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Critiques de Cédric Gras (175)
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Alpinistes de Staline

Passionnante découverte que cette histoire de l’alpinisme soviétique réalisée par Cédric Gras qui fut compagnon de Sylvain Tesson lors de sa fameuse Bérézina à moto !



Il lui a fallu des recherches longues et assidues pour mettre enfin en lumière toute une histoire et surtout deux frères, Vitali et Evgueni Abalakov, qui ont grandi à Krasnoïarsk, près du fleuve Ienisseï, en Sibérie. Ils étaient nés en 1906 et 1907 et leur passion pour l’escalade et la montagne à profondément marqué leur vie placée sous le sceau terrible du stalinisme.

Cédric Gras raconte tout cela avec précision, humour parfois, critique souvent. Comment ne pas être touché, ému par la destinée de deux hommes qui ont tenté de réaliser leurs rêves d’escalade avec des moyens très rudimentaires dans un contexte politique des plus horribles ?

Dans cet excellent livre, l’auteur déroule un panorama des plus complets de la conquête des sommets, en URSS. Si cet empire soviétique a éclaté, il ne faut pas oublier son importance tout au long du XXe siècle. Vitali et Evgueni sont adolescents quand on vient arrêter Ivan Abalakov, leur oncle paternel qui a recueilli ces deux orphelins. Les voilà déjà marqués par l’arbitraire. Leur père était un négociant prospère et leur oncle un bourgeois.

Vitali et Evgueni sont à Moscou en 1925. L’un étudie la mécanique et l’autre préfère les beaux-arts. Avec leurs études, ils développent leur passion pour la montagne dans le Caucase, cette chaîne qui s’étend sur 1 200 km entre la mer Noire et la mer Caspienne.

Vitali rencontre Valentina Tcheredova qui aime aussi l’escalade alors qu’Anna Kazkova se lie à Evgueni. C’est donc parti pour des expéditions toujours plus lointaines et toujours plus élevées. Les sommets du Pamir, énorme massif d’Asie centrale que se partagent aujourd’hui la Chine, le Tadjikistan et le Kirghizistan, attire encore plus car ses sommets dépassent les 7 000 mètres dont le pic Staline devenu pic du Communisme et appelé aujourd’hui pic Ismail Samani (7 495 m).

1933 voit la collectivisation des terres et d’horrible famines mais cela n’empêche pas Evgueni de se distinguer. Des deux frères, c’est nettement le plus brillant. Tous les deux, ils forment des militaires à la montagne mais, en 1934, le goulag se met en place.

Lorenz Saladin, un photographe suisse, se joint aux exploits des Abalakov. En 1936, ils arrivent au sommet du Khan Tengri (7 010 m) mais la descente est effroyable. Vitali doit être amputé de plusieurs phalanges et d’un tiers du pied gauche. Cela le poussera à inventer des appareils pour les sportifs handicapés et il pourra renouer avec la montagne, sa passion.

Hélas, l’URSS vit sous le joug de Staline et l’on arrête, torture, emprisonne, fusille des innocents par centaines. Les alpinistes, comme les poètes, ne sont pas épargnés. Le 4 février 1938, Vitali est arrêté chez lui alors qu’il est avec Valentina et leur fils, Oleg. Comme tant d’autres, il vit un cauchemar abominable, un enfer dont il sort par miracle.

Puis, c’est la seconde guerre mondiale. Les rangs des alpinistes ayant été décimés par les arrestations, l’URSS ne possède pas de troupes de montagne. Si Vitali a été réformé pour invalidité, Evgueni est dans l’armée. Anna a accouché, en 1941, d’un fils, Alexei.

L’URSS compte vingt millions de morts à la fin de la guerre mais l’alpinisme reprend un peu. Alors que Valentina met au monde une fille, Galina, en 1946, la vie d’Evgueni bascule brutalement deux ans plus tard. Lui qui sculptait beaucoup laisse ses œuvres mais son rêve était d’escalader l’Himalaya.

La troisième partie du livre est consacrée à Vitali qui étonne de plus en plus même s’il peine à être réhabilité. Il grimpe toujours et Cédric Gras raconte tout cela avec vivacité et précision. J’aurais voulu retenir tous ces noms qu’il sort de l’ombre, tous ces drames de la montagne, ces joies aussi lorsque le succès est au bout.

Avec la vie de ces alpinistes hors pair, j’ai bien compris toute l’évolution de ce sport développé dans le cadre soviétique malgré des moyens limités et un carcan idéologique très contraignant.



Alpinistes de Staline m’a été offert par Simon pour mon anniversaire et ce fut une lecture passionnante et fort instructive. Merci !




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Alpinistes de Staline

Le roman débute en 1920, en Sibérie, à Krasnoïarsk, près du fleuve Ienisseï, où la guerre civile vient de déferler.

Un soldat de la révolution tambourine à la porte d'une des maisons. Il est porteur d'un mandat d'arrêt concernant Ivan Abalakov. Ses deux neveux orphelins, Vitali et Evgueni, treize et quatorze ans se précipitent pour empêcher que leur oncle paternel qui les a recueillis, ne soit emmené. Mais le garde rouge a désormais tous les droits et il rafle également les neveux pour avoir entravé son action. Leur tante, en échange de vodka et zabouski épargnera les deux frères.

Après une enfance et une adolescence faite de varappe et d'escapades dans le cadre légendaire des Stolby (colonnes ou blocs) : "Les frères Abalakov ont grandi en embrassant la pierre, en défiant la pesanteur, en exécutant le poirier au bord du vide", ils montent à Moscou.

Dans Alpinistes de Staline, Cédric Gras nous conte la vie de ces deux frères Abalakov ces célèbres alpinistes russes nés à un an d'intervalle, pour les sortir de l'oubli. C'est aussi pour tenter de comprendre comment, alors qu'ils avaient déjà conquis le pic Staline et le Khan Tengri, qu'ils portaient le marxisme au plus haut des sommets, au prix de grandes souffrances et de mutilations, ils ont pu, Vitali en étant arrêté et Evgueni en mourant de façon mystérieuse, être victimes de la Terreur stalinienne.

Ce livre tente également de rappeler à notre mémoire tous leurs camarades déportés au goulag ou exécutés, toutes ces existences fauchées par ces grandes purges, où la police politique arrête à tour de bras, inventant des chefs d'accusation fantaisistes et extorquant des aveux par les pires méthodes, par exemple, avoir grimpé avec des étrangers était tout simplement qualifié d'espionnage. .

Je suis loin d'être une passionnée d'alpinisme et pourtant j'ai été emportée et subjuguée par les descriptions de ces lieux immenses et encore sauvages, la blancheur immaculée de ces neiges éternelles et la solennité de ces hauts sommets, la simplicité et la sobriété de vie de ces hommes, si près de la nature, dont les sens sont en perpétuel éveil pour faire face aux brusques changements de temps et aux températures extrêmes.

