AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
Citations de Caroline de Mulder (146)


Des greffes, en plastique carmin. Ou des griffes. Plantées au bout des doigts d'un joli petit rongeur à gueule d'enfant plâtrée. Et maintenant qu'il manque celle de l'index droit, elle soupire. Devant elle, le homard intact et la blonde qui lui dit qu'on a envie de lui mettre des sparadraps partout sur les doigts et les mains. Mais l'autre reprend : "Un rien les fait jarter. De toute façon, pour toi, c'est la carte de l'étudiante en galère qui est gagnante, la femme fatale t'oublies, ça prendra jamais, t'as trop pas le profil. Écoute, mon frère, ces mecs-là ils veulent pas d'embrouilles. C'est pour ça qu'ils sortent le biff, pour pas être emmerdés. Ils raquent pour avoir ce qu'ils veulent, quand ils veulent et aussi longtemps qu'ils veulent. Et c'est des putains de divas. Si t'as l'air trop chtarbée ou trop mystique, ils se gênent pas, ils se barrent."
Commenter  J’apprécie          3912
Elles glissent dans la paume du Roi. Il les avale trois à trois avec de l’eau de source, il aime le chiffre trois, il monte aussi les escaliers par trois quand il peut, monte monte vite. Puis il se redresse, ôte sa veste de pyjama, pour que le garde trouve un endroit, son corps est piqué de partout, son corps devenu cuir et cuirasse. Là, sous l’omoplate, tout près de la colonne, reste un peu de tendresse. Demerol : tue la douleur, régénère le corps, rajeunit les cellules. Amytal Carbrital Nembutal Seconal : repose le corps. Placidyl Quaalude Valmid : vous berce, vous ferme les yeux. Valium : vous détend, vous caresse. Tue la douleur. Il pense à Gladys, à ses gros yeux marron et doux, Dodo Elvis ti chaton aux tits pessons ti ventre à l’air quenottes parfaites menottes fermées au dodo et vite, bébé poids plume boubouille d’amour gaminot plein de clème glacée allégée éclémée lait délayé blanc layette.
Commenter  J’apprécie          3516
Elle prend en main le Sig Sauer. Marche dans le living, pareille qu'un animal errant et traqué, et c'est comme ça qu'on meurt, elle pense. Comme si on en mourait. Comme si on mourait de mourir. Comme si on pouvait mourir de rage, n'importe quoi. Elle veut se cogner la tête une nouvelle fois, mais ça ne va pas fort, pas fort avec sa tête qui vacille, ses mains qui tremblent, la mollesse l'a gagnée de partout et elle est maintenant incapable de se taper, ni de jeter quoi que ce soit contre les murs, ni elle-même ni rien. Elle sort dans le jardin, erre dans le froid, comme si quelque chose allait apparaître, comme si elle allait rencontrer qui que ce soit, ici maintenant. Le froid est partout sauf dans sa tête, chaude à la peau, et qui cogne, cogne toute seule, pleine du battement de son coeur. Ça fait boum boum boum boum avec une douleur perçante. Devant elle, le mur très haut du jardin, un mur d'immeuble à dix étages, qui avale le peu de lumière du matin. De la brique crue, moisie, rouge et noire et verte. Et l'arbre, qui a poussé tout en hauteur, un acacia. Elle lève les yeux, les branches remuent, hypnotiques. Dans son ventre, tout s'est rétracté, rétréci, serré. Les pépiements d'oiseaux la transpercent pire que des aiguilles. Plusieurs pigeons dans l'arbre, qui s'en foutent de la faire souffrir.
Commenter  J’apprécie          3511
Il est photographe, à ses heures perdues. Bambi hoche la tête d'un air complice. La discussion s'engage comme ça, autour de la photographie et de la peau de Bambi qui prend si bien la lumière. Or Bambi le sait parfaitement, le plâtras dont elle est enduite ne laisse pas passer la lumière, ni même la peau ; son visage cache son visage et là où elle est, il fait noir, il n'y a rien à voir. L'homme, de type méridional, fait le mystérieux quant à ses origines, dit qu'il a beaucoup voyagé pour les affaires. Bambi boit ses paroles, en goûte l'odeur aigre sans reculer. Elle a dans ses regards quelque chose de pressant, comme une urgence. Comme si elle avait besoin d'argent, par exemple. Sauf qu'elle s'en fout de l'argent. Elle a juste besoin de tuer l'angoisse, besoin de se retrouver, de reprendre le dessus. Là elle étouffe, là elle ne se reconnaît plus. Si elle met minable ce mec, tout ira mieux. Quelques verres plus tard, il veut lui montrer son studio photo. Bambi n'hésite pas, elle n'attendait que ça. De son portefeuille, il sort plus de pièces que de billets et donne le compte juste, la voiture n'est pas loin...
Commenter  J’apprécie          359
Certains la mangent délicatement, pétale par pétale, car c'est la vie et la force et la santé, et elle guérit de tout, cette fleur de la tombe d'Elvis, elle fait même revenir l'être aimé. D'autres enveloppent leur fleur, leur merveilleuse, dans un mouchoir, ou dans leur tee-shirt ôté faisant office de reliquaire, la gardent en prévision des mauvais jours. D'autres encore lui murmurent des mots. Il y en a qui la regardent se faner d'un air mécontent, on les a volés, la fleur perd ses pétales, se décompose dans la main ! Personne ne part. Les flics ont beau prier de ne pas marcher sur les tombes, de ne pas courir, de ne pas crier, et de s'en aller après avoir reçu la fleur, ils ne veulent pas circuler, partir encore moins. Ils en veulent plus, ils en veulent encore. Ils veulent non seulement les fleurs, mais aussi les banderoles, les babioles, les rubans, les coeurs brisés, ils déplument les ours en peluche, ils dépiautent les couronnes, ils dépècent les bouquets et emportent jusqu'aux fils de fer. Quand il n'y a plus rien, ils se rabattent sur les fleurs et les ex-voto des tombes voisines et se remplissent les poches de poignées de terre et mastiquent la terre et avalent la boue et s'en étalent sur le visage. Ils reprennent ce qu'ils ont donné et s'emparent du reste.

