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Critiques de Boris Pilniak (18)
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Le conte de la lune non éteinte

D’une jeunesse déguenillée de tisseurs, à la tête des armées, un parcours de combattant, celui du commandant Gavrilov, un général rouge de l’Armée rouge.

Rappelé d’urgence du Caucase où stationnent ses troupes, il apprend par un journal “son arrivée, sa santé préoccupante et sa future opération d’un ulcère à l’estomac “, alors qu’il en est guéri. Louche, et même très louche.....

Gavrilov “-un vieux soldat de la révolution, un soldat, un commandant, un général en chef qui envoyaient des milliers de soldat à la mort, qui se trouvait au sommet d’une machine de guerre destinée à tuer, à mourir, et à vaincre par le sang -“ est face à la machine infernale de la révolution qui broie peu à peu ses enfants.



Dans un décor gris, glaçant, rappelant les films en noir et blanc d’Eisenstein*,

où La Ville où arrive Gavrilov, sans doute Moscou, est un vrai personnage dont l’âme entachée par un dépôt de brouillard, pleure, un texte d’une prose époustouflante et d’une modernité étonnante. Cette histoire prémonitoire de ce qui en allait suivre de la révolution bolchevique, publiée en 1926, étant qualifié de contre-révolutionnaire, fût immédiatement censurée. Le célèbre écrivain Varlam Chalamov en découvrira par hasard en 1937, dans la bibliothèque de sa prison ( ironie de la vie), un exemplaire échappé aux innombrables contrôles et purges. Ce récit mythique est un bijou littéraire de 94 pages, qui traite d'un sujet toujours actuel, et n'en est qu'une version.

Première rencontre avec l’écrivain russe Boris Pilniak ( 1894-1938 ), et sûrement pas la dernière !



" Donne-moi quelque chose à lire-seulement quelque chose de simple, tu sais qui parle de gens bien, d'amour vrai, de relations simples, d'une vie simple, du soleil, des hommes et de leurs joies simples.-"



*Fameux cinéaste russe de l'époque soviétique.

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Le conte de la lune non éteinte

"La révolution est comme Saturne : elle dévore ses propres enfants."

(P. Victurnien Vergniaud)



La nouvelle de Boris Pilniak est vite lue, mais elle vous laissera un frisson (in)volontaire, quand vous savez d'avance que cette petite centaine de pages noircies à l'encre a coûté la vie à son auteur.

Pourtant, Pilniak la précède d'un avertissement, disant que cette histoire d'un général de l'Armée rouge, qui va subir une intervention chirurgicale contre sa volonté, n'a rien à voir avec l'histoire réelle du commandant M. V. Frounzé, mort sur la table d'opération dans des circonstances étrangement similaires. Cette dénégation a permis à Pilniak de gagner quelques années de sa vie (la nouvelle étant immédiatement censurée), pour être finalement fusillé sous un autre prétexte. Quand la volonté des puissants est faite, ils trouvent toujours comment arriver à leurs fins.

Cela ressemble d'ailleurs beaucoup à l'esprit même de "Le conte de la lune non éteinte" (1926).



Le train qui s'arrête au petit matin brumeux et froid à la gare d'une ville industrielle (Moscou ?) emmène un condamné à mort au sommet de sa gloire. Le général Gavrilov, issu d'une famille modeste de tisserands, a réussi une carrière militaire foudroyante. C'est un enfant de la révolution, entouré d'une aura de légende. Il inspire cette crainte d'un personnage puissant et terrifiant, et pourtant... c'est un homme qui n'a jamais renié ses origines modestes ni ses amis, et a toujours su garder le dos droit tout en obéissant aux autorités.

Alors, pourquoi ?

Les ficelles de la politique s'emmêlent, parfois. Le vent tourne, et les personnes indispensables comme Gavrilov peuvent devenir gênantes. Pourquoi cette opération dont il n'a pas besoin ? Gavrilov se doute bien que ce n'est pas sa santé qui est en jeu; quelqu'un en haut a juste décidé qu'il est temps pour lui de quitter discrètement la scène.

En bon fils de la Révolution, il va se soumettre, ainsi que le groupe de chirurgiens. Certes, certains d'entre eux ont bien leur opinion sur la chose, mais la main de fer du système est trop lourde pour le dire ouvertement. La nouvelle laisse déjà présager l'impitoyable machinerie stalinienne qui se mettra en route quelques années plus tard.

L'histoire semble simple, mais Pilniak la présente avec quelques ambiguïtés - je pense notamment au déroulement de l'opération de Gavrilov : où était la faille ?



J'espère que Booky ne m'en voudra pas si j'enchaîne sur le côté cinématographique de l'histoire (d'ailleurs, je viens à cet instant lui dédier cette mini-chronique), mais c'est vrai que ce "conte" est très visuel, et rappelle beaucoup les séquences rapides dans les films des années 30. Le style de Pilniak est moderne et sobre, les décors sont évocateurs, et on imagine parfaitement (en noir et blanc ?) la ville ouvrière déshumanisée, le jardin et les bâtiments de l'hôpital. On monte l'escalier pour arriver dans la salle où se tient le conseil des médecins, pour suivre leur dialogue... toujours avec l'arrière goût amer, tout est en vain...

C'est justement comme si tout s'était passé dans le clair-obscur, éclairé seulement par la lune froide qui déforme la vision du monde. Sous cet éclairage, on peut accepter bien des choses complètement absurdes, mais quand le soleil se lève, on est soulagé que ce n'était qu'un mauvais rêve. Certaines époques ressemblent tout simplement à un mauvais rêve, et Pilniak a bien saisi l'atmosphère irréelle de "l'affaire Gavrilov". Mais à quel prix ? Et combien de Gavrilov, depuis ?



Cinq étoiles, non seulement parce que ça ne peut pas vous laisser indifférent, mais en prime c'est aussi très bien écrit. Comme si on avait regardé un film d'Einsenstein :

"Il était parfaitement clair que ce qui hurlait dans ces sirènes, c'était l'âme de la ville à présent gelée par la lune."
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L'année nue

L'annee nue? Comment ca, nue? Sans ses oripeaux populaires? Sans ses accoutrements socialistes? Sans ses uniformes guerriers? Mais non, elle les porte tous, et il n'y a qu'un ecrivain pueril a voir a travers ses affublements, ses parures, a la saisir dans toute sa nudite. Pueril parce qu'il ne peut s'imaginer qu'il paiera de sa vie pour avoir transcrit toute la grandeur, toute la misere et tout le malheur, meles intrinsequement, toute la brutalite sauvage de ce grand cataclysme, la revolution.