Cependant, si j'ai particulièrement apprécié ce roman, c'est avant tout parce que l'histoire de l'alpinisme se mêle à l'histoire tout court, avec cette période de répressions politiques tellement effarante qui a utilisé alors à grande échelle l'emprisonnement, la déportation et la peine de mort pour éliminer ses opposants politiques réels ou supposés. L'auteur s'interroge d'ailleurs très justement : « À bien y réfléchir, et même si l'on comprend la logique avec peine, il n'y avait aucune raison pour que les alpinistes échappent à cette répréssion généralisée, à cette automutilation d'une URSS qui élimine ses meilleurs éléments en leur reprochant de vouloir lui nuire. Que serait-elle devenue si on les avait laissés véritablement bâtir le socialisme ? »



Cédric Gras, russophone, est écrivain-voyageur. C'est après des voyages en Asie centrale, après avoir écouté des descendants de certains personnages, observé quelques photographies et obtenu l'autorisation de consulter les archives du KGB et pris connaissance des trois cent cinquante pages d'instruction, qu'il a pu reconstituer le destin exceptionnel de ces deux frères durant cette période que l'on connaît encore si mal. Il écrit d'ailleurs : "Je n'ai plongé dans l'épopée des Abalakov que parce qu'elle dépasse largement leurs exploits."

C'est une enquête très fournie et terriblement instructive que nous livre l'auteur, une confrontation de l'homme avec L Histoire, un livre contre l'oubli, des frères Abalakov, certes, mais aussi de ces innombrables morts, victimes des purges staliniennes…


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Alpinistes de Mao

Après l’excellent Alpinistes de Staline, prix Albert Londres du livre en 2020, Cédric Gras vient de publier Alpinistes de Mao.

Après s’être plongé au cœur du système stalinien avec une enquête littéraire sur les frères Abalakov, ces célèbres alpinistes, héros des cimes en URSS et pourtant victimes de la Terreur, Cédric Gras revient avec une épopée quasi similaire, inconnue, tragique, gonflée d’idéologie et malgré tout héroïque.

L’auteur était passé à d’autres projets mais a été intrigué en 2020 par un long métrage sorti en Chine, Pan deng zhe, The climbers, une grosse production shanghaïenne avec Jackie Chan qui promettait rien de moins que la première ascension septentrionale de l’Everest par des alpinistes chinois en 1960.

Se posent à lui mille interrogations « Comment les avait-on choisis dans cette Chine populeuse, une poignée parmi des millions ? Par quel miracle les expéditions s’étaient-elles faufilées entre les combats qui faisaient rage au Tibet ? Que s’était-il vraiment passé sur les flancs septentrionaux de l’Everest ? Et puis qu’était-il advenu d’eux par la suite, entre Grand Bond en avant et Révolution culturelle, au milieu des ravages et des arrestations ? Je pressentais que les soldats des cimes n’avaient pu échapper à la fièvre de ces décennies. Que, pour être allés à 8000 mètres, ils n’en avaient pas moins été tributaires des affaires du siècle. »

Cédric Gras ayant plusieurs fois voyagé en Haute Asie, ayant eu accès à des documents inédits réussit à réunir une somme non négligeable d’informations qui vont lui permettre de répondre à ses questions et de reconstituer la véritable chronique des Alpinistes de Mao, le destin hors norme de ces prolétaires que rien ne prédestinait au vertige des cimes.

À partir des années 1950, il devient intolérable pour Pékin que les plus hauts sommets de l’Himalaya soient l’apanage des capitalistes occidentaux. De plus, les Chinois étant en train d’annexer le Tibet, cette ascension par la face nord serait une manière d’achever la conquête de ce territoire. « Pour la Chine, gravir l’Everest revient en réalité à le revendiquer ! » C’est donc pour eux très important aussi bien politiquement que géographiquement.

Pour raconter cette expédition Cédric Gras s’est concentré sur deux des alpinistes qui y ont participé, à savoir Xu Jing et Liu Lianman, deux hommes qui n’avaient jamais vu de montagnes. En 1960, le Parti communiste chinois les choisit avec d’autres camarades sélectionnés parmi des ouvriers en forme dans les usines et des maoïstes zélés dans les syndicats pour porter au sommet de l’Everest (Qomolangma) un buste de Mao Zedong.

Dans ces années 1950, il n’y avait aucun alpiniste en Chine. Ils feront donc leurs gammes au Caucase, sous la houlette des guides russes avant de s’aventurer au-dessus de 8000 mètres.

La conquête chinoise du Qomolangma prévue en 1959 sera ajournée en raison du soulèvement tibétain. L’équipe d’alpinistes découvre en effet un Tibet en ébullition et un Dalaï-lama en fuite vers l’Inde.

Après ce report, c’est au printemps 1960 que l’ascension de l’Everest peut avoir lieu avec Xu Jing, Liu Lianman, Wang Fuzhou, Qu Yinhua, Gonpo et leurs compagnons de cordée, « une expédition d’état pour raison d’état, entièrement placée sous les ordres des autorités militaires ». Quatre batailles : trois acclimatations et puis l’assaut sont la stratégie utilisée.

Le 25 mars 1960, Wang, Qu et Gonpo atteignent le sommet, à 8 882 mètres d'altitude, où ils plantent un drapeau chinois et déposent un buste de Mao en plâtre… Cette ascension hautement politique sera toutefois nimbée de mystère, le drapeau et le buste ne seront jamais retrouvés, aucune photo n’a été prise, aucune trace de leur passage ne sera jamais relevée ultérieurement, des incohérences dans les récits, la plus grande confusion entoure cette ascension. Bref, aucune preuve, de quoi semer au moins le doute… Mais en Chine, pas de place pour le doute.

Qu’à cela ne tienne, qu’ils soient parvenus au sommet ou pas ( ils y parviendront le 26 mai 1975, mieux équipés et sans aucun doute cette fois), ce qui est important c’est qu’ils étaient prêts à tout affronter pour porter ce buste au sommet et faire flotter le drapeau rouge, prêts à sacrifier leur vie pour le Parti.

Ce qui est fabuleux dans cet ouvrage qui se lit comme un récit d’aventure, c’est de découvrir un pan méconnu de l'histoire de la Chine.

Avec ces prolétaires que rien ne prédestinait aux vertiges des cimes, dont Cédric Gras a reconstitué le destin, nous assistons à la colonisation et au génocide culturel du Tibet, vivons cette époque du Grand bond en avant avec effarement et voyons se propager le rouleau compresseur de la propagande anéantissant toute velléité.