Le surlendemain de son enterrement, il ne reste à Elvis plus une fleur, plus une tige. On ne lui laisse que de la poussière piétinée.
Commenter  J’apprécie          3414
La carapace résiste à la pince, aux doigts, aux ongles, émet des craquements. La ravissante casse en deux sa moitié de homard et mord dedans :
- Sérieux, on va juste se ruiner les dents là. Quelle arnaque.
- Ton idée. Y avait aussi des burgers et des pâtes.
- T'as trop raison. Encore un truc de bourge. C'est stylé de raquer pour pas dîner. C'est trop la classe de rien bouffer. En vrai, on aurait dû prendre un burger. Le homard je sais pas faire.
- Mais attends attends ! Le boloss ! Il peut nous faire les explications.
- Il peut pas. Le bâillon.
Elles se tournent toutes les deux vers le lit.

Sur le lit, il y a un homme, le visage déformé par un bâillon-boule. Il est allongé sur le dos, les mains attachées au cadre par des menottes roses, ses jambes aux pieds du lit avec du gros scotch de bricolage. Il a le pantalon aux chevilles et le sexe mort. Contraste indécent avec sa chemise blanche et froissée en mille morceaux, son pantalon de costume noir, en accordéon ; c'était, il y a quelques heures, un financier qui sortait d'une journée de travail très bien payée. C'est maintenant un gros animal terrorisé. Sa peau est bien remplie. Il est replet, rebondi même, presque féminin. Tout de lui déborde : les yeux, le visage, la chair, et rien ne tient debout. Le couvre-lit moins rouge et moins fluide que son visage prêt à exploser. Ses yeux crachent des larmes. Un tremblement irrégulier secoue son corps tout entier.
Commenter  J’apprécie          3013
Elvis inspire expire inspire se donne l’air de sourire, les Gars l’escortent du vestiaire à la scène, éloignent de lui tous les indésirables, très fort résonne Also Sprach Zarathustra, musique du triomphe, de la grandeur, du superhéros dont l’arrivée est imminente. Elvis sourit grimace inspire expire transpire, il a peur, les Gars lui donnent une tape dans le dos, lui tendent un soda. Tout près de la scène, l’un d’eux fait un grand signe, car Elvis est arrivé, Elvis est prêt. Trente secondes et il faut alors y aller, se jeter dans les projecteurs, devant la foule, se donner en spectacle. Et Elvis entre en scène au pas de charge. Sous quelque angle qu’on le filme, il fait peur à voir. Son visage est boursouflé et, par-dessus le masque de fond de teint, sa peau malade coule de partout. La lumière et la sueur le font cligner des yeux.