C'est l'annee 1919. Aux confins de la Russie europeenne et de la Siberie asiatique. Dans la ville d'Ordynine. Une ville “située au-delà de la Kama. Aux confins du ciel, tout au sud, la steppe ; tout au nord, les forêts et les marais ; à l'est, les montagnes. La ville d'Ordynine, ville de pierre en pleine forêt, est située sur une colline dominant la rivière Vologa. On ne sait d'où vient son nom : si la ville l'a donné à ses princes, ou si les princes Ordynine l'ont donné à la ville”. Et cette annee voit la fin des Ordynine, qui ne sont plus tellement princes mais plutot bourgeois decadents, degeneres, qui mourront en cette annee de maladie, de syphilis, de folie. Seuls une candide jeune fille et un parent eloigne echapperont a la malediction familiale ou a la vindicte populaire, choisissez ce qui vous semble le plus appropprie, en integrant une commune campagnarde. Pour peu de temps, helas, car ce genre de commune, ou on partage tout et on discute de tout ne peut etre bien vue ni des koulaks de la region ni des nouveaux bolcheviks en vestes de cuir qui viennent y mettre de l'ordre et poursuivre a mort ses membres, arrogants dissidents qui veulent tout decider par eux memes, en commune deliberation.



En cette annee de combats ce qui regne dans la ville d'Ordynine, comme dans sa proche region, c'est une penurie de tout. Fleurissent en cette annee les fonctionnaires desoeuvres dans des bureaux de fortune et les speculateurs remplissant les trains qui peuvent encore rouler pour chercher du ble dans les lointaines contrees turkmenes.

Mais c'est une annee ou on respire un vent de liberte inespere. Une annee ou l'amour peut fleurir, incontrole, en ville. “Ah, Olenka Kountz ! Olenka Kountz ! Deux poètes, Sémione Matvéïev Zilotov et le camarade Laïtiss, rêvaient à sa pureté, à sa virginité, chacun à sa manière, chacun avec sa passion douloureuse. Pourquoi, oui, pourquoi ces deux poètes ne savaient-ils pas ce que la ville savait, ce qu'Olenka Kountz elle-même ne cherchait presque pas à dissimuler — qu'il y avait eu à Ordynine, un adjudant, Tchérep-Tchérepas ? Au moment de partir pour le front rejoindre Koltchak aux environs de Kazan, Tchérep-Tchérepas avait promené Olenka Kountz en troïka ; puis, il l'avait fait monter dans sa chambre d'hôtel, l'avait régalée de liqueurs douces, et Olenka Kountz s'était donnée à lui aussi simplement que se donnaient toutes ses amies. Et cela lui était arrivé déjà plus d'une fois, et non pas seulement avec Tchérep-Tchérepas, qui, lui, fut tué quelque part près de la ville de Kazan par ses soldats mutinés. Après tout…”. L'amour fleurit aussi, plus moule aux traditions, a la campagne, si l'on en croit les prieres des amants, Alexis et Oulianka: “Alexei: — Moi, Lexis, je resterai, l'échine tournée vers le couchant, la face tournée vers le levant, à guetter, à regarder... Une flèche de feu traversera le ciel clair. Moi, je prierai cette flèche, moi, je me soumettrai à cette flèche et lui demanderai bien bas : « Où t'envoie-t-on, ô flèche de feu ?» — « Dans les forêts obscures, dans les marais mouvants, dans les racines humides. » — « Salut à toi, flèche de feu, vole là où je t'envoie, vole vers Oulianka, vole vers Kononov, vole et atteins-la en son coeur ardent, en sa bile noire, en son sang brûlant, en sa veine spinale, en ses lèvres sucrées, pour qu'elle se désespère, pour qu'elle s'afflige, pour qu'elle se languisse de moi sous l'astre solaire, à la pointe du jour, à la lune nouvelle, à la bise aigre, aux jours croissants et aux jours décroissants, pour qu'elle m'embrasse moi, Lexis Siémiénov, pour qu'elle m'étreigne, moi, pour qu'elle s'accouple à moi ! Mes mots sont puissants et envoûtants comme la mer océane, mes mots sont forts et collants, plus forts et collants que colle colleuse collante, plus fermes et résistants que taillant et diamant tranchants et meurtrissants. Pour les siècles des siècles. Amen.

Oulianka: — Notre très sainte Mère, recouvre la terre de neige et moi d'un fiancé !”.



C'est l'annee de toutes les possibilites. L'annee de tous les espoirs. L'annee de tous les desenchantements. L'annee de tous les exces. Une annee orgiaque. L'annee ou la vie petille. L'annee ou la mort se dechaine. Une annee cruelle qui donne naissance a une epoque nouvelle dans un vieux pays. Une annee ou Pilniak mele allegrement le vieux et le nouveau, dediant autant de belles pages aux nouvelles vestes de cuir des bolcheviks qu'aux antiques sarafanes des campagnardes. Une annee qu'il resume dans un dernier chapitre, le chapitre 7: “Russie. Révolution. Tourmente”. Un chapitre de trois mots seulement. Mais Pilniak est optimiste, et ce chapitre sera suivi d'une conclusion ou regneront, a cote du travail et de la misere des isbas, a cote de rites ancestraux empreints de sorcellerie, la beaute de la nature, des forets, des hommes et des femmes, de leurs fiancailles et de leurs fetes.



Optimiste, Pilniak? Oui, decrivant la vie telle qu'elle est, toute nue. Il paiera plus tard pour cet optimiste, pour sa naivete, de croire qu'on peut impunement denuder une annee revolutionnaire. L'exposer nue, dans toute sa complexite, dans toute sa verite, aux yeux des lecteurs, a l'insu d'un pouvoir, nouveau ou ancien, qui l'aurait prefere habillee, et surtout maquillee.



Mais nous sommes au debut de 2024, et celle-ci je vous la souhaite habillee selon vos gouts et vos espoirs, mezamis.