Même ces valeureux hommes, ces pionniers de l’alpinisme chinois encensés et portés en triomphe après leur exploit à la gloire de leur chef n’échapperont pas aux camps de rééducation de la Révolution culturelle…

Cédric Gras a su souvent à partir de maigres renseignements ou photos donner une dimension humaine à ses personnages, n’hésitant pas à évoquer une ressemblance entre le jeune Xu Jing et le personnage de Tchang dans Tintin au Tibet, nous permettant ainsi de le visualiser aussitôt !

Ce sont donc comme je l’ai déjà souligné, les implications contextuelles historiques, politiques et géopolitiques de l’époque qui m’ont interpellée. Comment ne pas être incrédule, tétanisé et horrifié, aucun mot n’est à la hauteur, en prenant connaissance des millions de morts qu’a engendré ce Grand bond en avant avec la collectivisation à outrance et la famine qui en a découlé, famine considérée comme la plus meurtrière de l’humanité, sans oublier les laogais, ces camps de rééducation par le travail ou camps de travaux forcés.

Alpinistes de Mao, de Cédric Gras, un livre captivant et hyper instructif, est à lire absolument, à l’heure où la Chine est aujourd'hui plus que jamais sur le devant de la scène internationale !

Un immense merci à Simon et Pauline pour m’avoir offert ce passionnant ouvrage pour mon anniversaire.


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La mer des Cosmonautes

Fascinée, il y a quelque mois, par l'excellent documentaire de Werner Herzog, sur l'Antarctique, "Rencontres au bout du monde ", le dernier livre de Cédric Gras ne pouvait que m'attirer de par son sujet; trois mois à partager le quotidien du brise-glace soviétique "Akademik Fedorov", chargé de ravitailler les bases russes en Antarctique. J'en attendais un récit intéressant avec beaucoup de ressentis et d'observations personnels. Ceux-ci malheureusement restent à un niveau très faible. L'auteur agrémentant le texte de faits historiques, politiques, socio-culturels, de détails techniques et autres et insistant sur le caractère soviétique de l'expédition,......s'égare. Il en résulte un texte touffu, fade, presque impersonnel au style banal et sec qui ne l'avantage pas. Dommage car le trajet du voyage fait rêver !

Donc si vous voulez découvrir quelque chose de nouveau et de particulier sur ce continent, vous conseillerais plutôt de visionner le documentaire de Herzog, que de lire ce livre.
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Alpinistes de Mao

Je n’ai pas lu "Alpinistes de Staline" qui a précédé ce livre, mais peu importe, il s’agit d’une autre épopée même si elle parle aussi d’un pays communiste et totalitaire

L’auteur le dit lui-même, il a manqué de documents et de biographies pour écrire cette enquête sur les pionniers chinois de l’alpinisme et plus particulièrement l’ascension de l’Everest que les Chinois nomment le Qomolangma (alors que côté indien son nom est Sagarmatha !)

Jusqu’en 1960, ce sont les anglais Tenzing et Hillary qui sont les seuls à avoir atteint le sommet en 1953, mais c’était par la voie du côté népalais. Quant aux anglais Irvine et Mallaury disparus en 1924, rien ne prouve qu’ils aient atteint le sommet avant leur mort.

Le grand timonier rêve d’une conquête chinoise du plus haut sommet du monde, une première, c’est un projet insensé lorsqu’on sait que l’alpinisme est un sport méconnu en Chine. Mais qu’importe ! Avec l’aide des soviétiques, plus aguerris et expérimentés, les chinois balbutiants apprennent les bases de l’alpinisme. C’est un projet politique car Mao veut sa conquête du plus haut sommet du monde pour prouver sa suprématie sur le monde capitaliste. Pour plus de précautions, l’accès à l’Everest chinois est interdit aux étrangers.



« Ce sont les anglais qui ont appris à ce bas monde que l’Everest en était le toit. La rhétorique maoïste prétend, elle, que la cime était portée sur d’anciennes cartes chinoises tout en qualifiant les Britanniques de « bêtes incultes ». Il est vrai que les Tibétains connaissaient cette montagne depuis la nuit des temps. »



Il y aura plusieurs tentatives stoppées par le mauvais temps.

Le soulèvement du Tibet en 1959 va retarder et compliquer l’expédition. Elle sera réprimée violemment et fera des milliers de victimes. Quant au Dalaï-lama, il réussira à fuir pour se réfugier en Inde.

Après moult difficultés, trois hommes, Qu Yinhua, Wang Fuzhou et le tibétain Gonpo atteindront le sommet du Qomolangma à 8848 m d’altitude dans la nuit du 24 au 25 mai 1960. Cette victoire, c’est la revanche de la chine communiste mais quel crédit donner à cette prouesse face au récit plein d’imprécisions des alpinistes et au manque crucial de preuves ? Le monde occidental doute, l’exploit semble trop beau car l’ascension s’est terminée de nuit, ce qui expliquerait l’absence de photo prouvant la véracité de l’exploit. Les conditions de survie à cette altitude sont difficiles. On appelle cela la « zone de mort » car le taux d’oxygène y est trois fois inférieur par rapport au taux au niveau de la mer. Il faut donc respirer avec des cartouches d’oxygène et chaque geste demande un effort colossal. Cette victoire ne sera jamais remise en cause par le pouvoir chinois qui prône l’exploit politique et l’amour de la patrie en ignorant la performance sportive qui prônerait l’individu au détriment du collectif.

En parallèle de cette conquête des sommets l’auteur nous initie à la politique maoïste et à ses excès. On pouvait être déporté dans les laogai, camps de rééducation par le travail, simplement pour une phrase malheureuse ou sur une dénonciation calomnieuse.



Après un début un peu fastidieux, ce récit m’a intriguée et passionnée car, au-delà d’une conquête des sommets, il s’agit bien de l’histoire d’un régime totalitaire qui a voulu faire de la conquête de l’Everest un triomphe politique. Malgré toutes ces zones d’ombre et le peu de documents à disposition, Cédric Gras réussit à reconstituer le destin de ces alpinistes de Mao.





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Alpinistes de Staline

Passionnant !

Voici un livre très bien écrit et extrêmement documenté, qui mêle habilement histoire de l'alpinisme et Histoire tout court.

Russophone, Cédric Gras a effectué un travail de recherche conséquent dans de nombreuses archives, dont certaines n'avaient jamais été ouvertes ; ce qu'il a trouvé lui a permis de construire un récit prenant de bout en bout.

Quand des éléments lui manquent, il comble les vides en imaginant un scénario probable, mais il en avertit toujours le lecteur, ce qui donne une grande crédibilité à son ouvrage.



