailleurs sur la politesse et les bonnes mœurs quand on les emploie dans des conditions qui leur interdisent d'être polis et décents. La crasse et la sueur déteignent encore plus sur l'esprit que sur le corps.
Depuis qu'Adam s'est ennuyé au paradis, la malédiction qui consiste à ne jamais être parfaitement heureux et à toujours rechercher un bonheur plus grand s'est abattue sur les hommes.
Il est un trésor qui ne te paraît point mériter la peine d'un voyage, et qui se trouve être pourtant ce " trésor véritable " pour la recherche de quoi ta vie te semble trop courte. Le trésor étincelant auquel tu songes est exactement à l'opposé de celui-là.
On n'aime rien tant que les sentiers battus. On s'y sent en sécurité.
Aussi bas qu'il soit tombé, un homme peut toujours s'enfoncer encore ; aussi terrible que soit son clavaire, il pourrait en supporter un encore pire.
Le but de la morale, c'est de permettre aux possédants de garder ce qu'ils ont déjà et d'augmenter encore leurs possessions. La morale, c'est du beurre pour ceux à qui il manque même le pain.
Quand je vois une gigantesque statue de la liberté à l'entrée du port d'un grand pays, je n'ai pas besoin qu'on m'explique ce qu'il y a derrière. Si on se sent obligé de hurler : " Nous sommes un peuple d'hommes libres ! ", c'est uniquement pour dissimuler le fait que la liberté est déjà fichue ou qu'elle a été tellement rognée par des centaines de milliers de lois, décrets, ordonnances, directives, règlements et coups de matraque qu'il ne reste plus, pour la revendiquer, que les vociférations, les fanfares et les déesses qui la représentent.
LE VAISSEAU DES MORTS.
La biographie d'un créateur n'a absolument aucune importance. Si l'auteur ne peut être identifié par son œuvre, c'est que celle-ci, comme lui-même, ne valent rien.
L'amour n'engendre pas seulement la haine, mais aussi l'esclavage, ce qui est bien pire.
Peu de gens comprennent que la pêche est une activité qui tient de la philosophie. On ne vit pas pour posséder, mais pour désirer, pour oser, pour jouer.
Laissons le paysan ou l'éleveur de porc dans une étable sombre mesurant un mètre carré, engraissons-le sans jamais le laisser sortir, jetons-lui de temps à autre quelques brins de paille sans presque jamais retirer celle qui est souillée sous prétexte qu'il aime se vautrer dans sa merde, et nous verrons l'air qu'il a au bout de quinze jours ; nous saurons alors qui est le plus grand cochon, du paysan ou de son animal.
Ce ne sont pas les grands événements qui déterminent la marche du monde, mais les petits accidents de parcours.
Érigez la liberté en symbole religieux, et elle déclenche les guerres de religion les plus sanglantes. La vraie liberté est relative. Aucune religion ne l'est. Et celle de l'appât du gain encore moins que les autres. C'est elle la plus ancienne de toutes, elle a les meilleurs prêtres et les plus belles églises. Yes, Sir.
N'empêche qu'on se lasse des honnêtes petites combines. (...) On a l'impression de faire les poches de quelqu'un. Ça va un temps, après, on est écœuré. On veut s'occuper, bosser. Apprécier son boulot. (...) Non, la plus belle combine ne peut pas rivaliser avec le travail bien fait. D'ailleurs, pourquoi est-ce qu'on se lance dans des combines, à ton avis ? Parce qu'on n'a pas de travail, parce qu'on n'en trouve pas. Il faut bien faire quelque chose, on ne peut pas passer toute la journée à paresser au lit, ou à traîner dans les rues, on deviendrait maboul.
Mais l'homme ? Le seigneur de la création ? Il aime être esclave, il est fier de jouer au soldat et d'essuyer le feu, il adore le fouet et la torture. Pourquoi ? Parce qu'il est capable de réfléchir, et donc d'espérer. Parce qu'il espère que ça ira mieux. C'est là sa malédiction, jamais sa chance. Et il faudrait avoir pitié des esclaves ? Des soldats et des invalides de guerre ? Haïr les tyrans ? Non ! D'abord il y a les esclaves, puis apparaît le dictateur.
Si j'avais enjambé le bastingage, je ne me trouverais pas à présent dans un enfer que même les démons n'auraient pas supporté. Mais je n'ai pas sauté et je n'ai donc pas le droit de me plaindre ni d'accuser quiconque. Laisse le mendiant crever de faim par égard pour l'homme qui est en lui. Je n'ai pas le droit de gémir sur mon triste sort. Pourquoi n'ai-je pas sauté ? Pourquoi ne pas sauter maintenant ? Parce que j'espère pouvoir revenir à la vie.
Je suis sûr qu'une fois que nous aurons réussi à distinguer ce qui est imaginaire de ce qui est réel dans notre vie, nous apprendrons des choses singulières et nous considérerons le monde entier d'un autre œil. Qui sait quelles conséquences en découleront ?
Que vaut un État, s'il n'est pas capable de défendre des citoyens dans la détresse ?
Dans la chambre de chauffe, l'indicateur de niveau d'eau n'avait ni verre protecteur ni même grillage. Un jour, ce tube éclata pendant le quart de Kurt. Il n'y avait pas de système permettant de couper l'arrivée d'eau à un endroit sûr. L'eau bouillante gicla et une vapeur dense brûlante se répandit dans la chambre de chauffe. Il fallait couper l'eau dans ce tuyau. Il le fallait bien. Mais la manette se trouvait juste sous le tube brisé, à deux pouces de l'eau qui jaillissait. (...)
Qui s'en chargerait ? Le soutier, bien sûr. Le vagabond se sacrifia pour que la Yorikke puisse être manœuvrée et ne coule pour rejoindre les poissons. (...) Kurt coupa l'eau. Puis il s'écroula. (...)
- Tu ne peux pas imaginer des hurlements pareils, me raconta Stanislaw. Il ne supportait d'être ni sur le dos, ni sur le ventre, ni sur le côté. Sa peau pendait en lambeaux comme une chemise déchirée. Il avait le corps couvert de cloques aussi grosses que sa tête. Peut-être qu'en l'amenant à l'hôpital, je ne sais pas, moi, on aurait pu l'aider avec des greffes. Mais il aurait fallu lui greffer la peau d'un veau tout entier pour le rafistoler. Et ses hurlements !
L'homme qui a émigré il y a cinq ans en Amérique et qui a obtenu hier sa nouvelle nationalité est aujourd'hui celui qui crie le plus sauvagement : " Fermez les frontières, ne laissez plus entrer personne. " Et pourtant ce sont tous des immigrants et des fils d'immigrants, y compris le Président...
Nous tînmes bon, mais l'Impératrice se souleva et se tordit dans les serres du récif, semblant en proie à des souffrances terribles. Le deuxième paquet de mer nous coupa le souffle pendant un long moment. J'avais l'impression d'avoir été jeté à l'eau. Je n'avais pourtant pas bougé. Le bateau, lui, cria, comme s'il avait été blessé à mort. Il se tordit de douleur, retomba sur sa poupe avec un fracas assourdissant, craquant, grondant, vibrant, jusqu'à ce qu'il se retrouve à l'oblique et non plus à la verticale, et se coucha à tribord.