Citations de B. Traven (154)
« L’Art des Indiens »
L’artiste n’a pas a être mon dieu, ni une autorité, ni une figure supraterrestre qui me serait inaccessible et existerait cachée derrière les nuages hors de mon monde. L’artiste doit, dans son œuvre, me révéler qu’il est mon frère terrestre’ qu’il est sujet à autant d’adversité que moi, plein de désirs comme moi, porté par l’élan de se libérer de ses chaînes mentales comme moi et bourré de lacunes et de pulsions comme moi.
L’unique chose que je doive ressentir à son endroit, c’est de lui être reconnaissant de savoir exprimer avec pertinence, par la musique, la couleur, la pierre, la parole, la représentation, ce qui touche mon âme et ce que j’essaie d’exprimer depuis le premier éveil de ma conscience de n’importe quelle manière, sans y parvenir.
Macario, le coupeur de bois du village, nourrissait depuis quinze ans un désir obsédant.
Ce n’était pas la richesse qu’il désirait, ni une maison bien construite au lieu de la vieille hutte délabrée où il vivait avec sa femme et ses onze enfants, vêtus de haillons et toujours affamés. Ce qu’il convoitait plus que tout au monde - et qu’il aurait troqué contre son âme -, c’était d’avoir une dinde rôtie et de pouvoir la manger tout seul, en paix, au fond des bois, sans être vu de ses enfants affamés.
Car la jeunesse accepte tout, sans discuter et tel qu'on le lui présente. Les jeunes n'ont pas la faculté de penser par eux mêmes,de séparer ce qui est possible de ce qui est impossible, ou ce qui est probable de ce qui est symbolique. N'importe quelle idée que l'on fait pénétrer dans l'esprit d'un enfant, avant qu'il soit devenu capable d'etablir un jugement,y prend profondément racine; dès que la curiosité de l'adolescence vient l'alimenter de ses forces nouvelles, cette idée préconçue se développe de plus en plus. Par la suite, l'homme n'aimant pas rectifier ce qui lui fut inculqué par sa mère, accepte d'une manière définitive et absolue tout ce qu'elle lui a transmis.(...)C'est ainsi que l'église prospère et qu'elle se réjouit de constater que les nouvelles générations lui seront acquises,grâce à une méthode aussi puérile.
L'homme moderne est toujours plus pressé, plus harcelé, il a de moins en moins de temps à mesure qu'il fait des inventions pour en gagner.
Il y a des gens pour vous dire que celui qui veut travailler trouve toujours du travail. Il faut se garder, cependant, de s'adresser directement à ce gens-là. Car ceux qui parlent ainsi n'ont jamais le moindre travail à vous proposer. On dirait qu'ils entendent surtout vous montrer à quel point ils ignorent tout de la vie.
Le banc sur lequel Dobbs était assis n'avait rien de confortable. L'une des lattes avait cédé ; une autre était tellement tordue que le fait de s'asseoir dessus pouvait passer pour une punition. L'avait-il méritée ou lui était-elle infligée à tort, comme la plupart des punitions, la question de l'effleurait pas. Pour lui faire prendre conscience de l'inconfort de sa position, il aurait fallu que quelqu'un lui demande s'il se sentait à l'aise. Et personne, bien sûr, ne se souciait de l'interroger.
Trop de pensées l'agitaient pour qu'il songe à son bien-être immédiat. Il était en train de chercher une solution à ce problème vieux comme le monde, pour lequel tant de gens en viennent à oublier le reste et qui se réduit à cette question : « Comment trouver de l'argent au plus vite ? » Si vous en possédez un peu, il vous est plus facile d'en obtenir davantage : vous pouvez investir votre maigre pécule dans des affaires prometteuses. Mais sans un sou en poche, il est difficile d'obtenir quoi que ce soit.
Dobbs n'avait rien. A vrai dire il avait moins que rien, sa garde-robe étant incomplète et en mauvais état.. De bons habits constituent parfois un fond, maigre mais suffisant, pour se lancer dans une entreprise.
« Quiconque souhaite vraiment travailler n'aura pas de difficulté à trouver un emploi. » N'allez rien demander à ceux qui tiennent ce genre de propos. Ils n'ont pas de travail à vous offrir et ne connaissent personne qui ait entendu parler d'un poste à pourvoir. C'est la raison pour laquelle ils vous donnent si généreusement ce conseil, qui montre à quel point ils sont ignorants des réalités.
L’homme en os tendit la bouteille à Macario.
— Le liquide que contient cette gourde fera de toi le plus grand médecin du siècle. Une goutte, même infime, de cette potion suffit à guérir n’importe quelle maladie, y compris celles qui sont réputées incurables et mortelles. Mais souviens-toi bien que, lorsque la dernière goutte aura été versée, tu auras perdu tes dons de guérisseur.