"Les Abalakov sont des héros positifs comme l'Union soviétique en eut trop peu. À eux deux, ils furent de presque tous les coups, de toutes les premières. Ils racontent l'URSS, par le prisme des neiges" nous dit l'auteur qui a choisi les emblématiques frères Vitali et Evgueni pour nous présenter une tranche de l'histoire de l'alpinisme soviétique et à travers elle, celle d'un régime terrible qui broyait les hommes sans état d'âme.



Sport et politique, un grand classique !

Les dictatures ont bien souvent exploité les sportifs, manipulés comme des pantins et exhibés pour la gloire des dirigeants.

Chacun sait comment Nadia Comanecci a été utilisée par Ceaucescu ; Cédric Gras nous montre qu'il en fut de même pour les frères Abalakov et bien d'autres alpinistes avec eux.

Conquêtes de sommets d'un côté, purges staliniennes de l'autre.

Si l'ascension d'un sommet encore invaincu est une affaire de prestige national, ne croyez pas pour autant que la valeureuse cordée victorieuse soit justement récompensée. De vaillants grimpeurs, courageux jusqu'au sacrifice d'eux-mêmes (certains y laissent leur vie, d'autres des doigts gelés qu'il faut amputer) sont parfois ignorés, voire dénigrés, ou même pourchassés et maltraités dans les tristement célèbres goulags dans lesquels certains disparaissent pour toujours. On n'entend plus jamais parler d'eux : c'est fini, ils n'existent plus.

Dans ce régime monstrueux l'arbitraire règne, la vie humaine n'a pas de valeur, et "tous les chemins mènent au goulag, même celui des cimes". Des alpinistes ayant accompli des exploits sont torturés dans la tristement célèbre Loubianka, certains sont directement passés par les armes, et tout cela parfois sans que l'on sache pourquoi. "Le NKVD déniche des complots partout, chez les marins, les mineurs, les académiciens, les météorologues, les athlètes, que sais-je."



Certaines pages font froid dans le dos, et pas seulement parce que nous sommes en très haute altitude !



Fort heureusement l'auteur prend parfois un recul salutaire, et ne manque pas d'humour pour raconter certaines scènes, comme lorsque de malheureuses cordées sont obligées de transporter des bustes de Lénine qu'elles ont l'obligation de déposer au sommet, prestige soviétique oblige.

Quand on pense au soin que les alpinistes mettent à la préparation de leur matériel, pesant chaque pièce de leur équipement et s'efforçant d'en minimiser le poids afin de prendre le moins de risque possible, ce genre de situation est d'un ridicule absolu.

Un ridicule qui tue parfois. Mais les dirigeants ne s'embarrassent pas de scrupules inutiles : quelques morts de plus ou de moins... et alors ?

Cédric Gras en savait certainement déjà beaucoup sur l'URSS, mais ce qu'il a découvert lors de ses recherches l'a abasourdi. Il nous le résume en quelques mots glaçants :

"J'ai découvert les noms des plus grands alpinistes de l'époque là où je n'aurais jamais imaginé les lire. Parce que ce qui fit le plus de ravages dans leurs rangs, ce ne furent ni les œdèmes en haute altitude, ni les chutes de séracs ou la foudre sur des arêtes effilées de rochers. Non, ce fut une calamité qui n'avait, croyait-on, rien à voir avec la montagne : les purges staliniennes."

Quelle tristesse !

Quelle horreur !

Un régime qui élimine ses propres citoyens, allant jusqu'à supprimer les plus valeureux d'entre eux.

Une monstruosité qu'il ne faut jamais oublier.

Jamais !



Férus ou non d'alpinisme, si vous aimez l'Histoire, je ne peux que vous conseiller cette lecture édifiante et marquante.

Je n'ai qu'un regret : que l'ouvrage ne comporte aucune photo, à part celle de la couverture. Cédric Gras évoque pourtant à plusieurs reprises les clichés qu'il a trouvés lors de ses recherches. J'aurais vraiment aimé en voir quelques-uns.



"De grandes choses s'accomplissent quand les hommes et la montagne se rencontrent" a écrit William Blake. Quand la rencontre se passait en URSS, ces grandes choses ont souvent viré au cauchemar.

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Le Nord, c'est l'Est

Dans ce recueil, composé de voyages vers les confins de la Russie accomplis par l’auteur sur plusieurs années, on ressent une évolution de l’écriture et de la forme mais l’ensemble se trouve homogénéisé par ce Nord qui n’est pas un « Nord cardinal » mais un Nord que chacun définit selon son ressenti, selon les difficultés de vie que l’administration traduit dans ses textes législatifs par « zone de disconfort ».



« Une foi aveugle dans les points cardinaux est une mauvaise lecture de ce pays. Il faudrait toujours le voir à la verticale, la Volga au midi et l’Amour au septentrion. Car de la Sibérie à l’Extrême-Orient, ce n’est qu’un immense Nord. La machine étatique russe a du génie quand elle parle de territoires assimilés. C’est bien ainsi que les slaves se représentent la chose. Lorsqu’ils vont de Moscou sur le 50e parallèle à Khabarovsk sur le 48e, ils affirment le plus naturellement du monde qu’ils vont au nord. »



Cédric Gras n’essaie pas de séduire, il n’y a pas de nombreuses envolées lyriques ni de belles métaphores qui viennent embellir son récit et se prêteraient mal à la rudesse des régions traversées et des êtres croisés, vivant souvent dans un total dénuement, désoeuvrés, isolés dans des villages sans communication routière même pas une de ces pistes en terre qui peuvent parfois apparaître comme un luxe.

Il nous le dit « La simplicité et la rusticité me rassurent »

Le Nord c’est aussi le souvenir des camps, du Goulag, la baie de Magadan où débarquaient les prisonniers :

p 45 « La Kolyma est une jolie rivière qui coule dans les montagnes de la région et qui donna par la suite son nom à une route « construite sur des os », comme disent les locaux. Des millions de condamnés aux travaux forcés périrent pendant sa construction, conférant une dramatique notoriété à travers toute l’URSS à ces trois syllabes. »



Mais la poésie est là, dans la géographie, les étonnements et les éblouissements que réserve la nature.

« p 85 Ma balade reprit par les grèves avant de plonger dans l’intérieur des forêts, car les rives s’étaient changées en falaises. L’immensité dégagée du Baïkal disparut pour un univers d’arbres morts et de broussailles. Les sous-bois étaient d’un vert tendre et je voyais partout le tableau de Shiskin — qui est à la taïga ce qu’Aïzavovski est à la mer — « Un matin dans une forêt de pins »  où trois oursons jouent sur un tronc couché.

dans une chanson de Vysotski ou un poème de l’ukrainien Boris Smolenski qui surgit alors que le train s’éloigne et que s’estompent les camarades de Skovorodino venus l’accompagner à la gare :

La solitude tombe d’un coup

Avec les derniers cris d’adieu

Les dernières poignées de main

Une secousse et le quai s’efface en arrière…



Quand on aime, il faut partir nous dirait Cendrars : « En nous retournant pour un ultime adieu, nous vîmes les chaudes couleurs des feuillages sur fond de crêtes nacrées de flocons. L’automne est d’or et l’hiver est d’argent. C’est dans ce rare décor que nous continuâmes jusqu’aux rivages de la mer du Japon, retrouvant progressivement « le siècle », ainsi que s’expriment les vieux croyants.»



