L'aube apporte le soleil et le crissement des engins siffleurs. Ils mangent les branches, avancent, mordent les feuillages, les troncs poussent de hauts cris. Les arbres hurlent sourdement lorsqu'ils tombent, prisonniers des mâchoires avides. Ils roulent sur la terre, précipitent dans leur chute les branches de leurs frères. [...] Les arbres ne fuient pas, les arbres meurent, éclaboussent la terre de leur sève. [...] Étendus l'un contre l'autre, chairs à la merci des êtres grouillants, amoncelés sur un lit de branches qui ne croisent plus le ciel. Et partout cette odeur qui les macule, une odeur qui n'appartient pas à la forêt. La nuit prend fin. Les engins mangeurs de forêt sont partis. Les arbres se sont couchés, silencieux. Le ciel est grand et morne. Dessous, la terre apeurée.
« Réensauvageons-nous. Car tel est à mes yeux l’enjeu de l’époque. Faisons de notre cœur un pays de légende, ne mourrons pas de froid. Retombons amoureux de la Terre. Renouons avec les mythes. Écoutons les langues fauves, les langues nées de la nuit. » (p. 150)
« Je me souviens de mon dernier printemps. Dans le grand rêve de la forêt, il est un versant où le soleil ne reste pas. La neige a tout emporté. Arbres rocs terre souffles. La neige coule, s’enfuit, mon corps sèche, enroulé autour du mélèze. L’arbre s’est couché contre la terre. Son tronc porte les cicatrices du gel, son écorce imbibée, griffée, écorchée raconte la lutte. La neige a refermé sa gueule sur l’arbre, sur mon corps hardi, la neige nous a brisés. La neige nous rend à l’été. L’arbre s’effrite par endroits, capitule »
Nous sommes des loups. Si l’un de nous tombe, d’autres se relèvent. Ensemble, nous ne mourrons pas. Nous venons de la nuit. Nous allons parmi les bêtes et les hommes, nous allons parmi les chants de la forêt, à peine séparés de la terre, pleinement nous-mêmes. Vieux peuple qui revient, qui grandit, qui lutte. Je foule la terre des ancêtres, louve farouche contre la terre aux pelages chamarrés.
«Ne rêve-t-on pas tous d’une Arcadie sans tombeau, de naissances sans mort, d’amours sans fin, de vies sans perte, d’alpages sans loup ? Mais voilà que le loup est revenu, qu’il plante ses crocs dans les agneaux. Le loup brise le mythe. « Moi aussi, j’existe, même en Arcadie », dit le loup. Il s’en donne à cœur joie dans la moutonnaille. Peut-être est-elle trop grande, d’ailleurs, cette moutonnaile, pour un seul gardien ? Peut-être faut-il garder des troupeaux plus petits, à la mesure d’un homme ? Peut-être faut-il réinventer un monde à la bonne mesure ? Et finalement se résoudre à peindre le tableau d’après et ne pas feindre l’ignorance. Faire du savoir une sagesse et non une tragédie
J'arpente ces terres nues. Des patrouilleurs, voilà ce que nous sommes. Aller venir écouter regarder sentir ouïr. Notre vie, ausculter nos terres, entendre les bois, les pentes raconter l'herbe qui pousse. L'herbe, nous avons besoin de l'herbe. L'herbe c'est le cerf c'est le chevreuil et le mouflon c'est le chamois le mouton et le lièvre la sauterelle le mulot le sanglier l'escargot l'oiseau le ver. Ces brins d'herbe foisonnants sont le début de ce que nous sommes.

Je me repose à peine. Mon épaule est raide mais je marche vite. J'arpente ces terres nues. Des patrouilleurs, voilà ce que nous sommes. Aller venir écouter regarder sentir ouïr. Notre vie, ausculter nos terres, entendre les bois, les pentes raconter l'herbe qui pousse. L'herbe, nous avons besoin de l'herbe. L'herbe c'est le cerf c'est le chevreuil et le mouflon c'est le chamois le mouton et le lièvre la sauterelle le mulot le sanglier l'escargot l'oiseau le ver. Ces brins d'herbe foisonnants sont le début de ce que nous sommes. Lorsque nous posons nos pattes devant, nous savons où elle en est l'herbe, nous la sentons se relever, drue après la neige, devenir molle de chaleur, prendre des saveurs d'armoise, de mousse, de paille, nous savons si elle a soif et quand elle se gorge d'eau, quand elle monte en graines et quand elle vacille, harassée de soleil, nous connaissons ses odeurs et toutes les bouches qui la mangent. Toutes les bouches qui se retrouvent en nous.
Seule la montagne a vécu assez longtemps pour écouter ce chant, l’écouter vraiment. Le ciel devient plus profond, la nuit se hâte, les arbres poussent des cris silencieux, les vallons s’ouvrent, libèrent des parfums enfouis, les torrents cessent de mugir. Les animaux s’unissent à la nuit. Les solitudes se dissipent. Tout écoute ce chant qui enfle au-dessus des arbres et court après les étoiles, ce cri de la vie même. Les hommes ne savent rien de tout cela. Ils ne sont pas amoureux de la terre.
Depuis, elle ne tenait plus en place, chaque nuit, elle courait dans la ville, cherchait les souffrances les plus viles, les plus vraies, pour en être témoin, d’abord, et puis, rapidement, pour y prendre part. Il y avait une intensification, c’était indéniable, qui est en elle cherchait sa résolution. Il était impossible de conclure autrement
Les hommes l'ont su du temps où ils peignaient dans l'antre des cavernes. Ils adoraient les créatures nourricières et effrayantes, les créatures capables de prodiguer la vie comme de les précipiter dans la mort. Les hommes ont oublié. Ils veulent régir les grands équilibres.