Ce tome contient une histoire complète qui peut être lue indépendamment de toute autre. Il comprend les 6 épisodes de la minisérie, initialement parus en 2018, écrits par Cecil Castellucci, dessinés et encrés par Adriana Melo, et mis en couleurs par le studio Hi-Fi. Il comprend également les couvertures originales réalisées successivement par Mitch Gerads, Dan Panosian, Nicola Scott, Walt Simonson, Julian Totino Tedesco, Joëlle Jones.
Sur Apolkolips, les six furieuses se tiennent devant Granny Goodness qui est en train de leur expliquer qu'elles sont les meilleures combattantes de la planète : Aurelie, Bernadeth, Big Barda, Lashina, Mad Harriet et Stompa. Il y a des années de cela, lors du coup d'état de Darkseid, Granny Goodness avait été chargée de tuer Heggra, la mère de Darkseid. Elle avait fini par lui faire avaler un poison lancé par Desaad pour aller plus vite. Heggra avait eu le temps de dire à Goodness qu'elle comprenait son geste et de lui confier son livre sur l'ADN des lignées d'Apokolips. Alors que Darkseid entrait dans la pièce, Desaad s'attribuait la responsabilité de la mort de Heggra, à l'évidence tuée par le poison. Au temps présent, les Female Furies s'affrontent deux à deux sous les yeux de Granny Goodness pour qu'elle puisse apprécier leurs progrès. Puis elle se rend dans salle de cellule de crise, pour expliquer à Darkseid que son équipe d'élite est en mesure d'effectuer une mission de confiance. Desaad et Glorious Godfrey tourne ses prétentions en ridicule. Mais Darkseid accepte de lui laisser la possibilité de faire les preuves de son équipe. Il y a de cela des années, après la réussite de sa prise de pouvoir, Darkseid donne congé à Desaad, Willik, Steppenwolf et Glorious Godfrey et ordonne à Granny Goodness de rester. Desaad maugrée qu'elle va encore avoir droit à un traitement de faveur. Une fois les autres partis, Darkseid explique à Granny Goodness ce qu'il attend d'elle : de la détente au lit.
Le lendemain, Darkseid indique à ses collaborateurs le poste qu'il a choisi pour eux, et Granny Goodness doit se charger de l'orphelinat, ce qui fait bien rire les autres. Elle supporte l'humiliation et se montre sans pitié dans le choix de ses protégés, n'hésitant pas à retirer des nouveaux nés à leurs parents s'ils présentent un ADN intéressant. C'est ainsi qu'elle retire le fils de Tigra et qu'elle la fait enfermer dans un des nombreux cachots. Au temps présent, les six Female Furies font une démonstration de combat devant Darkseid et ses sbires qui se déclarent tous impressionnés par leurs capacités, pour des femmes. Ils leur imposent d’autres épreuves : une épreuve de cuisine, une épreuve de présentation en robe de soirée, une épreuve de sourire en bikini. Une fois encore, Granny Goodness constate que Darkseid et ses ministres refusent de reconnaître la qualité guerrière de ses Female Furies. L'après-midi, elle se montre encore plus dure lors de l'entraînement des Female Furies, voyant surtout en elles un moyen pour accéder à une position plus importante dans l'organisation de Darkseid. Willik entre dans la salle d'entraînement et montre un symbole à l'effigie de Darkseid, à Granny Goodness : il réquisitionne Aurelie pour un entraînement spécial.
De 1970 à 1973, Jack Kirby a produit 4 séries pour DC Comics : Mister Miracle, New Gods, The Forever People, Superman's Pal, Jimmy Olsen, soit un total de 59 épisodes. Par la suite, l'éditeur a fait fructifier ces personnages, essentiellement Darkseid. Avec la présente minisérie, la scénariste met sur le devant de la scène un groupe de femmes guerrières qui donnaient du fil à retordre à Scott Free (Mister Miracle). D'ailleurs le présent tome contient l'épisode 9 de la série Mister Miracle où elles apparaissent pour la première fois. Il ne faut pas longtemps au lecteur pour comprendre que ce récit comprend une fibre féministe, Darkseid et ses ministres traitant les Female Furies et Granny Goodness comme des êtres intrinsèquement inférieurs aux hommes, quelles que soient leurs compétences y compris guerrière. Sous réserve qu'il ne soit pas allergique à cette fibre, le lecteur plonge dans un récit très agréable qui se lit facilement. Autrice et dessinatrice racontent une vraie histoire, avec une solide maîtrise du quatrième monde de Jack Kirby. Le lecteur qui en est familier reconnaît bien évidemment les Female Furies. Il fait le lien entre Aurelie et Auralie qu'évoquait Big Barda dans l'épisode 9 de Miracle Man. Il sourit en voyant mentionné le nom d'Himon, le mentor de Mister Miracle. Il grimace en voyant Willik et son rôle dans le sort d'Aurelie. Adriana Melo maîtrise bien l'apparence de chaque personnage, respectueuse de celle conçue par Jack Kirby. Elle reprend même la version culotte courte originale du costume de Darkseid. L'amateur des créations de Jack Kirby ressent le respect des autrices pour le matériau original : elles ne se l'approprient pas pour faire autre chose et elles apportent un soin tout particulier à s'intégrer avec la continuité originale établie.