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L'Acajou

L'ecriture ou la vie? Pour Boris Pilniak c'est l'ecriture. Elle lui a valu d'etre emprisonne, relache parce qu'il avait une certaine notoriete, puis, malgre un essai pathetique d'amendement, elle lui a coute la vie.



C'est qu'il est audacieux, dans la forme comme dans le fond, tournant le dos au “realisme sovietique" et houspillant cyniquement les autorites revolutionnaires et leurs politiques sociales et economiques.





“L'acajou", son chef-d'oeuvre pour de nombreux critiques, met en scene des individus incontrolables, empetres dans des affaires qui sapent la politique du pouvoir en place bien que permises par lui, ou retires des affaires par ecoeurement, tous poussant leur reflexion sur l'authentique liberte. Tous sont empetres entre la “Revolution" et la “Russie millenaire", avec une sensation de continuite, comme s'il n'y avait eu qu'un changement de Tzar, de nouveaux hommes s'installant dans les demeures et les habitudes des anciens nobles. Revolution?



Le ton est donne des la premiere phrase: “Mendiants, visionnaires, indigents, pelerins, pleureuses, santons, estropies, devins, prophetes, dements, benets, innocents, tous formaient les variants necessaires a la vie de la Sainte Russie". Et tous ou presque sont representers dans ce petit opus. Skoudrine, ancien petit noble ou grand bourgeois tombe de son piedestal, qui vivote en representant des agriculteurs. Parce que les agriculteurs qui prosperent sont consideres ennemis de la societe alors que ceux qui ne savent rien produire sont aides par le regime annee apres annee comme porteurs d'avenir. Skoudrine, dont l'identite profonde, immuable par temps changeants, se revele dans ses meubles, dans l'acajou. Mais un des Skoudrine a embrasse la revolution: il a change son nom en Ogochov et, rendu fou par les magouilles des dirigeants economiques, vit avec un groupe de sdf qui pleurent la trahison de la revolution et prophetisent desastres et malheurs. le fils de Skoudrine, Akim, est un ingenieur desenchante qui ne sait plus ni quoi faire, ni ou se tourner: “Le trotskyste Akim arriva en regard a la station, comme de toutes facons il etait en retard pour le train de la vie". Son oncle, le fou Ochogov lui avait deja prophetise: “Sinon aujourd'hui, un de ces jours ils t'expulseront; ils expulseront tous les leninistes et tous les trotskystes". Les soeurs de Skoudrine se sont eloignees de lui. L'une a tenu a garder son honneur et se retrouve a sa vieillesse amere et vide; l'autre, qui a faute et subi l'opprobre se la societe, vieillit sereinement, entouree de l'amour de ses filles et ses petits-enfants.



Nous rencontrons aussi les freres Bezdetov, restaurateurs d'acajou, qui se sont lances dans l'achat de meubles d'epoque a des familles tombees dans le besoin. Ils prosperent grace a la NEP, la Nouvelle Politique Economique, qui permit un certain temps a des magouilleurs et des proches de politiciens d'oeuvrer comme en capitalisme. Mais on sait qu'ils tomberont bientot, come l'acajou. Pilniak fait de l'acajou un symbole du savoir- faire russe, un savoir-faire qui a traverse les siecles. Il y a eu l'acajou Elisabeth Alexeievna; l'acajou Catherine; l'acajou Paul, grand-maitre de l'Ordre de Malte; l'acajou Alexandre, l'acajou Nicolas. Mais il n'y a plus de grands ebenistes, que quelques restaurateurs et des usines de meubles bancals. L'acajou n'est plus que le bois pourri du communisme.



Apres avoir disserte sur l'acajou, Pilniak conclut ce petit livre avec la porcelaine, une autre fierte russe. Apres des essais de voler leur savoir-faire aux chinois, apres avoir amene un expert danois sans plus de succes, des russes ont reussi a developper leur propre style, admire de tous. La porcelaine aussi a eu son age ou ses ages d'or, comme l'acajou. Mais la aussi l'artisanat n'est qu'un souvenir. Ne reste qu'un inventaire d'achats et ventes, de deceptions, de disgraces, de declin et de ruine. Un inventaire tenu par des politiciens incapables ou malhonnetes, suspicieux ou malveillants.

Pilniak, lui, est on ne peut plus honnete. Fidele a ses convictions de toujours, il lamente, avec un regard profondement humain, l'avilissement de la cause revolutionnaire, justement quand on crie, quand on scande le plus fort son nom.





Et comme beaucoup de ses contemporains russes, Pilniak cache sa critique sous un recit demantele, desarticule, ou l'histoire se melange au present, ou la ville s'oppose a la campagne, ou le fracas des cloches d'eglises atterrisant au sol couvre le bavardage des sondeurs de liberte, et cela en une prose energique, foncant au galop. Mais il n'a pas reussi. Il n'a pas reussi a cacher sa critique. Son honnetete intellectuelle lui a valu la vie. Il est donc bon de le lire, et d'en parler, car comme le dit un de ses personnages: “ce qui alimente la civilisation c'est la memoire".

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Tourmente de neige

J'ai voulu, apres L'Acajou, lire encore quelque chose de Pilniak et j'ai trouve cette nouvelle en acces libre dans La Bibliotheque Russe et Slave. Un excellent site, plus pour des nouvelles que pour des romans.





Pour tout dire cette Tourmente m'a un peu decontenance (m'a tourmente?). J'ai ete impressionne par son impressionnisme, son pointillisme (est-ce de la peinture, ou de la litterature?), sa fragmentation en differentes histoires, de differents personnages, en differents cadres, differents endroits de Moskou, pendant une journee d'Octobre, quand la ville est balayee par une tempete de neige. Mais si j'ai bien compris, quelques uns des personnages se croisent a la fin.





Pendant cette journee Pilniak rend compte des faits et gestes de quelques individus, peut-etre anodins mais surement pas falots: entre autres un quidam a qui sa femme ferme la porte apres qu'un arbitrage local ait rendu publiques ses relations avec plusieurs autres femmes du quartier; un diacre en mal d'ecriture, “Seigneur ! le verbe, donne-moi le verbe, Seigneur!...”, qui trouve, dans la masure ou il s'est enferme, un ancien document, du XVIIe siècle, “de vieux registres, sur vieux papier, fatigués, qui confirmaient [l'histoire de l'eglise] Karamzine”; et qu'est-ce qu'il en fait? “le diacre avait acheté un cahier couvert de toile cirée, pour quarante copecs, et il y avait mis au net le texte des vieux registres, — après quoi, sans cérémonie, il avait jeté dehors les vieux documents, comme il faisait des papiers de l'administration”.





