Callan Wink vient de publier son premier roman chez Albin-Michel "Courir sous la lune avec un chien volé".
Ecoutez cet entretien de ce journaliste du New Yorker qui revient sur son recueil de nouvelles !
Parfois, au réveil, assommés de chaleur, ils devaient se détacher l'un de l'autre, leurs membres emmêlés et collés ensemble comme les quartiers charnus de quelque fruit bizarre.
" Les cartons. Déménager, mourir, se séparer. Tous les drames de l'existence sont marqués par ces maudites boites cubiques et leur horrible couleur marron."
- Le monde a bien changé, et des fois j'suis pas mécontent à l'idée de le quitter bientôt.
- Raconte pas de conneries.
- Nan, j'suis sérieux. T'entres dans un bar et personne se parle plus. Y z'ont tous les yeux fixés sur leur téléphone ou je sais pas quoi. L'autre jour, je suis allé à Denver voir mon fils. A l'aéroport, dans tous les bars y z'ont foutu ces foutus iPods. Vissés devant les tabourets pour qu'on puisse pas les faucher. Je demande une bière au barman, et y me répond qu'y peut pas me servir. Fallait que j'appuie sur une touche de l'iPod. Alors, j'fais, qu'est-ce que vous foutez là si vous pouvez pas me servir ? Y me répond, ben faut bien qu'y ait quelqu'un pour décapsuler les bouteilles. Faites gaffe, j'y dis, passqu'un jour y trouveront un moyen pour le faire aussi.
Peu après l’aube, elle vit depuis sa véranda six vautours qui, portés par un courant ascendant, les ailes déployées, planaient en décrivant des cercles. Les corbeaux et les corneilles aussi étaient venus. Elle les entendait, un vol noir qui piquait vers la ravine, sombre comme du marc de café répandu sur l’herbe sèche. Elle songea qu’elle aurait peut-être dû recouvrir la carcasse de terre, mais c’était sans doute mieux comme ça. Des funérailles bouddhistes – elle avait entendu dire que c’était ainsi que le Tibétains procédaient.
La veille encore, le spectacle des oiseaux dévorant son bœuf l’aurait anéantie, mais aujourd’hui, les choses se présentaient mieux. Un projet, c’était ce dont les gens avaient réellement besoin pour aller de l’avant.
J'étais perdu.
Ou, plus exactement, mon père était perdu et j'étais avec mon père. Etais-je donc perdu par défaut ? je suppose que oui. Certains diraient qu'être perdu est héréditaire, tout comme le fait d'avoir les yeux bleus, d'être alcoolique ou d'avoir tendance à voir le verre à moitié vide.
Je pense que les femmes sont la seule véritable source de motivation pour les hommes.
“Just because you have a word to put on something doesn’t mean you understand it any better. Does it?”
(Juste avoir le mot pour nommer, exprimer quelque chose ne signifie pas le comprendre mieux, n'est-ce-pas ?)
BREATHARIANS
Il se réveilla tôt, déjeuna d’un simple sandwich aux œufs accompagné d’un café. Après Denver, le trafic redevint fluide et le paysage montagneux changea. Il se trouvait dans le Colorado mais ça aurait pu être n’importe où. Il déboucha dans le nord de l’Oklahoma, qu’il traversa à peu près dans le temps qu’il faut pour écouter un album de Townes Van Zandt, et, à l’instant où le soleil se levait sur l’immense plaine hérissée de puits de pétrole qui s’étendait à perte de vue, James pénétra au Texas.
Au-dessus de la chaine des Bighorn Moutains, le ciel était rouge, sillonné d'un noir de suie. Il roula vite et aborda à plus de cent quarante kilomètres heure la dernière colline qui descendait vers la vallée de la Little Bighorn. On aurait dit une charge impétueuse, une percée dans les dernières lueurs d'un coucher de soleil sur Mars. Il baissa sa vitre pour laisser entrer l'air du soir. Il n'y avait qu'ici, songea-t-il, que le ciel évoquait une blessure infectée. Que disait le dicton déjà ?
Ciel rouge le soir, les marins perdent espoir ?
Ciel rouge le soir, enferme ta femme dans le noir ?
Et pourquoi pas : ciel rouge le soir, les méchants surgissent du purgatoire ?
Elle lui lisait parfois des extraits de nouvelles ou de poèmes écrits par ses élèves. James devait admettre que certains étaient assez remarquables. Il y en avait un en particulier qu’il n’oublierait jamais, tant pour les mots eux-mêmes que pour la manière dont Carina l’avait lu, nue et allongée sur le ventre, les jambes levées, faisant claquer ses talons l’un contre l’autre pour scander les paroles : Je le regarde, ce garçon qui ne m’aime pas, et c’est comme si un blaireau s’était introduit dans ma poitrine. Il me piétine l’estomac pendant qu’il me dévore le cœur.