Si son rire se voyait au lieu de s’entendre, je crois qu’il serait un ensemble de cristaux grésillant de lumière pareils à une pluie d’étoiles filantes. Un ciel trop noir qui explose soudain en milliards de ...
ce passage de l’enfance à l’âge adulte, je me sens comme un oisillon. Je suis un hirondeau toujours incapable de voler, arraché du nid par un ouragan et emporté au cœur d’une forêt remplie de loups.
Il est très vieux − au moins cinquante ans −, avec un nez gros et rouge comme un fruit à moitié pourri. On dirait que toute sa chevelure a quitté sa tête et a été remplacée par des sourcils. Remarque que ce n’est pas plus mal : il n’a sans doute plus de cheveux depuis si longtemps qu’il ne saurait pas comment les peigner. Sa bouche semble coincée dans une expression de dégoût perpétuel. Sa peau ressemble à du métal oxydé, marquée de taches de vieillesse et de plaques de psoriasis.
Et nous remontons dans le même premier bus qu’hier. Le chauffeur est différent, cette fois, Guadalupe. Au lieu d’être un vieux pansu, il s’agit d’un homme dans la trentaine, mince comme son levier de vitesses.
Après, lorsqu’elle m’a vu pour la première fois, ma mère était très contente. Elle m’a aimé tout de suite. Elle a regretté de ne pas avoir voulu de moi au début. Avoir essayé des choses qui lui ont fait très mal au ventre.
Le paradoxe du désert qui nous cuit le jour pour nous frigorifier la nuit.
Mais c’est plus fort que moi. Dieu m’a faite belle, Dieu m’a faite riche, et, pareille à un tableau soigné du plus grand des peintres, je me complais à faire étalage de mes traits et de mes soieries à qui veut les admirer.
Je suis un appât, Guadalupe. Un vulgaire appât. Aussi démunie, aussi impuissante qu’un ver de terre frétillant au bout d’un hameçon.
Il faut vivre en permanence dans un monde d’hommes pour saisir l’intensité des désirs qui nous réveillent la nuit, nous privent de nous rendormir, nous font oublier jusqu’à nos estomacs vides ! Les femmes…
Vaillancourt est une moumoune. C’est la conclusion à laquelle arrive Sébastien Landrieux. Vaillancourt est une sorte de demi-homme, trop maniéré pour être un vrai mâle. Voilà. Tous les jours, Vaillancourt vient donner ses cours de français vêtu d’un veston brun ou gris foncé enfilé sur une chemise ou un t-shirt aux couleurs agencées. Son pantalon est toujours impeccable, ses chaussures propres et cirées. L’enseignant a une allure trop distinguée pour être décontractée. Sans parler de sa chevelure blanche et abondante, bien peignée, avec une raie sur le côté, de ses yeux noirs et profonds,de son nez parfait, de son sourire à la dentition parfaite et de ses joues rasées de frais. Et là, encore, on ne parle pas de sa voix égale, de son timbre clair, et de sa façon de bouger les poignets quand il explique quelque chose… Franchement ! On dirait une danseuse de flamenco. Non, décidément, si Vaillancourt est un homme de cinquante ans avec la classe d’un James Bond, il est loin d’en dégager la force virile. Pas de quoi s’attirer la sympathie de Sébastien Landrieux. Sébastien, lui, a quinze ans. Il est en quatrième secondaire comme son ami Thibault qui a quinze ans, lui aussi. Sébastien est le gars le plus séduisant de l’école. Ou le deuxième ou le troisième, ça dépend des goûts, bien sûr, mais Sébastien est vraiment un beau bonhomme. Il ressemble à cet acteur, dont l’adolescent oublie toujours le nom, mais qui joue Superman au cinéma. Thibault est plutôt le quatrième, ou le sixième, ou le huitième, mais il n’est pas mal non plus, et les deux gars adorent profiter du succès qu’ils ont avec les filles. D’ailleurs, ce sont les étudiantes les plus jolies de l’établissement qui leur tournent autour sans arrêt, ce qui ne manque pas de les conforter dans leur certitude d’être eux-mêmes de sacrés beaux partis. Il n’y a que Sabine Sansfaçon, indépendante et méprisante, qui ne leur prête aucune attention. Par malchance, cetteadolescente a été élue « carrosserie en pole position » de l’école deux années d’affilée par un concours officieux organisé par le non moins officieux club des amateurs d’anatomie, dont Sébastien et ses amis proches sont les membres assidus et enthousiastes. Mais aucun des gars n’est parvenu à la séduire. — T’as vu ceux qui jasent en avant? demande Thibault à Sébastien lorsqu’ils s’installent à leur pupitre au fond de la classe de français. — Autour de Mohamed ? s’enquiert Sébastien. — Ouais. — Jérémie pis Jonas ? — Avec Élie et Jésus. — Ouais, pis ? fait Sébastien. — On dirait une réunion de prophètes. Sébastien fronce les sourcils en déposant son sac sur son bureau – avec bruit parce que, parfois, ça fait sursauter Sophie devant lui, et il rigole à tous les coups. Il demande: — Pourquoi tu dis ça ? — Tu te souviens pas, la semaine passée ? Au cours d’Histoire des religions? Les prophètes avaient tous des noms de même. Hahaha ! Thibault rit souvent de ses propres blagues, ce qui, parfois, agace Sébastien.