Toutes ces histoires bravent la tempete, le vent et la neige, en une ecriture destructuree, disloquee et repetitive, une prose experimentale qui aurait eu toutes les chances de m'enerver ou au contraire de me seduire si le texte avait ete plus long. Il parait qu'on y sent l'influence d'Andrei Biely. Il ne me reste plus qu'a lire Biely…

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Tourmente de neige

J'ai beaucoup aimé ce roman. Jeux de sons , jeux de rythmes : l'auteur se cache pour mieux réapparaitre au moment où on s'y attend le moins.

Hybride entre prose, poésie, théâtre burlesque, tragédie, c'est toute la sensibilité de la littérature russe en condensé. Boris Pilniak reste malheureusement un auteur trop méconnu.

Je relirai ce bijoux avec plaisir.







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Ivan Moskva

Il y a plusieurs années j’avais abandonné la lecture de ce livre, trouvé indigeste, et difficile à lire. Mais il est des abandons qui me laissent un goūt amer, qui me font penser que je suis passé à côté de quelque chose...



J’ai donc repris ce livre et très vite, j’ai compris pourquoi je ne l’avais pas terminé : il débute d’une manière qui m’a parue chaotique : l’auteur énumère une série de faits difficiles à relier entre eux, Citons :

Premier fait

« La deuxième loi sur le rendement de l’énergie sera établie avec suffisamment de clarté pour les objectifs présents si nous disons qu’une seule et même quantité d’énergie ne peut être utilisée qu’une seule fois. ... »

Ici déjà, j’ai dû relire à plusieurs reprises le paragraphe d’où est extrait ce passage mais ma perplexité augmente quand arrive le second fait :

Deuxième fait

« C’était dans la ville de Moscou, cela avait commencé pendant la première année de la révolution. Un professeur d’histoire et d’histoire de l’art, Alexandre Vassiliévitch Tchaadaiev avait acheté durant un séjour en Égypte la momie d’une des femmes d’un pharaon... »



Et je n’en suis qu’à deux extraits de la première page de ce court récit (83 pages).



Je me suis accroché néanmoins et ai terminé ma lecture. Je n’oserais vous dire que j’ai tout compris ; le livre est truffé d’allégories et de symboles notamment dans ce passage :

“... et alors il apparut, il devint physiquement évident que dans le monde, á cet instant, eux seuls, Moskva et le soleil , étaient immobiles,

il fut physiquement évident que le soleil était immobile et que la terre, la mer, les éboulis, les montagnes, les forêts frémissaient ...”.

Je continue à éprouver des difficultés pour interpréter cet épisode. Si vous avez lu le livre, je serais curieux de découvrir votre vision...



La rédaction de cette critique est en cours depuis plusieurs semaines, et m’a poussé à relire plusieurs fois des extraits du livre !



Certains thèmes sont récurrents : - le progrès de la science et de l’industrialisation, on y trouve de belles pages sur l’avion, les mines de radium, élément qui illustre un autre thème important et omniprésent : l’énergie, et notamment l’énergie dégagée par le radium mais aussi celle émanant de la momie égyptienne. L’énergie est célébrée mais en même temps elle peut être destructrice :

« Le radium ! L’énergie du monde mise à nu ! Là où naît le radium (fait inconcevable!) — là où naît le radium rien ne vit, rien ne pousse, car les convulsions de l’homme, en s’amplifiant, apportent la mort. « 



Que dire aussi du style :

- de nombreuses répétitions rythment le récit, l’auteur utilise plusieurs mots savants, des mots anciens, des paroles dialectales (du groupe ethnique komi)

- Utilisations nombreuses de tirets, de trois points, de mots en majuscule, d’espaces entre les lettres d’un mot

- Ceci combiné avec un alignement désordonné des paragraphes dans la mise en page.



Lecture difficile, dérangeante mais qui continue à m’interpeller et je suis satisfait de l’avoir reprise. Je la reprendrai sans doute encore pour chercher à en comprendre toutes les clés

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Le conte de la lune non éteinte

Ce conte, a été publié en 1926 à l’époque où on assiste à la montée au pouvoir de Staline.

Boris Pilniak relate la mort d’un commandant de l’Armée Rouge, ici du nom de Gravilov, qui, souffrant d’un ulcère est prié par les autorités « de monter sur le billard »… trainé en salle d’opération celui-ci meurt. C’est en fait, l’histoire véridique de M.Frounzé, l’homme qui a succédé à Trotski à la tête de l’Armée Rouge, même si l’auteur s’en défend dans « un avertissement de l’auteur » en préface du livre.

Ce texte raconte comment « la machine infernale » du pouvoir broie ces sujets ; à sa sortie dans la revue littéraire « Novy Mir » il est immédiatement censuré et la revue réimprimée.

Boris Pilniak emploie un langage imagé et une écriture saccadée où les nombreuses répétitions nous déroutent et nous perdent. Dans ce rythme rapide, parfois haletant, Pilniak nous embarque au milieu de « cette ville machine » où l’industrialisation et la mécanisation changent les rapports au temps, à l’espace, et aux gens. Le texte est d’une originalité surprenante, tout concourt à annoncer et dramatiser l’événement qui se prépare : le temps est lugubre, le brouillard gris, « les bruits stridents » et « la lune fatiguée de courir » : on avait l’impression « qu’elle était affolée, qu’elle se dépêchait, qu’elle courait, qu’elle sautillait pour arriver quelque part, pour ne pas être en retard --- une lune blanche parmi des nuages bleu foncé et les noires crevasses du ciel. »

Puis le matin fatidique, tout redevient silence : « Le silence glacé de l’aube où « la lune se mourait dans les ténèbres de l’aube » où seul, le bruit du téléphone résonne entre l’hôpital et « l’homme au dos raide de la maison numéro un », tout, donc se taisait, « comme on doit se taire là où la mort est présente. »

Le récit est glaçant !

Lisez ce court récit il est le premier du « genre » et avec d’autres écrits il mènera son auteur à la mort !