Un livre qui se mérite, où je me suis sentie un peu perdue mais ce n’est pas un reproche, au contraire. J’aime bien être « déboussolée » et là, quand le Nord devient l’est, ce ne pouvait être que le cas.

Mais il y a plus « Si le Nord, c’est l’Est, alors le Sud, c’est l’Ouest… » nous démontre l’auteur avec humour dans le dernier chapitre du volume « La guerre de Crimée » qui voit les Sibériens rejoindre la mer Noire pour leurs congés estivaux. Pendant cinq jours de train ce ne sont plus les latitudes qui défilent mais les longitudes : « La Russie est immense et ses confins paraissent souvent inaccessibles. Mais ils étaient tous réunis sur le panneau d’affichage des destinations de la gare de Simféropol. Comme si ce terminus était devenu la capitale de l’Eurasie le temps d’un été. »



Merci à Babelio et aux éditions Phébus qui m’ont offert un curieux voyage et permis une belle découverte.
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Le Nord, c'est l'Est

Ceux qui connaissent mes goûts savent que la Russie, bien que je n'y aie jamais mis les pieds, est l'un de mes territoires d'exploration littéraire favoris. Et dans ce pays, je me sens de plus en plus attiré par la mystérieuse Sibérie, cette région vaste comme un continent, dont la toponymie nous est si peu familière qu'elle semble tirée d'un monde imaginaire : les régions de Touva, de Daourie, de Primorié, les villes de Soussouman, de Vanino, de Tchita, les Monts Saïan et Sikhote-Aline... Sauf qu'à la différence de Cédric Gras, je me contenterai de rêver à ces endroits, que lui a réellement parcourus et dont il a tiré ce récit de voyage.



Premier point qu'il est nécessaire d'éclaircir : le titre. "Le Nord, c'est l'Est", cela apparaît limpide quand on découvre que pour les Russes le Nord est moins une notion purement géographique qu'une affaire administrative. "Sever", le Nord, ce sont ces terres encore sauvages où l'on peut voyager des jours durant sans rencontrer âme qui vive (hormis des ours et des tigres), là où le quotidien des hommes est si rude que le pouvoir central est contraint d'y favoriser l'émigration par des primes et des salaires avantageux, en bref : le Nord, il s'agit grosso modo de la Sibérie, quand bien même celle-ci se trouverait à l'est du pays.



De l'immense masse sibérienne, Cédric Gras s'est surtout intéressé à la frontière méridionale, autrement dit le "Nord" qui se trouve au Sud-Est de la Russie. A pied, en train, en avion, en auto-stop, le voilà donc parti dans ces confins de la Fédération où se mélangent les peuples slaves, mongols, chinois, et une multitude d'ethnies autochtones telles que les Bouriates ou les Toungouses.



Je n'ai encore jamais lu un livre sur cette région qui ne soit pas passionnant, et celui-ci l'est, assurément. Le seul reproche que je lui adresserais, c'est d'être trop court. A peine plus de 200 pages pour une telle expédition, ce n'est pas assez. On en voudrait le double, voire le triple ! Il faut dire que l'auteur n'est pas de ceux qui s'étendent, qui s'étalent, qui s'écoutent parler : il y a dans son écriture de la concision, parfois une sorte de retenue, et ce n'est pas forcément un défaut. Mais on aimerait passer plus de temps avec ces amis d'un jour rencontrés au hasard d'un chemin, on aimerait déambuler plus longuement dans les rues de ces villes du bout du monde ; hélas ! les présentations sont à peine faites qu'il faut déjà rejoindre une gare pour aller voir ailleurs. Ceci étant, lorsque l'on regrette qu'un voyage ne fût pas plus long, n'est-ce pas le signe qu'il fut agréable ? J'avais déjà repéré "Vladivostok", le précédent ouvrage de Cédric Gras ; cette courte virée en sa compagnie m'aura donné envie d'y retourner.



Merci aux éditions Libretto et à Babelio de m'avoir permis de lire cet ouvrage dans le cadre de l'opération Masse Critique.
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Le Nord, c'est l'Est

Chaque année, je m’offre un petit voyage en Sibérie. J’aime ces grands espaces sauvages qui me nlavent des fatigues et des angoisses. J’aime l’air pur et les horizons sans fin où une vigilance de tout instant est essentielle, au risque de se perdre ou de se faire attaquer par un ours. J’aime confronter la petitesse de ma vie et de mes préoccupations au silence de ces steppes, de ces taïgas, des berges des fleuves megamétriques. Et j’aime cette solitude, si chère et si rare. Peut-être aussi est-ce l’éloignement de toute forme de pouvoir – Moscou est si loin, comme sur un autre continent - qui me séduit …



Cette année j’ai choisi la compagnie de Cédric Gras et ce fut un réel plaisir. Déjà on a beaucoup moins bu qu’avec Sylvain Tesson, mais surtout j’ai appris mille choses sur ces territoires éloignés du centre économique et politique de la Russie, abandonnés par Moscou – on ne compte plus les villes dépeuplées où les ours et les dangereux gloutons s’approchent des habitations sans crainte - tandis que le voisin chinois lorgne sur ces étendues vierges et ces immenses réserves d’eau douce et construit de nouvelles villes de millions d’habitants le long de la frontière. Ailleurs ce sont les entreprises coréennes et malaisiennes qui investissent dans des concessions et exploitent les cèdres et autres conifères (dont des essences précieuses déclarées comme du vulgaire conifère pour éviter taxes et interdictions), et exportent les troncs vers leur pays d’origine pour que la main d’œuvre locale, moins chère que la main d’œuvre russe, la transforme.



On est bien loin de ma vision romantique de la Sibérie…



Cerise sur le gâteau : au fur et à mesure de notre périple, Gras nous donne d’autres livres sur La Sibérie. Ce sont autant d’invitations pour de futurs voyages vers « la toundra. Tu verras qu’on a tort d’appeler cela le bout du monde, car il est sans fin » (Paroles de Kolda Beldi, traduites par l’auteur).