— Je ne sais pas si je dois accepter ce présent, avoua Macario. Vois-tu, compadre, je suis heureux, à ma manière. Il est vrai que j’ai eu faim toute ma vie, et que je me suis échiné sans cesse pour survivre. Mais c’est ainsi que vivent les gens de ma condition. »
Je ne me considère pas comme Allemand parce que je n’ai nul titre à y prétendre. Personnellement, je ne considère cela ni comme un honneur ni comme une honte, car je suis, comme la plupart des hommes, aussi peu responsable de ma nationalité que de ma date de naissance ou de la couleur de mes yeux. En revanche, mes vrais compatriotes, ce ne sont donc pas ceux auxquelles je me rattache par le hasard de mon lieu de naissance, mais bien ceux qui sont les miens au regard de ma conscience et de ma conception du monde, qui ne vivent pas enfermés à l’intérieur des frontières d’une nation particulière, même aussi loin qu’on veuille repousser ces frontières.
"J'ai vu des ânes, vendus à des gens qui tourmentaient honteusement les bêtes, cesser de s'alimenter et mourir. Même le maïs ne parvenait pas à les faire changer d'avis. Mais l'homme ? Le seigneur de la création ? il aime être esclave, il est fier de jouer au soldat et d'essuyer le feu, il adore le fouet et la torture. Pourquoi ? Parce qu'il est capable de réfléchir, et donc d'espérer. Parce qu'il espère que ça ira mieux. C'est là sa malédiction, jamais sa chance."
Où donc est ma patrie ? Ma patrie est où je suis, où personne ne me dérange, où personne ne me demande qui je suis, d’où je viens et ce que je fais.
Après environ un demi-kilomètre de marche dans la brousse, il atteignit une ancienne clairière que la nature avait commencé à envahir. Il y avait là une vieille fontaine qui datait de bien avant l'époque coloniale et avait été déterrée par un Espagnol lorsqu'il avait voulu y construire sa ferme.
Personne ne se servait de cette fontaine, et les charbonniers de la brousse eux-mêmes ne venaient pas y boire. Son eau était pleine de vase et toute verte de l'enchevêtrement des plantes, feuilles et racines qui s'y trouvaient. Elle était pleine de grenouilles, têtards, coléoptères aquatiques, moustiques, serpents, lézards et de toutes sortes d'animaux qui peuvent se rassembler dans une fontaine abandonnée. Son état, son apparence ancienne et les animaux extravagants qui la peuplaient en faisaient un lieu de terreur légendaire pour tous les enfants indiens du village qui venaient à la fontaine quand ils voulaient s'offrir une journée d'épouvante.
Qu'ai-je à faire de l'or ? La terre est bénie, elle porte bonheur, les fruits de même, mon troupeau aussi. L'or ne porte pas bonheur et l'argent non plus. Est-ce qu'ils vous portent bonheur, à vous, les Espagnols ?... Vous vous tuez pour l'or. Vous vous haïssez pour l'or. Vous gâtez votre vie pour l'or. Nous n'avons jamais fait de l'or notre maître, nous n'avons jamais été ses esclaves. Nous disions : l'or est beau ; et nous en faisions des bagues et des bijoux, et nous en ornions nos femmes et nos dieux. Parce qu'il est beau. Nous n'en avons pas fait de l'"argent". Nous le regardions et nous y prenions un grand plaisir, mais on ne le pouvait pas manger. Notre peuple, comme les peuples de la vallée, ne s'est jamais battu pour l'or, n'a jamais fait la guerre pour l'or. Nous avons souvent eu des combats pour des terriroires, pour des champs, pour des rivières et pour des lacs, pour des villes, pour du sel et pour des troupeaux. Mais pour de l'or, pour de l'argent ?... Ils ne sont beaux que pour le regard. Si j'ai faim, je ne peux pas les avaler ; ils n'ont donc point de valeur. L'or est beau comme une fleur qui fleurit, comme un oiseau qui chante. Mais si tu mets la fleur dans ton estomac, elle perd son charme ; si tu cuis l'oiseau, il ne chante plus.
L'or c'est une chose endiablée, disait Howard, le vieux. On peut en avoir tant qu'on veut et en trouver encore, et en entasser plus qu'on ne peut en transporter, malgré tout, on y pense toujours, on espère toujours en ramasser davantage. Et dans l'espoir d'en ramasser, on cesse de faire la différence entre le bien et le mal. Quand on se met en route, on se promet de se contenter de trente mille dollars. Quand on ne trouve rien, on abaisse ses prétentions à vingt, puis à dix mille et l'on explique que cinq mille suffiraient tout à fait (...). Mais si l'on trouve quelque chose alors les trente mille semblent dérisoire et l'on monte, l'on monte, on voudrait cinquante, cent, deux cents mille dollars. Enfin surviennent les complications qui vous tombent dessus de tous côtés et ne vous laissent plus fermer l'oeil.