Le lecteur s'investit dans l'intrigue, même s'il la connaît déjà dans les grandes lignes en ayant lu la saga du Quatrième Monde. Cecil Castellucci déplace donc le centre d'intérêt de Darkseid et des Néodieux, vers les Female Furies. Elles ne sont que l'instrument de l'ambition de Granny Goodness. Le principal fil narratif raconte les manœuvres de Granny Goodness pour entrer dans les bonnes grâces de Darkseid, pour prouver encore et toujours son allégeance sans faille, et ses stratagèmes pour se faire remarquer par son zèle, par les résultats de son équipe féminine. Pour elle, la fin justifie tous les moyens. Les Female Furies sont des personnages secondaires, un peu nombreux. La scénariste parvient à leur insuffler plus qu'un minimum de personnalité, en particulier à Big Barda, Aurelie et Lashina. L'histoire de Granny Goodness et de ses Female Furies se déroule ne même temps que la situation politique évolue (la guerre contre New Genesis se rapproche) et que la génération suivante grandit (en particulier Scott Free). Le contexte de cette histoire parle plus au lecteur familier du Quatrième Monde., mais il anticipe aussi plus facilement les événements. Adriana Melo sait reprendre les caractéristiques visuelles établies par Jack Kirby, sans jamais singer ses dessins. Elle ne cherche pas à capturer la grandiloquence de Kirby, ou sa dramaturgie. Elle réalise des dessins qui reprennent certaines exagérations propres aux comics de superhéros (costumes moulants, superpouvoirs spectaculaires rehaussés par des effets pyrotechniques avec les couleurs), et une comédie dramatique avec des acteurs qui surjouent un peu leurs émotions, pour bien montrer qu'elles sont intenses.
Le lecteur s'habitue rapidement au rictus de Granny Goodness, au visage peur avenant de Mad Harriet, au visage de pierre de Darkseid, aux expressions de supériorité de Desaad et de Willik. Il se rend compte que la dessinatrice parvient à rendre Darkseid crédible, ce qui n'est pas donné à tous les artistes, certains le transformant en supercriminel trop prosaïque et donc ridicule. Il ressent pleinement la forme de sadisme psychologique de Willik, ainsi que la souffrance intérieure intolérable d'Aurelie, et le mépris des autres Female Furies qui estiment qu'elle est faible parce qu'elle ne parvient pas à supporter le harcèlement sexuel de Willik. Du coup, même si Adriana Melo utilise peut-être un peu trop de gros plan et se désintéresse régulièrement des décors, le lecteur ressent quand même une immersion de bon niveau grâce à la direction d'acteurs. Elle parvient à faire exprimer des émotions générant une forte empathie, alors qu'il s'agit de personnages dans des costumes chamarrés, sensés vivre sur une planète fantaisiste où la maltraitance règne en maître. C'est ce qui fait toute la différence et qui permet au récit d'éviter de ressembler parfois à un pamphlet féministe. Cecil Castellucci se montre tout aussi habile. Il est tout à fait possible de lire ce récit comme l'histoire d'un groupe de combattants d'élite qui font tout pour être reconnues à leur juste valeur au sein d'une dictature. Cet enjeu aurait eu le même impact s'il s'était agi d'un groupe d'hommes.
Au fil de l'histoire, la scénariste dose savamment ce qui relève d'un propos féministe, et ce qui relève d'une analyse systémique. Effectivement, les épreuves supplémentaires exigées par Darkseid et ses ministres relèvent de la misogynie patriarcale : que ce soit le concours de cuisine, ou le défilé en maillot de bain. De même le mépris de Desaad, Glorious Godfrey et Willik s'exprime explicitement contre elles parce qu'elles sont des femmes. Par contre le comportement de Granny Goodness ne peut s'appréhender qu'au regard du système sociétal. Elle souhaite gravir les échelons, et elle ne sait qu'appliquer les mêmes stratégies que celles qu'elle observe : se montrer aussi cruelle, dure, manipulatrice, sans empathie, et encaisser, à l'image de ceux qui sont déjà au pouvoir, c’est-à-dire des hommes. De la même manière, Bernadeth, Big Barda, Lashina, Mad Harriet et Stompa jugent qu'Aurelie est faible parce que les abus sexuels de Willik la mine. Elle devrait être capable de surmonter ces épreuves, comme toutes les autres épreuves, elles-mêmes le feraient. Elles ne remettent pas en cause le système et appliquent les seules valeurs morales qu'elles connaissent et qui s'appliquent à tous les habitants d'Apokolips. La critique ne porte plus sur un machisme écœurant, mais le manque d'empathie, l'incapacité à s'interroger sur un système qui contraint les individus à un unique type de comportement où les faibles souffrent et sont éliminés, sans arrière-pensée.
Dans un premier temps le lecteur peut trouver étrange que les responsables éditoriaux aient donné le feu vert pour une minisérie sur un groupe de personnages aussi peu connus. Ensuite, il constate que les autrices font preuve d'une grande connaissance de l'œuvre de Jack Kirby, et la mettent à profit avec un respect sans reproche. Dans un deuxième temps, il se dit que les autrices vont se livrer à une critique féministe en instrumentalisant les personnages. En fait, le récit est plus nuancé que ça. Adriana Melo dessine vraiment un comics de superhéros, sans mette l'accent sur une prise de position, d'abord l'aventure haute en couleurs, et les personnages improbables. Cecil Castellucci évoque bien le traitement injuste des femmes sur Apokolips, la discrimination qui atteint un niveau abject, mais il n'y a pas d'angélisme en faveur des femmes. Elle montre qu'elles alimentent le système tout autant que les hommes, et parfois avec plus de cruauté, sciemment ou non. Avant tout, il s'agit d'un récit du quatrième monde qui vient respectueusement enrichir sa mythologie, d'une aventure spectaculaire, d'un commentaire sur l'ambition et la valeur de l'être humain dans un système agressif.
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