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L'hiver aux trousses

C’est « dans la torpeur d’une volumineuse salle de lecture de la bibliothèque Lénine » à Moscou que ce voyage avec «L’hiver aux trousses»  a commencé à prendre corps dans la tête de Cédric Gras qui nous offre un livre flamboyant sous les couleurs de l’automne qu’il va suivre au fur et à mesure de son avancée dans l’extrême-orient russe. Son but, traverser et réunir trois automnes en un seul entre Yakoutsk et Vladivostok dans une course contre l’hiver qui parfois arrivera plus tôt que prévu.

Bien sûr la poésie et la beauté automnale ne seront pas toujours au rendez-vous mais la multiplicité des rencontres comme celle de vieux croyants qui rentrent après un exil de 80 ans,

« Car le miracle avait eu lieu. Un beau jour de 2010, ils étaient revenus, les vieux-croyants. Pendant quatre-vingts années, ils avaient défriché la terre de Mandchourie et puis celle de Bolivie, du Paraguay ou du Brésil avant que quelques familles ne remettent le cap sur la mère-patrie et ne sifflent la fin de leur exil. Les gardiens obstinés des rites russes les plus anciens s’acharnaient désormais à féconder la terre de leurs ancêtres. Ils avaient troqué leurs jungles sud-américaines contre les -40 °C hivernaux de la rivière Imane. L’Église orthodoxe officielle et Moscou ont signé la paix avec cette communauté disséminée de par le monde et les coins les plus reculés de la Fédération de Russie depuis les répressions et le patriarche Nikon.

Moscou avait envoyé ses émissaires au Nouveau Monde et en Australie. Des réunions furent organisées en Bolivie ou à Montevideo. Il s’agissait de vanter le programme d’aide au retour des Russes de l’étranger. En 2008, quelques éclaireurs vinrent en reconnaissance. Dès le printemps, six familles débarquèrent avec armes et bagages après un cocasse transit à Paris où la sécurité confisqua leurs lance-pierres. La Fédération régla tout et offrit un petit pactole de bienvenue. Le village de Dersou (Layoliu), abandonné depuis la chute de l’URSS, reprit vie. »,



les remarques sur la porosité des frontières orientales avec La chine et la Corée qui viennent piller les richesses de la taïga et bien d’autres, sur le passé et le devenir de toutes les régions qu’il parcourt, viennent compléter et enrichir un périple que j’ai aimé autant que le précédent qui m’avait fait perdre le Nord ou plutôt l’Est puisque « Le Nord c’est l’Est ». S’ils se recoupent parfois cela n’est pas gênant car l’auteur revient dans ces régions avec un oeil neuf et un angle de vue différent.



Cédric Gras aime les confins et plus particulièrement l’Orient. Ce récit est plus construit et d’une écriture plus « travaillée » que le précédent. Tout en gagnant en poésie il reste d’une beauté simple.



Dans le jardin botanique de Ioujno-Sakhalinsk il réalise :

«… toute cette grande course automnale que j’avais échafaudée vers Vladivostok a un nom au pays du Soleil Levant : momijigari, la « chasse aux feuilles rouges ». La tradition veut que les Japonais aillent admirer à l’automne le koyo, le rougeoiement des feuilles. Les étoiles de cette saison sont les érables japonais, momiji, que je contemplais dans ce jardin botanique. La saison du koyo commence sur l’île d’Hokkaido et court vers le sud… Les Tokyoïtes poursuivent le bal plus tard dans la saison avant que celle-ci ne s’achève sur l’île de Kyushu. Ce vaste voyage, de la Yakoutie aux frontières des Corées, n’était rien de plus qu’un vaste momijigari.

et (…) Ce qui est sûr, c’est que soudain je compris que les couronnes chamarrées au pied des arbres flamboyants n’avaient d’égales que les tapis de pétales au pied des arbres en fleurs. Les Japonais célèbrent par le hanami et le momiji deux splendeurs du temps. L’automne rivalisait de féérie avec le printemps lui-même. »

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Anthracite

Commande 15 mai 2022 / Librairie Caractères - Issy-les-Moulineaux



**Une lecture très appréciée, précieuse et fort éclairante pour mesurer un peu mieux

l' inextricable complexité du Donbass et de la situation ukrainienne...



Déjà plus deux mois que j'ai achevé ce texte qui me faisait découvrir pour la toute première fois cet écrivain, au parcours des plus intéressants et aguerris dans la connaissance du Donbass, de l'Ukraine et de l' "Empire russe" !...



L'écrivain, à travers deux amis d'enfance, aux métiers et aux opinions très antinomiques, nous fait toucher du doigt l'extrême complexité de la situation du Donbass comme de l'Ukraine, engénéral !...cela se passe à l'hiver 2014 !!



L'un , Émile ( prénommé ainsi en hommage à Zola), Directeur de mines de charbon; homme de compromissions, louvoyant entre les régimes, toutefois plutôt " bon bougre" et patron bienveillant ! Un homme en prise avec le terrain et la réalité brute...



L'autre, Vladen, ukrainien hostile à la Russie, chef d'orchestre, doux rêveur confirmé et permanent, va devoir fuir brutalement, ayant entonné l'hymne ukrainien,au début d'un de ses concerts, ce qui est interdit, et assimilé à un " délit"...



Il lâche tout pour sauver sa peau, se réfugier chez son ami, Emile, afin de lui demander aide et conseils... !



Ils se retrouvent et c'est le début d'un road-movie des plus mouvementés qui soit; où, par moments, on ne sait plus qui est qui, et qui est de quel côté, lors de leurs rencontres ?!!!!



Cedric Gras a un talent certain pour rendre ce " road- movie" et cette histoire d'Amitié attachants et subtils...car au bout du compte, il est impossible de "trancher" pour l'un ou pour l'autre, tant ces deux- là, comme tant d'autres, font ce qu'ils peuvent pour survivre dans un contexte politique et social totalement ingérables , ...avec très heureusement, la vraie volonté de préserver leur Amitié !



Je transcris l'extrait suivant qui, à lui seul en dit bien long...sur le contexte ambiant!



"Le référendum pour la partition était programmé le jour suivant et chacun procédait à son introspection. Se sentait-on russe ou ukrainien, eurasiatique ou européen ? le Donbass pouvait-il être une république à part? Nous nous étions mis à fouiller dans nos mémoires. Aussi loin que nous remontons dans nos arbres généalogiques, nous ne découvrions qu'une broussaille de branches russes et ukrainiennes,de brindilles moldaves, d'épines polonaises, biélorusses, arméniennes, grecques, d'aiguilles yiddish ou tatares...Nos aïeux s'étaient fondus dans la masse atone des - Homo sovieticus- (p.55)"



De nombreux rappels sur l'histoire de ces territoires et la folie perdurante de l'État russe !



