Catherine Siguret parle de "Le mouton de la place des Vosges"
Partie 1
Quelle est la différence entre un fonctionnaire et un chômeur ?
Le chômeur a déjà travaillé et espère s'y remettre un jour.
L'administration par objectif est efficace si vous connaissez les objectifs. Mais 90% du temps vous ne les connaissez pas.
Après avoir fait une grosse connerie, le chat grimpe dans un arbre. Et le fonctionnaire, dans la hiérarchie.
Le fonctionnaire paresseux est, en général, mal noté par ses supérieurs hiérarchiques : il répugne à faire semblant de tavailler comme tout le monde !
La sexualité débridée et coupable qu’une mère reproche à son fils en l’absence d’éléments probants, c’est celle de qui ? Le plus souvent, la sienne propre. Au même titre qu’une mère soupçonne son enfant de ne pas être capable de gagner sa vie au motif qu’elle se l’est épargné, elle peut le soupçonner des pires turpitudes parce qu’elle y est sujette. L’on ne sait rien de la vie de cette mère qui permette d’y voir plus clair… Que le fils d’une telle génitrice jette son dévolu sur une femme plus âgée n’étonne pas davantage que la réaction maternelle qui s’ensuit : le fils rejoue le vice adultère avec une version de sa mère, son double en plus jeune, le comble pour une femme jalouse au point de haïr l’animal domestique de son enfant.
Ma mère ne nous a pas éduquées, elle nous a élevées, comme des animaux, ou plutôt laissées grandir en s’occupant de nous le moins possible. Elle nous confiait à droite à gauche pour aller à la plage avec ses copines, ou être tranquille, y compris le jour de Noël, que nous ne fêtions jamais à la bonne date puisque notre père naviguait – ma mère aussi dans une certaine mesure ! Nous avons, ma sœur et moi, connu la pension dès la sixième le temps de la vie scolaire, mais aussi pendant les vacances, quand ce n’était pas la colonie, les oncles, les tantes. Quand elle venait nous voir au pensionnat à une centaine de kilomètres, c’était sans aménité aucune, et jusqu’à nous faire honte par ses sorties démonstratives ou sa cruauté.
À défaut de faire un bon père, j’ai l’ambition de faire un bon grand-père une fois l’heure venue auprès des petits-enfants de mon actuelle compagne. J’ai pour principe de ne pas contrarier le sens naturel des vents, d’aimer la vie comme elle vient même si elle ne me le rend pas toujours. Ma mère a trouvé son bonheur en regardant le monde par une minuscule lorgnette qui la tenait à l’abri de tout, moi en l’embrassant tout entier, après avoir compris que ce n’était pas le malheur des autres qui blessait, mais l’incapacité à leur tendre la main, à leur donner des astuces pour aller mieux, à les aimer.
Grandir comme une bâtarde n’a pas eu que des inconvénients : je me fantasmais une autre mère. « Madame Maman » était une femme haute en couleur, avec des origines juives espagnoles, soigneusement camouflées, y compris auprès de ses enfants ! Je ne l’ai su qu’après avoir été reconnue, à quarante ans donc, quand j’ai eu accès à son extrait de naissance. Elle aimait jouer les grandes bourgeoises chic et de souche, à la Danielle Darrieux, mais des accents plus chauds coloraient son allure.
Pour le meilleur et pour le pire, nous sommes tous marqués du sceau de nos parents, au pied de la lettre, bien plus réellement que par le mariage ou tout autre acte de l’état civil, sans pouvoir tricher, ni renoncer, ni renier. Car ce lien est le seul incontournable : on peut être conjoint de personne, parent de personne, on est toujours l’enfant de quelqu’un et, qui plus est, assurément l’enfant de sa mère, l’incontestable dans sa chair. On ne peut pas divorcer de sa mère, fantasmer ne pas avoir eu de mère, éluder socialement l’existence de sa mère, même après l’échec répété de multiples tentatives de conciliation et l’éclairage de sa psychanalyse.
Ma mère nous a fait croire que mon père nous avait abandonnées lâchement, elle la femme de cinquante-six ans, et nous, ses deux filles pas encore adultes, pour ne plus jamais se manifester. « Un lâche. Un salaud. Comme tous. » Mais qui donc étaient « tous », pour une femme mariée depuis quinze ans à un seul homme ? « Je n’ai pas eu de chance avec les hommes », répétait-elle tout aussi étrangement. Peu importait : les faits étaient là, mon père avait « disparu ». Même si cette conduite violente et radicale me surprenait de sa part, le temps passait sans nouvelles aucunes. Ma mère s’est alors mise à me faire pitié au fil des mois, puis des années.