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Le Pays d'Outre-Passe

Tension, angoisse donne à ce récit qui peut être considéré comme un carnet d’expédition polaire la dimension d’un roman fantastique et l’ampleur d’une épopée tragique.



Pilniak, malgré une écriture simple dans la forme, en passant dans ses descriptions d’une abondance de couleurs froides qui glacent le lecteur à des couleurs chaudes qui font se mélanger l’eau et le feu quand le ciel s’embrase, sait provoquer un état hallucinatoire. C’est tout au long du récit le sentiment d’une profonde désolation et d’une immense solitude dans un monde fermé aux hommes. Il sait aussi maintenir le mystère oppressant qui monte de l’environnement hostile : la peur de la mort, la perte des repères dans la brume et la glace donne naissance à une rivalité et une hargne entre les membres, de plus en plus anxieux, de l’expédition qui, pourtant, doivent se rendre à l’évidence que dans un tel environnement où la folie rôde, seul peut éventuellement permettre une survie, la solidarité, elle-aussi bien difficile à mettre en oeuvre dans ces conditions de vie extrêmes.



p 88-89 Le Sverdrup était cerné par les montagnes des icebergs. La terre était plus muette et plus majestueuse que jamais, terre de glaces et de falaises mortes, où nul ne vivait ni ne pouvait vivre, hormis des ours blancs et des oiseaux ; terre en majesté à jamais gelée, à jamais morte, terre que l'homme ne pourrait soumettre, terre hors humanité, hors popotes humaines. Quoi qu'on en dise, un sauvage demeure en chaque homme : ces terres, ce désert de mort étaient splendides, nul n'y avait séjourné jusqu'alors — émerveillement et terreur de voir, d'explorer, de connaître cela pour la première fois ! — Ils étaient pris dans les glaces, tous étaient sur le pont, le capitaine était sur sa passerelle, les navigateurs étaient à leurs postes, dans le gaillard d'avant, au gouvernail. Les heures avaient fui, la terre, devant, était à présent visible à l'œil nu, à une trentaine de milles, soufflant le froid, le gel, toute majesté et silence. La glace, la banquise érigeaient une muraille à l'entour. Dans l'eau, en troupeaux, les phoques regardaient, étonnés. La terre était bien visible, ce qu'on ne voyait pas c'était comment y aborder : elle n'était que neiges et glaces — glaces qui tombaient dans l'eau en à-pic … Terre, terre ! … Le Sverdrup accosta à 0 h 10 mn. Toute la nuit, au septentrion, une aurore rouge sang, inouïe, empourpra l'univers entier. L'eau était rouge, lilas, noire, verte.. Puis, en une journée et une nuit, .... elle passa par toutes les nuances de mauve, fut tour à tour brune et d'un bleu profond. Le ciel était tout à la fois rouge, cuivré comme le cuivre porté à l'incandescence, bleu d'acier oxydé, blanc de neige, rose comme les roses et, à la minuit, le ciel nocturne, au sud, était obscur.



Comme les membres de cette expédition, le lecteur est partagé entre l’effroi et l’émerveillement. Un livre court mais prenant et beau.
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Le conte de la lune non éteinte

Le conte de la lune non éteinte est un court récit de 88 pages, mettant en scène l'exécution programmée d'un commandant de l'armée rouge, à l'époque de la révolution stalinienne.

Le texte en lui-même a connu un destin digne d'un roman d'aventures. Publié en 1926 dans une célèbre revue littéraire « Novy Mir », il fut rapidement censuré, le rédacteur en chef de la dite revue licencié et les exemplaires du magazine saisis, y compris chez les abonnés. Par une farce de l'ironie, c'est un autre auteur emprisonné qui découvre un exemplaire rescapé de la purge, dans la bibliothèque de la prison des Boutyrki en 1937.



Dans le récit, le commandant de l'armée rouge est un homme célèbre dans toute la Russie pour avoir grandement contribué à la révolution et ses faits d'armes sont très appréciés et largement commentés.

Ce qui aiguise la paranoïa de certains dirigeants.

Sommé par « L'homme au dos raide » aka Staline, de faire soigner ses problèmes d'estomac, le commandant n'a d'autres choix que d'accepter de subir une opération menée par deux chirurgiens soigneusement choisis par le Parti.



Boris Pilniak retrace les derniers instants de ce commandant donnant voix à un personnage réel, également commandant de l'armée Rouge, avant de devenir commissaire du Peuple aux Affaires Militaires, et décédé dans des conditions mystérieuses sur une table d'opération.

Par le truchement de métaphores, il va s'interroger sur les raisons qui pousse un homme à accepter de s'étendre volontairement sur son lit de mort.

Il imagine et décrit les mécanismes qui permettent à la Révolution d'assassiner ses propres enfants.



Un texte puissant, d'autant plus lorsque l'on sait que, suite à sa publication, il aura coûté la vie à son auteur, emprisonné pour trahison et exécuté 12 ans plus tard.

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Trois récits fantastiques slaves

Nouvelle de Boris Pilniak « La Ville des vents ».C’est ma première lecture de cet auteur russe, victime 1937 des grandes purges. C’est une belle découverte.

Pavel, russe adopté par une famille allemande 1914, part en Russie à la recherche de son père. Il retrouve sa trace et arrive à Bakou au bord de la Caspienne.

Pavel dans sa quête, Bakou, le feu, le pétrole et le vent, Pilniak mêlent à merveille ces éléments, dans un style vif, alerte et poétique. Boris Pilniak critique et dénonce les méfaits de l’exploitation du pétrole et de l’industrialisation … On peut dire qu’il était en avance sur son époque.