"En comparaison, Lénine, c'était le paradis, concédait le vieux en admirant sa parcelle de blé. C'est grâce à lui que l'Ukraine est apparue sur les cartes,fût-elle socialiste et soviétique, l'essentiel était là, il avait reconnu l'Ukraine, il lui avait donné des frontières ! Vous comprenez? Même l'ukrainien avait été autorisé ! Les révolutionnaires ont tort de s'attaquer à ses statues...C'est Staline qui a voulu notre peau.Ce Géorgien de malheur...(p.134)"



Une lecture fortement appréciée autant pour les dialogues que le ton et les discours nuancés, perçus à travers la personnalité des deux personnages principaux, exprimant fort bien la situation géopolitique et la folie constante de "Mère Russie " ( pour ne nommer personne, tant il y eut des forcenés du Pouvoir, s'étant succédé..!!)
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Alpinistes de Staline

Fabuleuse épopée que celle d'Evgueni et Vitali Abalakov, deux frères qui ont inscrit leur nom aux sommets de l'alpinisme soviétique, à travers ce XXème siècle stalinien, de souffrances pour tout un peuple, de persécutions, tortures, guerre mondiale et son cortège de destructions humaines.



Cédric Gras a procédé à une enquête fouillée sur la vie de ces deux héros et il la restitue avec finesse, retenue, lyrisme, laissant quelquefois aller son imagination, tout en restant au plus près de la vérité.



Evgueni a échappé au goulag et aux persécutions, mais pas à une mort prématurée, non pas dans la gloire d'une chute d'une paroi, mais asphyxié par le gaz dans une salle de bains d'un appartement communautaire. Accident ou assassinat? Le mystère demeure.



Vitali, lui, a connu la torture, le goulag, après avoir perdu maintes phalanges vers les 7000 mètres et un bon tiers de pied. Il a pu surmonter toutes ces épreuves et connaître à nouveau l'ivresse de la vraie liberté sur les cimes, hélas sans son frère.



Le machiavélisme stalinien et l'endoctrinement des masses est parfaitement restitué par Cédric Gras qui sait plonger ses lecteurs dans l'atmosphère de ces années de plomb, d'incertitude du lendemain, d'espérance toujours pour les deux frères.



Le titre correspond tout à fait à cette appartenance des alpinistes au dictateur, ils grimpent, pour eux-mêmes probablement dans leur for intérieur, mais avant tout pour le régime qui a besoin de gloire face à l'Occident. Un régime qui ne pardonne rien, même quand il n'y a rien à pardonner puisqu'il n'y a pas de faute commise, un régime qui détruit sournoisement tout ce qu'il imagine pouvoir lui nuire, héros alpinistes, simples bergers qui se trouvent au mauvais endroit au mauvais moment.



Evgueni était également dessinateur et sculpteur, ses oeuvres ont quasiment disparu dans la tourmente et, surtout, selon Cédric Gras, il aurait été capable, avec son frère de conquérir l'Everest les premiers.



L'auteur déroule l'histoire au fil de celle des deux frères, révolution, stalinisme, guerre, détente, fin de l'union soviétique. Il inscrit superbement ces deux destinées dans la "roue rouge" de l'histoire et livre à ses lecteurs un magnifique document sur ces deux héros sibériens.



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Alpinistes de Staline

Certains vont me trouver monomaniaque mais je ne peux m'empêcher de pointer les modes littéraires, et celle de l'auto-fiction systématique me fatigue. Mais je ne peux au contraire que la saluer quand l'auto-fiction... s'applique à la non-fiction. Merci à NetGalley et aux éditions Stock de me permettre de gravir les sommets russes.



Il y a bien des qualités dans ce récit des aventures de deux alpinistes, stars soviétiques et inconnus par chez nous. Je voulais commencer par cette volonté de nous expliquer tout au long du récit comment s'est construit la recherche. Cette manière par l'auteur de se placer au centre de son livre reste tout de même discrète et n'éclipse pas les héros. Et là où cette technique finit pour moi par appauvrir le romanesque, elle ne peut en revanche, quand elle reste maîtrisée, que par enrichir les essais. En effet, quand on lit un ouvrage qui se veut décrire la réalité, il est forcément intéressant de bien comprendre d'où parle l'auteur, ce qui l'anime, ses enthousiasmes et aussi ses aigreurs. La reconnaissance d'une certaine impossibilité de l'objectivité qui ne fait qu'enrichir le propos.



Et des richesses ce livre n'en manque pas. L'auteur est à la base géographe et cela donne un regard très intéressant sur l'histoire. Ces deux grandes matières sont systématiquement associées dans nos études et c'est évidemment parce qu'elles se complètent idéalement dans la compréhension de notre monde. Mais les regards sont différents entre le géographe et l'historien. Cédric Gras s'intéresse davantage aux lieux et aux hommes qu'aux dates et cela donne une couleur particulièrement agréable à son récit. Son amour des montagnes et sa passion pour la Russie et ses territoires immenses nourrit son écriture et il parvient à transmettre ses enthousiasmes. Sa plume est d'ailleurs à la fois poétique et claire, il s'amuse avec nous des lourdeurs obligatoires des listes de noms de sommet ou des noms russes compliqués des compagnons de ses deux héros.



Les deux héros justement, une autre force de ce livre. Deux frères au destin à la fois parallèle et divergent, en qui l'histoire soviétique s'inscrit tellement complètement qu'on finirait par croire que Cédric Gras nous les a inventés pour servir un récit soit disant réel. Mais il ne s'agit pourtant pas ici d'un roman mais d'hommes ayant connu tout ce que le rêve communisme pouvait apporter d'aventure mais aussi de souffrances. L'auteur nous fait cheminer à leur côté, glisser, manquer de tomber dans les crevasses. Il ménage certains suspenses et rend hommage à ces héros, oubliés de l'Histoire mais pas des géographes.
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Anthracite

Ne suivant que de loin l'actualité des "grands" éditeurs français, j'ignorais que Cédric Gras avait écrit un roman sur la crise ukrainienne et la guerre du Donbass, publié en 2016 chez Stock. Sa récente réédition en poche m'a permis de le découvrir. Je n'ai pas hésité longtemps avant de me le procurer, ayant apprécié "Le Nord, c'est l'Est" du même auteur, tandis que "L'hiver aux trousses" patiente depuis quelques mois sur les étagères de ma bibliothèque.



