Citations de Brigitte Benkemoun (65)
Comme avec Dora, le peintre [Picasso] s'est toujours acharné à convaincre Brassaï de lâcher la photo pour reprendre le dessin: "Vous avez une mine d'or, et vous exploitez une mine de sel."
Aimer la poésie c'est vouloir approcher l'indicible de la vie intérieure. Aimer la poésie c'est être capable de se laisser emporter par des images, des émotions, c'est savoir écouter la musique des mots, parfois aimer sans comprendre, juste ressentir...
Pourquoi faudrait-il plus de fidélité en amitié qu'en amour ? Pourquoi maintenir un lien quand on ne partage que des souvenirs ?
Tous ceux à qui j’ai raconté l’histoire d’Albert se souviennent de l’infinie solitude adolescente, la peur, le dégoût, la honte… Ils évoquent parfois les premiers attouchements : ceux dont ils se sentaient coupables, et ceux qu’ils inventaient pour se sentir moins responsables. Ils se sont longtemps forcés, menti… et, parfois, ils ont voulu mourir… Désespérés par ce « vain combat ».
Mais, les uns et les autres ont fini par trouver des réponses ou des soutiens, dans des associations, la littérature, la psychanalyse, au cinéma, ou sur internet. Un siècle plus tôt, à qui Albert pouvait-il s’adresser ?
Rompre avec les choses réelles, ce n'est rien, mais avec les souvenirs...
3. « Et en 1983, dix ans après sa mort [de Picasso], un médecin canadien trouve de façon assez mystérieuse chez le peintre un paquet où il est écrit : "Pour Dora". Il essaye de la joindre. Elle ne répond pas. Alors, il finit par l'ouvrir et découvre une bague, gravée P et D. À l'intérieur ; il y a un petit clou qui l'aurait forcément blessée si elle y avait glissé son doigt... Comme autrefois le couteau des Deux Magots. » (pp. 315-316)
Je lui raconte -Guernica-, ces quelques mois d'extase, en 1937, où elle s'imagine peindre avec lui en le photographiant. "Oui c'est exactement ça..." Mais il pense qu'elle devait être déjà fragile avant de le rencontrer. "Il ne l'a pas rendue folle, ils se sont trouvés. Cette osmose totale, qu'elle a cru vivre, a rendu la rupture plus douloureuse encore...Puis Dieu a dû remplacer Picasso..." (p. 151)
En vieillissant, on s'exagère.
Enfin libéré, il s’efforce de marcher d’un pas léger. Mais, le cœur à toute allure, il se retourne sans cesse, craignant d’être suivi, ou reconnu. Et comment ne pas remarquer ce petit homme inquiet, rougeaud et transpirant, dans son costume fripé et sa chemise trempée ? Combien de temps a-t-il erré avant de se décider à rentrer chez lui ?
Alors que je porte cette histoire depuis des années, sans le savoir, je me suis décidée à l’écrire à l’âge qu’ils avaient tous les deux au moment de leur mort. Cette invraisemblable concordance des temps est un miroir déformant qui subitement superpose nos visages et nos vies. Cet âge est une image, en trois dimensions : un vieux juif qui agonise à Sidi Bel-Abbès, un autre à Auschwitz, et moi, ici et maintenant, qui ne sais pas trop ce que je cherche à travers ces aïeux. Cet âge éclaire ce que nous avons en partage : l’Algérie, Oran, l’attachement viscéral à la France…
Qui qu’il soit, il est « anormal », quoi qu’il dise, il est condamnable. Est-il en train de devenir fou, ou serait-ce plutôt une maladie ? Entre toutes, la plus honteuse : une perversion, une inversion, une erreur épouvantable qui l’a fait homme … Par moments, il se force, il se blinde, espérant se soigner ainsi comme d’une fièvre qui finira par passer. Il réprime les pulsions et les émotions, et il se mûre en lui-même , dans cette prison intime où les désirs sont interdits.
Tu aurais pu te pacser avec Etienne, te marier avec « Monsieur Roux », « J’ai eu sincèrement peur que la morale de ton histoire n’aboutisse à la condamnation de l’assimilation (…) Tu aurais eu tort d’aimer les hommes …Tort évidemment de croire en la France plus qu’en Dieu.
Quel homme infidèle peut avoir l'idée de loger ses deux maîtresses dans un tel mouchoir de poche ?
Maîtresse officielle est son titre de noblesse, la femme qui pleure sa camisole.
Je pourrais laisser la chance continuer à guider mes pas, feuilleter les yeux fermés, et accepter comme un défi le premier nom sur lequel mon doigt se poserait : Eluard, comme par hasard...
Mais, puisque j'ai décidé de faire parler ce carnet, il suffit peut-être de l'écouter. Il chuchote les mots de trouvaille, objet trouvé, chance ou coïncidence...Il me conduit forcément chez Breton, immense théoricien du hasard objectif.
"La trouvaille d'objet, disait-il, remplit ici rigoureusement le même office que le rêve, en ce sens qu'elle libère l'individu de scrupules affectifs paralysants, le réconforte et lui fait comprendre l'obstacle qu'il pouvait croire insurmontable est franchi."
Donner la vie sera toujours pour lui l'ultime création.
Alors, après avoir adoré ses photos, j'ai fini par aimer ses tableaux, ses paysages épurés, ses natures mortes, à la fois sombres et lumineuses , ses croquis pointillistes, et cet acharnement à poursuivre son chemin sans se soucier des critiques.
Dora et Balthus ont un autre point commun : ils se deginissent tous les deux comme des artistes chrétiens ! Ils prient tous les matins avant de commencer à peindre comme" une voie d'accès à Dieu, (...) une quête vers la Merveille" ( extrait de Mémoires de Balthus ) . Il est probablement le seul à comprendre ce qu' elle éprouve et à ne pas s 'inquiéter de ce que les autres apoelkent une"derive mystique ".
Elle n’est dupe de rien. Elle sait bien qu’on l’invite parce qu’elle est une légende vivante de l’art moderne et qu’on la présente toujours comme « la femme qui pleure ». Elle doit même savoir qu’on dit « la pauvre » et qu’on interdit aux autres invités de prononcer le nom de Picasso.
Albert et sa famille emménagent , au début de l'été 1894, rue Lord-Byron, en plein centre de Bel-Abbès. A l'époque, et encore aujourd'hui, on prononce "lorbiron", sans imaginer un seul instant qu'il puisse s'agir d'un Anglais, encore moins d'un poète.