Dans Bakou le pétrole entretenait, depuis la nuit des temps, un feu dans un temple Zoroastrien où les Indiens venaient mourir et bruler. Mais une autre religion engendré pour les besoins de la civilisation à fait naitre une forêt de derricks et le feu sort de ces torches modernes, attisé par les vents violents et hurlants. Bakou, la noire engluée a perdu son âme…

« Dans la nuit des ténèbres, depuis les hauteurs de la Vieille Ville, on apercevait les lumières des villes neuves, la Ville Noire et la Ville Blanche, où sont transformés les entrailles de la terre, car la civilisation de l’humanité actuelle se doit de lancer des avions dans le ciel, de propulser des navires par les océans, de goudronner les routes et les rues des villes, car tout ceci est indispensable à l’humanité. En bas sur plusieurs centaines de verstes, s’étendait la terre noire du désert recouverte de bitume et de pétrole qui fut jadis l’autel des Adorateurs du Feu, hommes qui craignaient le feu et qui craignaient cette terre, maudite pour la nature de la vie humaine, et où la volonté des hommes actuels avait envoyé des personnes par milliers…

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Le conte de la lune non éteinte

Un court récit. Basé sur des faits réels : la mort sur la table d’opération de Frounzé, commandant de l’armée rouge en 1925. Une mort très suspecte car « ordonnée » en haut lieu. Une opération à laquelle s’opposait le patient. Une façon de se débarrasser d’un homme populaire, le tuer tout en lui rendant hommage.



Cependant, Boris Pilniak se défendit d’une telle intention. Il aurait bien du mal à faire autrement : publié en 1926 dans un journal, ce récit fera scandale et tous les exemplaires seront recherchés et, pour beaucoup, détruits. Il vaudra l’opprobre à son auteur qui finira fusillé en 1938. 



Cela tient du miracle que des exemplaires aient survécu à la purge.



Ce conte est frappant par son style, fait de répétitions, de coupures, d’une originalité frappante ne pouvant laisser le lecteur indifférent. Le ton est halluciné, oppressant. 



À l’image d’un régime qui, tel Chronos, dévore ses propres enfants. Une inhumanité tellement installée que même la future victime ne se rebelle pas, se résigne à sa mort décidée sur une table d’opération. Lui, qui ne voulait pas de l’opération, s’y résigne lorsqu’il comprend que c’est sa mort qui se décide. 



Une très belle découverte pour laquelle il faut saluer les éditions interférences, avec leur catalogue regorgeant de pépites méconnues et dont le travail editorial est très soigné.



Bref, n’hésitez pas à vous laisser tenter ! 
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Le conte de la lune non éteinte

C’est à la suite d’une recommandation de Babelio que j’ai appris l’existence de l’écrivain soviétique Boris Pilniak. Comme beaucoup d’autres à cette époque, sa courte vie a pris fin en 1938. À la fin des années 1920 et au début des années 1930, il était l’un des auteurs les plus lus en Union soviétique. Mais, suspecté d’être un dangereux trotskiste, une accusation qui équivalait à une sentence de mort, il a été arrêté au moment des grandes purges. Son œuvre est peu à peu tombée dans l’oubli et ce n’est que cinquante ans plus tard qu’elle a été redécouverte. Il fait partie de ces nombreux écrivains soviétiques qui, à l’image de Vassili Grossman ou Boris Pasternak plus tard, ont eu maille à partir avec la terrible censure. Malheureusement pour lui, Pilniak écrivait à l’époque de Staline et il a été fusillé. Ironie du sort : Alexandre Voronski, l’éditeur à qui l’ouvrage est dédicacé, et qui l’a refusée comme étant insultante pour lui, bolchevik sincère, a subi le même sort que l’écrivain, mais un an avant lui !

Publiée en 1926, Conte de la lune non éteinte est une œuvre incroyablement audacieuse dans ce contexte. L’écrivain ne craint pas de présenter sa version d’un événement contemporain qui a fait beaucoup de bruit. Une version non officielle certes, mais largement partagée par ses compatriotes. Il met en scène un leader disposant d’un pouvoir sans limite, « l’homme qui ne se courbait pas », donnant l’ordre au dénommé Gavrilov, commandant en chef de l’Armée rouge, de se faire opérer d’un ulcère à l’estomac. Ce dernier, qui a sans l’ombre d’un doute envoyé à la mort des milliers de personnes, s’estime guéri. Il doit cependant s’incliner humblement devant la volonté du leader, car la loi d’airain de la discipline révolutionnaire ne saurait être contestée…

Le style de Pilniak est tout à fait étonnant ; rien n’est jamais vraiment explicite, tout est fortement suggéré, mais avec un grand pouvoir évocateur, comme lors de l’entretien, glacial, entre Gavrilov et le leader. L’auteur semble fasciné par le développement technologique de son pays. La ville y est un personnage à part entière, comparé à une machine : « la machine de la ville était en marche ». Les images de Pilniak sont tout à fait originales : « quand la ville commença à pleurer les larmes humides de ses réverbères mouillés » ou « les rues alors se vidaient pour se reposer dans la nuit ». Cette personnification crée un climat oppressant qui semble peser sur tous les habitants, Gavrilov en premier. Il faut sortir de la ville pour retrouver un semblant de quiétude. Pilniak use et abuse des tirets, sa phrase devenant foisonnante par endroits, et les répétitions ne lui font pas peur. J’avoue que ce style n’est pas ma tasse de thé, je préfère nettement quand c’est moins heurté, plus fluide, plus poétique aussi. On pourra m’objecter, et on aura sûrement raison, que la poésie n’est pas absente de ce texte mais ce n’est pas cette forme de poésie que je préfère. Il reste une histoire remarquablement contée, sous le regard de la lune, que la petite Natacha, fille d’un vieux camarade du commandant, ne peut éteindre. Pilniak ne pourra éteindre les critiques qui se déchaîneront contre lui. N’a-t-il pas craint d’évoquer, suprême audace, « les procès à grand spectacle des bolcheviks » ? Il en sera lui-même victime quelques années plus tard.

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Une femme russe en Chine

C'est l'histoire vraie d'une jeune femme Russe au destin peu commun. Fille d'un riche marchand, elle épousera un Bolchevik. Mais l'ancien monde ne la lâchera pas pour autant : vendue à un consul chinois, elle se retrouvera esclave, avant de repasser dans le camp révolutionnaire en s'intégrant au parti communiste chinois.
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Le conte de la lune non éteinte



Excellent et curieux ouvrage que celui-ci, à mi-chemin entre "le procès" et "le zéro et l'infini", d'une plume froide et acérée, qui aborde l'époque de la liquidation des liquidateurs, sur la base de faits réels. A noter également: l'ouvrage a été primé lauréat du prix Russophonie 2010 - meilleure traduction du russe vers le Français. Et en effet, la traduction nous offre un texte absolument époustouflant, tant dans le rythme de la narration que dans les images et la lumière apportée à l'histoire. Ville machine palpitant dans le brouillard, sous l'oeil de la lune blafarde qui regarde, tranquille et glacée, l'espèce humaine soumise à la fortune.



