Citations de Bertina Henrichs (40)
En bon fils de son père et de sa mère, qui ne lui avaient jamais enseigné autre chose, il pensa également que les femmes, par leur constitution, étaient sujettes à des sautes d’humeur incompréhensibles, et qu’il était plus prudent de les laisser seules dans ces cas là. En l’occurrence, cette croyance, fondée sur un concept douteux, arrangeait tout le monde.
Chez lui, la lecture avait même pris une place qu'il n'avait jamais accordée à un être humain. Pourquoi perdre son temps dans de vains et quotidiens bavardages quand on peut entrer en communion avec les meilleurs, les plus excitants penseurs de toutes les époques ? Pourquoi peupler sa vie d'êtres médiocres, attachants certes, mais faibles raisonneurs, quand on a le choix de rendre visite à Platon, Sénèque et Proust ? Le culte de ce que le monde appelait communément la réalité, la matière solide de l'existence, lui était étranger. L'air triomphant avec lequel ses contemporains se jetaient dans le combat du quotidien le faisait sourire. Il n'avait jamais compris ce qu'il pouvait y avoir d'héroïque à affronter la surface plane et lisse de la condition humaine dans sa plus banale expression. Enfant, ses parents lui avaient souvent reproché de fuir la réalité comme s'ils avaient décelé quelque couardise dans son comportement qui consistait à s'acquitter le plus vite possible des tâches incontournables de tous les jours afin de pouvoir retourner à ses livres et à sa rêverie. Il s'étaient sentis blessés de l'ennui qu'il affichait ouvertement face à cette dimension de la vie qui était leur unique territoire. [...] Au lieu de fuir, il était en marche vers quelque chose. Mais comment aurait-il pu décrire ce vaste univers de la pensée dans lequel il s'était aventuré à quelqu'un qui n'avait jamais ouvert un livre de sa vie avec plaisir, qui ne savait pas ce que c'était. [...] Kouros s'était alors très vite habitué à voler du temps. Il lisait dans les toilettes où personne ne le dérangeait. il lisait dans la nature prétextant d'autres besognes pour pouvoir s'éloigner.
Ses souvenirs n’avaient pas pâli comme les gens ont l’habitude de dire. Non, ses souvenirs étaient comme une aquarelle qui aurait été exposée à la pluie. Les couleurs s’étaient mélangées, la peinture était plus abstraite, intéressante encore mais avec des stries noirâtres là où l’eau avait entraîné trop de couleurs dans sa course rapide.
Le bateau accosta. Le Pirée l’accueillit avec son agitation naturelle jetant ses pensées dans le brouhaha généralisé où elles se perdirent.
« La guirlande colorée qu’il avait suspendue au-dessus de la porte de leur maison pour lui donner un air de fête exécuta une petite danse au gré du vent, venant du large. »
Le lendemain, le travail sembla se faire tout seul. Eleni poussa son lourd chariot en chantonnant, salua les clients chaleureusement et fit les chambres avec le même dévouement que d'habitude. La seule ombre au bonheur qui la transportait de la sorte fut l'impossibilité de le partager avec quelqu'un. Une victoire ignorée perd toute sa saveur. L'immense joie qui habitait Eleni ce matin-là avait besoin de se répandre et d'exulter, comme l'oiseau recherche une branche où se poser pour chanter.
Le cavalier lui parut le plus difficile à manœuvrer avec ses sauts capricieux et imprévisibles. Elle dut relire trois fois la phrase: "Si un cavalier est installé sur une case noire, seules les cases blanches les plus proches et non contigües lui sont accessibles et vice versa".
Précautionneusement, elle avançait son premier pion et pénétrait alors dans l'espace qu'elle avait fait sien, celui des soixante-quatre cases qui, pour quelques heures, se substituerait au monde.
"Les gens font bien plus confiance aux idées qu' ils
se sont forgées qu' à leur discernement immédiat"...
Eleni n’était pas une femme à pincements. mais Paris constituait une exception. Sa passion rêveuse était demeurée d’ailleurs totalement inavouée. C’était son jardin secret.
Et en bon fils de son père et de sa mère, qui ne lui avaient jamais enseigné autre chose, il pensa également que les femmes, par leur constitution, étaient sujettes à des sautes d’humeur incompréhensibles, et qu’il était plus prudent de les laisser seules dans ces cas là.
« « Je vais offrir un jeu d’échecs à Panis pour son anniversaire. Nous pourrons apprendre à jouer ensemble. » Cette idée la frôla comme une robe de soirée satinée glisse sur l’épaule nue d’une danseuse dans la lumière scintillante des lustres. Elle ne déambulera pas sur les Champs-Elysées à la tombée de la nuit, elle ne prendra pas le café sur les grands boulevards et elle n’apprendra pas cette langue envoûtante. Mais elle jouera aux échecs avec son mari comme le font les femmes élégantes de Paris. Ce fut le projet le plus audacieux et le plus fou qu’Eleni ait jamais conçu. Elle en eut le souffle coupé. »
Le cavalier lui parut le plus difficile à manœuvrer avec ses sauts capricieux et imprévisibles. Elle dut relire trois fois la phrase: "Si un cavalier est installé sur une case noire, seules les cases blanches les plus proches et non contigües lui sont accessibles et vice versa".
Eleni femme de chambre dans un hôtel en Grèce.
Dans une chambre elle est attiré par une pièce d'un échiquier. Poussée par la curiosité elle entreprend d'apprendre à jouer aux échecs dans le plus grand secret. Sa vie va basculer.
Moi, j'adore le nom des roses, s'exclama Marthe. Feu d'artifice, Crépuscule, Diablotin, Cuisse de nymphe, Papillon, Quatre saisons, Mme Butterfly, Souvenir de la Malmaison, Polka. Il m'est déjà arrivé d'acheter un rosier rien que pour la beauté de son nom qui me fait rêver.
Une équipe de tous les grades parada devant son lit: spécialistes, professeurs, étudiants, infirmières, aide-soignants. Les premiers donnèrent des ordres à voix basse, les autres les exécutèrent en silence.
La solitude assumée, c'est la liberté.
Imperturbable, Eleni poursuivit son dragon semi-accéléré et mit Costa dans l’embarras au bout de quelques traits. Celui-ci fronça les sourcils et commença à jouer sérieusement. Il alluma une première cigarette. Les plages de réflexion se prolongèrent.
Elle se promit de ne pas sortir humiliée de cette rencontre. Elle en voulait à Kouros de l’avoir attirée dans ce traquenard, et sa colère l’aida à déployer ses forces.
Kouros, qui avait appris à connaître son amie, sourit de la voir ainsi, front baissé et regard fixe. Durant toute la partie, il ne dit pas un mot. Il se contenta d’observer les mouvements feutrés des figurines qui glissaient furieusement sur le damier. Costa se remit assez vite de sa surprise, mais il peina à prendre le dessus. Son jeu demeura défensif et manqua d’envolées. Au bout d’une heure et demie, Eleni le coinça. Sans être mat, il ne pouvait plus faire grand-chose. Ils convinrent d’en rester là.
Pourquoi perdre son temps dans de vains et quotidiens bavardages quand on peut entrer en communion avec les meilleurs, les plus excitants penseurs de toutes les époques ? Pourquoi peupler sa vie d’êtres médiocres, attachants certes, mais faibles raisonneurs, quand on a le choix de rendre visite à Platon, Sénèque et Proust ?
La solitude assumée, c’est la liberté, avait-il décrété.