Michael Douglas est un acteur de l’ancienne génération, le genre de gars qui joue avec son corps entier, pas juste avec sa belle gueule. Tiens, Ben Affleck, par exemple. Son jeu est à l’opposé. Il affiche toujours son expression « je mange de la tarte aux pommes et c’est délicieux », qu’il soit dans une comédie romantique ou un drame fantastique.

— Est-ce que c’est loin ?
— Pas vraiment, qu’il répond en tapotant ma cuisse.
Il est comme un grand frère qui prend soin de sa soeur. C’est amusant. Il laisse sa main sur ma
cuisse. On dirait qu’il veut me rassurer, mais je n’ai pas peur.
— Qu’est-ce que tu fais dans la vie ?
— Je suis médecin. Je m’occupe des petites filles.
Ça veut dire que je ne cours aucun danger à ses côtés. Je me demande pourquoi ma mère ne l’a
jamais invité à la maison, j’aurais pu lui montrer mes jouets. Je suis sûre qu’il aimerait ma poupée
Lulu.
Au bout d’une dizaine de minutes, nous descendons de l’autobus.
— Il faut marcher un peu. Ça te dérange pas ?
Je ferais un kilomètre dans une tempête de neige pour entrer dans ma future maison ! Nous
avançons longtemps sur la rue Laurier. On dirait qu’il cherche la bonne adresse.
— Nous sommes arrivés, dit-il finalement.
Devant moi, un immeuble délabré.
À quoi est-ce que je m’attendais ? Ma mère est en congé de maternité et mon père était au
chômage jusqu’à aujourd’hui. Pas étonnant que notre maison ressemble à une poubelle. Mais ce
sera notre poubelle.
— Bouge pas, murmure Benoît, faut que je passe par en arrière pour débarrer la porte.
Il s’éloigne. Si ma mère est là, pourquoi c’est fermé ? Je pense aux enlèvements d’enfants. Estce
que ça fonctionne comme ça ? Quand Benoît ouvre finalement la porte, je lui demande :
— Pourquoi c’était barré ?
— Tes parents sont sûrement pas arrivés encore. Veux-tu rester dehors et avoir froid ou rentrer
en dedans et te réchauffer ?
Benoît a raison, on meurt de froid dehors.
J’entre.
Ce n’est pas très propre. Les anciens propriétaires devaient être encore plus pauvres que nous.
Benoît me montre la cuisine, le salon, les chambres. Je peux déjà imaginer la décoration, les
couleurs, les meubles. Notre maison sera très belle.
— On va aller les attendre dans le sous-sol. Est-ce que ça fait longtemps que t’as pas eu
d’examen médical ?
— Hein ?
— Depuis combien de temps t’as pas vu un médecin ?
J’avais compris ce qu’il voulait dire. Pourquoi il me demande ça ?
— Ça fait un an, peut-être.
— Allez, viens.
Je le suis au bout du corridor. Il y a une porte. Benoît l’ouvre. Nous descendons l’escalier.
Ma mère ne viendra pas. Je suis morte.
L’avantage des grandes villes comme Kuala Lumpur, c’est qu’elles ne dorment jamais.
On pardonne tout à ce genre de fille. Cheveux blonds, corps mince, pommettes saillantes, petit nez mignon, regard triste et profond. Visage rond à la Kirsten Dunst ou Keira Knightley.
C’est humain, tout le monde le fait avec la loterie et, pourtant, on y a pas mal moins de chances de toucher l’argent.
Plante-toi les pieds. Choisis. La ville ou la campagne. Quand tu auras décidé, tout sera beaucoup plus simple.
Le médecin ne s'explique pas que j'aie réussi à tourner une poignée de porte, vu l'état de mes mains. Il comprend encore moins que j'aie pu marcher pour sortir de la maison. La seule hypothèse est l'adrénaline, mais c'est de l'ordre du miracle, selon lui.
Kuala Lumpur est une ville très dense sur le plan démographique. On parle d’un million six cent mille habitants, sept millions en comptant la banlieue. Ce n’est pas sécuritaire pour une jeune femme de déambuler dans un tel endroit.
L'espace liassé entre deux lattes de bois permet à peine à un adulte de traverser d'un côté à l'autre de la prison où Véronique était retenue. Et aucun policier ne tente de sortir par la trappe utilisée par la petite fille. Tous s'entendent sur un point: la survie de Véronique Rocheleau tient du miracle.
Ah, l’amour, ça nous rend taquins.