Le Commandant Gavrilov est une des figures les plus légendaires de la guerre civile, un des bras armés de la révolution. Une des vérités de la révolution bolchevique peut-être celle-ci: qui a vécu par l'épée périra par l'épée. Qui a broyé, tué au nom de la Révolution, sera tué et broyé par la Révolution.



Gavrilov, derrière la légende, est un homme ordinaire. Avec ses faiblesses d'homme ordinaire. Dont un ulcère, pour lequel il est envoyé en Ukraine pour se soigner. Curieusement, malgré un léger rétablissement du Commandant, les pontes du régime insistent lourdement en vue de lui faire subir une opération. Qui s'avère loin d'être indispensable.



Lucide, Gavrilov pressent ce qui l'attend, et s'apprête à mourir. Alors qu'il aurait pu échapper au destin que lui réservait la révolution qu'il avait servi, il se soumet à sa logique impitoyable.

Cet ouvrage a une histoire vraiment particulière. L'éditeur précise:

"Publié en 1926 dans la célèbre revue littéraire Novy Mir, ce petit texte d'une grande originalité stylistique a été immédiatement perçu comme un brûlot. Il raconte, dans un style cinématographique et saccadé, l'histoire d'un commandant de l'armée Rouge que les autorités obligent à se faire opérer d'un ulcère, et qui meurt sur la table d'opération. Bien que l'auteur se fût à l'époque défendu d'avoir tiré son sujet de la réalité, tout le monde reconnut dans le personnage principal Frounzé, héros de la guerre civile et commissaire du peuple, mort dans les mêmes conditions, et dans le personnage sans nom qui l'oblige à cette opération funeste (NDLR: l'Homme au dos raide), Staline qui était alors en train de s'emparer du pouvoir. Ce récit qualifié de « contre-révolutionnaire et calomnieux à l'encontre du Comité central et du Parti » et immédiatement censuré (tous les numéros de la revue déjà en circulation furent confisqués et détruits) est l'un des premiers textes littéraires à décrire de l'intérieur la machine infernale de la révolution broyant peu à peu ses enfants, et à réfléchir sur la fuite en avant que provoque le déchaînement de forces incontrôlables."

A ce sujet, le récit était devenu quasiment mythique, puisque presque radié de la surface de la terre. Quelques écrits sont restés. L'auteur fera amende honorable et gagnera ainsi dix années. Ce qui ne l'empêchera tout de même pas de mourir fusillé en 1938, et de voir son oeuvre retirée de toutes les bibliothèques du régime et bannie durant des décennies.
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Le Pays d'Outre-Passe

A partir d'une expédition scientifique dans le grand Nord à laquelle il a participé, Boris Pilniak écrit un romand âpre et profond sur l'homme, la nature, la volonté de conquête des terres inviolées, et la dimension de la femme. Très belle construction du récit en échos, retours, miroirs.
Lien : http://edl.revues.org/431
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L'année nue

Ce livre est un diamant brut.
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L'année nue

Je me trouve présentement avec un bien charmant bâton merdeux entre les mains pour rédiger cette chronique. En effet, dire que ce roman de Boris PILNIAK est original serait faire preuve d’un euphémisme exacerbé. Disons-le tout de suite, je ne suis pas certain d’avoir bien compris ce que l’auteur décrit. Le savait-il lui-même ? Mais cela suffit, détaillons les faits. Le livre écrit en 1920 évoque la nouvelle Russie post révolutionnaire, tout juste née et déjà malade, plus précisément cette année nue de 1919. Ici pas de personnages principaux, mais des tas de figures se croisant, de tous bords, de toutes obédiences. En toile de fond, la famine, la misère, un pays reconstruit à partir de bouts de ficelles, qui avance à l’aveuglette. Cette espèce d’immense épopée se passe en grande partie dans les steppes d’une Russie rurale près de l’Asie. On s’y suicide en masse, on avorte à gogo, on picole, les fêtes ressemblent à une caricature grotesque d’un peuple heureux, des orgies païennes et mémorables. Heureux, ce peuple l’est pourtant dans les champs, décidé à ne plus rien posséder, tout laisser à la collectivité, à la communauté. Mais rien que la structure narrative est complexe, alternant le présent avec un passé ancestral garni de rites, de coutumes, de légendes. Les chapitres sont bizarrement découpés, on peut y lire des chansons populaires, des extraits de bouquins, d’affiches, les nombreux personnages présents sont effacés, comme inexistants. Sur ce point je dirais que l’auteur a voulu pointer le mal que fait cette Russie bolchevique, en annihilant l’humain en tant qu’individu. Ce roman me paraît expérimental dans son tronçonnement, les anecdotes très variées survenant comme un cheveu sur la soupe. Il serait même plausible que des parties aient été écrites comme des cadavres exquis. Ce dont on est sûrs, c’est qu’il s’agit d’un puzzle de l’auteur. En effet, ce roman est tissé à partir de nouvelles et autres écrits de PILNIAK avant 1920. Détricoté aussi. Car lorsque l’auteur se lance par exemple sur la piste des « Verts », ces contestataires individualistes qui refusant toute obéissance, se terrent dans les bois pour y vivre, c’est pour mieux les abandonner ensuite, sans que l’on sache vraiment ce qu’il advient d’eux. Il en est de même pour les groupuscules anarchistes plus ou moins organisés. Ils échouent, mais dans un brouillard opaque. L’horloge omniprésente (peut-être le personnage le plus important du récit) égrène les heures, les minutes. Le folklore russe est très représenté et nous permet de connaître un peu plus la vie jadis dans ces régions rudes, reculées et glaciales. On y parle magie noire. Et on en vient au grand questionnement : et si ce livre complètement morcelé était un chef d’œuvre ? Morcelé, comme la Russie de 1919, éparpillé tout comme elle. Souvenez-vous des bouts de ficelle évoqués plus haut dans cette chronique, le livre semble lui-même avoir été écrit de cette façon, avec des bouts de chandelles, sur des ruines, accouchant d’une fresque présentée en puzzle, comme l’est cette Russie dynamitée, qui comme le récit, fait du neuf avec du vieux. PILNIAK appelle les bolcheviks « Les hommes en vestes de cuir ». La cruauté s’immisçant partout, STALINE lui-même reprendra cette expression dans ses discours. Précisons que PILNIAK était anarchiste, férocement opposé au bolchevisme. On se demande si dans ce livre se cachent des pensées subliminales, si la structure même n’est pas là rien que pour brouiller les pistes. Car en plus de ce patchwork sans nom, concernant les noms des personnages justement, PILNIAK s’amuse à en prénommer deux de la même façon, mais parfois sans rajouter le patronyme, ce qui nous fait douter de l’identité de l’interlocuteur. Cette « Année nue » pourrait être classée du côté des dystopies, mais elle est trop décalée pour ceci. Elle n’est pas complètement historique, car bien que le fond le soit franchement la forme déroute, elle est par ailleurs en tout point novatrice. Peut-être qu’en fin de compte on y trouve ce que l’on veut bien y trouver et que ce « truc » hybride peut être compris de différentes façons. Il est considéré comme le tout premier roman dénonçant le bolchevisme, d’où sa valeur historique. Quoi qu’il en soit, GORKI va tirer sur PILNIAK à boulets rouges, un PILNIAK au centre de la scène devenant un paria et accusé de trotskysme. Il est fusillé en 1938. Si vous décidez de vous attaquer à ce livre, n’y allez pas au trot, les mains dans les poches et en sifflotant, vous pourriez changer de mélodie après seulement quelques pages, constatant que vous ne contrôlez plus une monture qu’il vous faudra pourtant ménager pour parvenir au terme de cette tumultueuse aventure.