21 juin 1977, Rapid City. Je vais jouer à la guitare, Croyez-le ou pas, je ne connais que trois accords, Toutes ces années, j’ai fait semblant, On pourrait me démasquer, ce soir, Et si vous vous imaginez que je suis nerveux… vous avez bien raison. Le public applaudit hurle. Elvis transpire la souffrance, Je vais vous jouer une chanson qui s’appelle Te Sens-Tu Seule Ce Soir. Moi je le suis, et je l’ai été. Elvis se concentre alors sur un ongle qu’il s’est cassé (merde), puis commence...
Commenter  J’apprécie          297
Le soir, comme d’habitude, nous avons prié. Dans le canapé, lui côté droit moi côté gauche, et le son baissé, nous avons fermé les yeux et John a chuchoté. Merci Seigneur de m’avoir montré le chemin, Et de m’avoir envoyé Yvonne, Et pardonnez-moi mes péchés, Mais allez-Vous me reprendre le reste de ce que vous m’aviez donné, Que Votre volonté soit faite, Mais aidez-nous, Seigneur, Car nous avons peur, amen. Et John White après un petit moment de silence a ouvert les yeux, Dieu m’a parlé, Yvonne, Il pourvoira, Et regardez les oiseaux du ciel. Très pieux, John White était, comme on dit, un drôle de paroissien. En arrivant chez lui, j’avais tout de suite remarqué qu’il portait au cou à la fois la croix et le Haï juif. C’était tout simple : il ne voulait pas manquer le paradis pour une question technique, et d’ailleurs, tous autant que nous étions, nous avions bien parmi nos ancêtres lointains un Juif, Et vous aussi Yvonne ! Il savait beaucoup de choses, n’avait pas son pareil pour trouver dans la Bible toutes sortes de révélations mystiques. Il faut regarder au-delà des apparences, disait-il toujours. Soulever le voile.
Commenter  J’apprécie          270
Elle se regarde dans son Samsung. Son œil au noir apparaît. Son visage change, se charge. Elle semble blessée, effrayée, perdue.
Commenter  J’apprécie          240
Avant de rentrer dans la maison, elle tâte son gun calé dans sa poche intérieure, ouvre la porte, s'engage. Se fige, attentive aux bruits. Rien, que l'habituel bruit blanc de la télé. Ce soir encore, Nounours n'est pas là. Pas dans le salon, ni à dormir ni à attendre. Maman non plus. A l'étage ? En apnée et les pieds en pointe, Bambi monte. Ces connes de marche couinent quoi qu'on fasse. Quand Nounours dormait là-haut, il ronflait et grondait, menaçait jusque dans son sommeil, un volcan de gras en ébullition. Le ronflement qu'elle distingue est celui de maman, beaucoup plus léger, un peu grinçant. Et il n'y a personne avec elle, c'est sûr. Dans la chambre, une odeur aigre, vinasse tournée, haleine malade. Elle s'approche du lit et du petit tas de femme qui, dans sa position tordue, peine à respirer. Bambi la bouge doucement, replie ses jambes, la dispose en chien de fusil. Maman est légère, comme Bambi, mais quand elle dort, ses os maigres semblent coulés dans le plombe et Bambi galère, tant le sommeil la rend rticente. Elle la couvre. Redresse la bouteille renversée à côté du lit. Va chercher un verre d'eau dans la salle de bains et le pose sur la table de nuit, avec deux aspirines à côté.
Commenter  J’apprécie          160
Délesté de douze kilos et tout de blanc vêtu, l’Aigle américain grand ouvert sur sa cape, Elvis multiplie les tableaux vivants, Elvis Messie à bras ouverts et les paumes tendues vers vous, Elvis genou à terre, les doigts écartés et l’index pourfendeur, Elvis aux ailes déployées prêt à s’envoler pour d ‘autres cieux, meilleurs. Malgré le régime, la ligne du menton est molle. Dans la salle, ambiance religieuse, ce n’est plus un homme, c’est un monument, ce n’est plus une idole, c’est une relique.
Commenter  J’apprécie          150