« L’ Art des Indiens »
L’embellissement, et donc l’animation - au sens de mettre de l’âme - des ustensiles quotidiens constituent un besoin de l’homme. Un besoin bien plus grand que la religion. C’ est pour l’homme un besoin vital d’enrichir et d’enjoliver la vie, parce que c’est là le seul moyen d’échapper au prosaïsme du quotidien. La quotidienneté, en effet, étouffe l’homme, engourdit ses sensations, ses espoirs, ses idéaux, ses pensées, au point que toute vie perd sa valeur et que la phrase la plu désespérante exclame strictement : « pourquoi vivre ? »
Les chants populaires, les ritournelles, les slogans politiques et patriotiques perdent aussitôt sens lorsqu’on les examine à tête reposée. Et il se pourrait bien que ce cri de guerre d’Indiens entrant en rébellion perde lui aussi tout contenu si on le considère de sang-froid.
Un jour, les souffrances qui les torturaient et les privations qui les livraient sans défense aux maîtres de la jungle, les concessionnaires des plantations d’acajou et leurs vassaux, leur étaient devenues si insupportables qu’ils en étaient venus à la conclusion qu’il valait mieux se révolter et périr que de continuer à vivre en subissant de telles humiliations et de tels tourments. Seul ce combat était digne des hommes qu’ils étaient.
Alors ils avaient empoigné leur destin à pleines mains. Et tous s’étaient rebellés, ensemble et simultanément, ou presque, dans les régions les plus éloignées de la forêt tropicale, ce qui était remarquable et même étrange. Ils avaient décidé de leur destin avec énergie, résolus à mettre enfin un terme à leurs maux, au prix de leur propre vie ou au prix de la vie des tyrans qui les opprimaient.
Malgré les souffrances et les humiliations subies, il avait persisté en eux une lueur d’espoir. La vue des oiseaux et de millions d’insectes qui allaient et venaient en liberté dans la jungle, heureux de vivre et sans entrave, avait à jamais maintenu dans leur âme la nostalgie de la liberté.
D’abord craintifs et peureux, manquant d’assurance, ils s’étaient ensuite montrés vigoureux et déterminés, finalement résolus à se rebeller. Une fois que les choses eurent commencé, tout se déroula bien plus vite qu’ils ne l’avaient jamais cru possible.
Les propriétaires, régisseurs et surveillants des monterías1, qui en raison de leur pouvoir et de leur cruauté étaient plus redoutés que Dieu lui-même, se firent tout petits dans les deux premières heures du soulèvement. Dès qu’ils virent qu’ils avaient perdu toute autorité, y compris sur les garçons bouviers méprisés et humiliés par des années de châtiment arbitraire, ils se transformèrent en marionnettes pitoyables et désemparées. Ils semblaient soudain avoir oublié comment parler, comment se mouvoir et comment affronter avec dignité le juste salaire de leur cruauté. Un salaire mérité depuis longtemps.
Les revolvers avaient été raflés chez les cabaretiers qui ne les avaient remis que contraints et forcés. Ces revolvers étaient d'ailleurs de qualité inférieure. Ils ne partaient jamais et servaient surtout d'épouvantail. Par contre, les machetes étaient tous bien affilés ainsi que les haches.
Tout compte fait, on pouvait considérer l'armement de la troupe comme à peu près inexistant.
L'indien observait les chiffres avec admiration, il lui semblait prodigieux que l'on pût aussi vite les aligner, les additionner, les diviser et les multiplier. Mais au fond, cela ne l’impressionnait guère, car il ne savait lire ni chiffres ni lettres, et le seul bénéfice qu'il retira de la subtile conférence à haute signification économique de l'Américain fut d'apprendre qu'un homme est capable de parler pendant des heures pour ne rien dire.
Le grand art s'adresse à l'intelligence. Mais l'art le plus grand, le plus noble, le plus gratifiant est celui qui s'adresse à ton cœur et à ton âme.
Extrait d'une revue syndicale : B. Traven , alias Ret Marut , ou encore Otto Feige , Traven Torsvan , Berick Torsvan etc ... , Libertaire allemand qui écrivait ( dans les années 20 ) dans " Der Ziegelbrenner " ( Le cuiseur de briques ) . Quelques articles de cette revue constituent " Dans l'état le plus libre du monde " .
Ces brefs articles dénoncent le sort fait aux travailleurs avec la même force que dans tous les autres livres de Traven " Le vaisseau des morts " , " Le trésor de la Sierra Madre " ou " La révolte des pendus " . Marut pourfend le régime impérial , puis la République de Weimar qui lui succède , république dont les chefs osèrent dire qu'elle était " L'état le plus libre du monde " alors qu'ils écrasèrent dans le sang toute contestation .
Mais Dieu, qui est venu sur terre deux mille ans auparavant pour sauver les hommes, a sans doute oublié les indiens.
Leur pays, il est vrai, était encore inconnu. Et quand il fut enfin découvert, la première chose que firent les conquérants fut de planter une croix dans le sable du rivage et de dire une messe: c'est encore de cette cérémonie que souffrent les indiens.