Je me trouve présentement avec un bien charmant bâton merdeux entre les mains pour rédiger cette chronique. En effet, dire que ce roman de Boris PILNIAK est original serait faire preuve d’un euphémisme exacerbé. Disons-le tout de suite, je ne suis pas certain d’avoir bien compris ce que l’auteur décrit. Le savait-il lui-même ? Mais cela suffit, détaillons les faits. Le livre écrit en 1920 évoque la nouvelle Russie post révolutionnaire, tout juste née et déjà malade, plus précisément cette année nue de 1919. Ici pas de personnages principaux, mais des tas de figures se croisant, de tous bords, de toutes obédiences. En toile de fond, la famine, la misère, un pays reconstruit à partir de bouts de ficelles, qui avance à l’aveuglette. Cette espèce d’immense épopée se passe en grande partie dans les steppes d’une Russie rurale près de l’Asie. On s’y suicide en masse, on avorte à gogo, on picole, les fêtes ressemblent à une caricature grotesque d’un peuple heureux, des orgies païennes et mémorables. Heureux, ce peuple l’est pourtant dans les champs, décidé à ne plus rien posséder, tout laisser à la collectivité, à la communauté. Mais rien que la structure narrative est complexe, alternant le présent avec un passé ancestral garni de rites, de coutumes, de légendes. Les chapitres sont bizarrement découpés, on peut y lire des chansons populaires, des extraits de bouquins, d’affiches, les nombreux personnages présents sont effacés, comme inexistants. Sur ce point je dirais que l’auteur a voulu pointer le mal que fait cette Russie bolchevique, en annihilant l’humain en tant qu’individu. Ce roman me paraît expérimental dans son tronçonnement, les anecdotes très variées survenant comme un cheveu sur la soupe. Il serait même plausible que des parties aient été écrites comme des cadavres exquis. Ce dont on est sûrs, c’est qu’il s’agit d’un puzzle de l’auteur. En effet, ce roman est tissé à partir de nouvelles et autres écrits de PILNIAK avant 1920. Détricoté aussi. Car lorsque l’auteur se lance par exemple sur la piste des « Verts », ces contestataires individualistes qui refusant toute obéissance, se terrent dans les bois pour y vivre, c’est pour mieux les abandonner ensuite, sans que l’on sache vraiment ce qu’il advient d’eux. Il en est de même pour les groupuscules anarchistes plus ou moins organisés. Ils échouent, mais dans un brouillard opaque. L’horloge omniprésente (peut-être le personnage le plus important du récit) égrène les heures, les minutes. Le folklore russe est très représenté et nous permet de connaître un peu plus la vie jadis dans ces régions rudes, reculées et glaciales. On y parle magie noire. Et on en vient au grand questionnement : et si ce livre complètement morcelé était un chef d’œuvre ? Morcelé, comme la Russie de 1919, éparpillé tout comme elle. Souvenez-vous des bouts de ficelle évoqués plus haut dans cette chronique, le livre semble lui-même avoir été écrit de cette façon, avec des bouts de chandelles, sur des ruines, accouchant d’une fresque présentée en puzzle, comme l’est cette Russie dynamitée, qui comme le récit, fait du neuf avec du vieux. PILNIAK appelle les bolcheviks « Les hommes en vestes de cuir ». La cruauté s’immisçant partout, STALINE lui-même reprendra cette expression dans ses discours. Précisons que PILNIAK était anarchiste, férocement opposé au bolchevisme. On se demande si dans ce livre se cachent des pensées subliminales, si la structure même n’est pas là rien que pour brouiller les pistes. Car en plus de ce patchwork sans nom, concernant les noms des personnages justement, PILNIAK s’amuse à en prénommer deux de la même façon, mais parfois sans rajouter le patronyme, ce qui nous fait douter de l’identité de l’interlocuteur. Cette « Année nue » pourrait être classée du côté des dystopies, mais elle est trop décalée pour ceci. Elle n’est pas complètement historique, car bien que le fond le soit franchement la forme déroute, elle est par ailleurs en tout point novatrice. Peut-être qu’en fin de compte on y trouve ce que l’on veut bien y trouver et que ce « truc » hybride peut être compris de différentes façons. Il est considéré comme le tout premier roman dénonçant le bolchevisme, d’où sa valeur historique. Quoi qu’il en soit, GORKI va tirer sur PILNIAK à boulets rouges, un PILNIAK au centre de la scène devenant un paria et accusé de trotskysme. Il est fusillé en 1938. Si vous décidez de vous attaquer à ce livre, n’y allez pas au trot, les mains dans les poches et en sifflotant, vous pourriez changer de mélodie après seulement quelques pages, constatant que vous ne contrôlez plus une monture qu’il vous faudra pourtant ménager pour parvenir au terme de cette tumultueuse aventure.

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