Gueule consumée, peau mal rasée comme barbouillée de cendres, des joues qui pendent. Il sent l’alcool. Paumé dans un endroit pas pour lui, il a vraiment tout du pauvre type. Des fringues façon classique, mais classique cheap. Sans son haleine avinée qui couvre tout, il sentirait l’usure, le râpé, le fond de tiroir et la friperie. Il a l’âge des porcs en crise. Bambi trouve que c’est une pitié, ce vicieux précaire qui, dans un monde idéal, aurait des thunes pour raquer des restos stylés à de jolies loutes trop jeunes comme elle. D’avance, elle sait qu’il n’y aura pas de resto, tout au plus paiera-t-il sa coupe, et ce n’est même pas sûr.
Commenter  J’apprécie          130
- Raconte-moi, alors, ton beau-père.
- Il m'a bousillée ce con.
Leïla se marre :
- Grosse, tu dis toujours ça, que tout le monde te bousille, la tassepé d'hier, le dirlo, le Libanais, les keumés à ta mère.
- Toi tu me bousilles pas, maman non plus. A part ça, la life me bousille, ouais, la vie est une pute et on n'a même pas les thunes pour l'acheter.
L'argument est imparable, Leïla hoche la tête.
Commenter  J’apprécie          130
Il comprend. Il est en face d'une affabulatrice. Comprend que ce n'est même pas la peine. Ces filles-là gagnent toujours. Si elle dépose plainte, c'est fichu pour lui. Tout le monde gobera, en rajoutera, en redemandera, enjolivera au besoin, même la Fichard se fera un plaisir. Toute tentative de se défendre ne pourra qu'aggraver son cas. Et quoi qu'il arrive, ce sera le licenciement pour faute grave ou, au mieux, la retraite anticipée.
Commenter  J’apprécie          120
A part ça, la life me bousille, ouais, la vie est une pute et on a même pas les thunes pour l'acheter.
Commenter  J’apprécie          120
Elle ne titube pas longtemps, brièvement la tête dans le ciel et les yeux dans le vide, fait demi-tour. Reprend les escalators. La gauche, côté bar. Se dirige vers le fond, les toilettes, qu'elle connait déjà, des toilettes d'établissements de luxe, marbre, grandes glaces, tout impeccable, émail virginal, on pique-niquerait sur le couvercle. Dans le miroir, elle en remet une couche, se redessine les yeux, la bouche, et pour Bambi le bien est l'ennemi du mieux. Elle est maintenant tellement maquillée qu'elle n'a plus d'âge, mais quelque chose de son beau visage traverse encore ce masque. Elle reprend cet air nonchalant et poseur qui la vieillit. Quand elle s'installe au bar, seule, on croirait une fille de l'Est en chasse. Elle commande une coupe de champagne rosé, et elle prend encore deux ans de plus dans la gueule, vu aussi sa grâce et son naturel, comme si elle avait fait ça toute sa vie.
Commenter  J’apprécie          110
"Tes ongles, c'est pas bien de les ronger comme ça, ta maman ne te donne pas à manger ?" L'esthéticienne plaisantait, mais la petite ne riait pas :
"Manger, maman s'en fout. Du moment qu'elle a à boire."
Commenter  J’apprécie          100
Elle est toute menue et ravissante, et maquillée à faire peur. Des yeux avec des peintures de guerre et des couleurs de tranchée et de boue dévorée, mais un visage en cœur, des arêtes fines.
Commenter  J’apprécie          100
La vie est une pute et on a même pas les thunes pour l’acheter.
Commenter  J’apprécie          100
Bambi se dit qu’elle a seize ans. Seize ans, elle va crever. Elle se lève, prend son gun.
Commenter  J’apprécie          100



Acheter les livres de cet auteur sur
Fnac
Amazon
Decitre
Cultura
Rakuten

Lecteurs de Caroline de Mulder (478)Voir plus

Quiz Voir plus

CYRANO DE BERGERAC (Rostand)

Quel est l'autre prénom de Cyrano?

Séraphin
Saturnin
Savinien

12 questions
1652 lecteurs ont répondu
Thème : Cyrano de Bergerac de Edmond RostandCréer un quiz sur cet auteur

{* *} .._..