Je connaissais donc Cédric Gras en tant qu'écrivain-voyageur, et finalement, cet "Anthracite" est moins un roman en bonne et due forme qu'un "récit de voyage fictif". L'intrigue, pour le moins minimaliste, n'a pas grand intérêt en elle-même : elle sert surtout de prétexte pour faire voyager le lecteur à travers le Donbass, cette extrémité orientale de l'Ukraine qui, à l'inverse du reste du pays en majorité agricole, vit de l'extraction du charbon et la métallurgie. L'ensemble est très didactique : le propos de l'auteur est clairement d'expliquer, d'instruire, d'informer. Ainsi il ne faudra pas s'étonner de voir de simples conversations s'étendre sur plus d'une dizaine de pages, non pas du fait d'un enchaînement de nombreuses répliques, mais parce que chacune d'entre elles donne l'occasion au narrateur de digresser sur un sujet, qu'il s'agisse de géopolitique, d'histoire, de culture, russe ou ukrainienne. La narration à la première personne est un procédé littéraire dont je ne suis pas friand, et pour le coup elle m'a semblé assez artificielle : la plupart du temps, il ne m'a pas semblé entendre la voix de Vladlen (drôle de prénom formé par la contraction de "Vladimir Lénine !"), quadragénaire ukrainien exerçant la profession de chef d'orchestre à Donetsk, mais plutôt celle du jeune écrivain-voyageur français spécialiste de la Russie, écrivant pour un public occidental. Les descriptions, notamment, ont un côté "compte-rendu" quasi journalistique qui ne colle pas avec le personnage du narrateur.



Malgré l'indéniable talent d'écriture de Cédric Gras, je ne suis pas encore tout à fait convaincu par ses talents de romancier, qui se révéleront peut-être dans un futur ouvrage moins basé sur son expérience d'écrivain-voyageur... Mais ayant pris le parti de lire "Anthracite" comme un ouvrage documentaire dans la lignée de "Le Nord, c'est l'Est", j'y ai largement trouvé mon compte. Passionné par la Russie et son histoire mais connaissant assez mal le Donbass, ce récit m'a permis de mieux appréhender la situation complexe de cette région. Cédric Gras dirigeait l'Alliance Française à Donetsk jusqu'à sa fermeture en 2014, date du début du conflit, il a donc été aux premières loges des événements. On notera que le narrateur, et donc l'auteur, garde une certaine neutralité dans sa vision des choses. Le roman est bien plus nuancé que la propagande qui nous est servie sur le sujet par nos médias : on n'a pas d'un côté les gentils démocrates pro-ukrainiens et pro-européens contre les méchants fascistes pro-russes, l'Ukraine apparaît pour ce qu'elle est désormais, une "case stratégique du jeu d'échecs" d'une nouvelle guerre froide...



En somme, pour peu que l'on recherche autre chose qu'une aventure trépidante telle que pourrait le faire croire sa quatrième de couverture, "Anthracite" est une lecture très intéressante et enrichissante sur une question d'actualité qui, indirectement, nous concerne tous en tant que citoyens européens.
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La mer des Cosmonautes

Quand on pense froid, neige ou glace, on pense tout de suite haute altitude, les sommets himalayens arrivant en bonne position.

Mais il est d'autres endroits sur terre où les conditions climatiques n'ont rien à envier à celles qui règnent sur l'Everest : les pôles.

Pour s'en persuader, on peut lire différents ouvrages relatant leur conquête ou bien "Antarctique : ciel et enfer" dans lequel le grand alpiniste italien Reinhold Messner raconte sa traversée du continent blanc en passant par le pôle Sud.



Cédric Gras n'est pas allé jusqu'au pôle, mais a partagé pendant trois mois le quotidien de l'équipage d'un brise-glace chargé de ravitailler les bases russes en Antarctique.

Amoureux de la Russie, russophone, géographe de formation et de caractère aventureux, Cédric Gras était fait pour embarquer à bord de l'Akademik Fedorov.

Il en rapporte des souvenirs et des réflexions qu'il nous partage dans ce récit.

À travers de courts chapitres, il brosse un tableau de la vie de ceux qu'on appelle en Russie les Poliarniks.

Une sorte de mosaïque qui nous permet de comprendre différents aspects de ces existences si particulières, sans oublier une composante historique que j'ai trouvée très intéressante.



Du temps de l'URSS, les poliarniks faisaient rêver les enfants, au même titre que les cosmonautes. Dans les cours de récréation on jouait à être Gagarine aussi bien qu'à faire « comme Papanine sur la banquise ».

On comprend aisément que de telles références forgent le caractère.

Les héros, le climat, les traditions, les habitudes de vies, les récits partagés de génération en génération fondent un socle commun qui fait la spécificité du peuple russe.

Quitte à m'éloigner un peu du sujet, j'ajouterais qu'il en est de même pour tous les autres peuples de la terre : chacun d'eux a un imaginaire collectif et une histoire commune, n'en déplaise aux mondialistes forcenés qui pensent que les êtres sont interchangeables et transplantables à loisir.

Honte aux organisations véreuses qui font du trafic d'êtres humains, et sous couvert d'actions humanitaires, fournissent en réalité aux pays riches de la main-d'oeuvre bon marché ! Le tout en se donnant hypocritement bonne conscience et en essayant de faire culpabiliser ceux qui osent s'élever contre cette traite abjecte.

Voilà, c'est dit.

Maintenant, revenons à nos moutons, ou plutôt à nos étendues glacées !



Cédric Gras nous fait sentir l'âme russe, nous la fait toucher du doigt.

L'imaginaire collectif russe est riche. Riche de conquêtes et de héros à qui on voue un véritable culte, comme Youri Gagarine.

Cette histoire commune explique en grande partie la "résignation apaisée" de ces poliarniks qui acceptent des conditions de vie inhumaines : peut-on se plaindre lorsque l'on a pour référence les vies héroïques des fameux cosmonautes ? Non.

On ne s'en accorde pas le droit, et à partir de là, tout est acceptable. Entre autres les conditions climatiques sévères, l'isolement et la quasi impossibilité d'avoir une vie de famille : "Ils sont si assidûment absents que, de leur propre aveu, ils finissent par se sentir l'âme d'un invité dans leurs propres foyers."



L'amour que l'auteur éprouve pour la Russie transparaît à chaque page, même si c'est souvent pour se moquer gentiment de telle façon de faire, de telle habitude, de tel événement, etc. Qui aime bien châtie bien !

Le lecteur est tour à tour surpris ou amusé, et toujours intéressé par un propos original et instructif.



Géographie, histoire et géopolitique entremêlées dans un récit à hauteur d'hommes : j'ai beaucoup aimé ce voyage.
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Alpinistes de Staline

Du sport soviétique, on ne connait généralement que le ping-pong, quelques vagues histoires de dopage un peu trop poussé se terminant par des nageurs d’élites se transformant en poissons et les visages pétrifiées d’adolescentes formatées pour la gymnastique. De l’alpinisme russe j’ignorais tout - leurs grimpeurs n’ont pas laissé leurs noms aux crêtes des montagnes comme Terray, Lachenal, Whymper, Hillary et les autres. La rencontre entre les deux parait donc particulièrement improbable. Difficile d’imaginer un sport moins communiste que l’alpinisme, à part peut-être le golf ! Quoi de moins prolétarien et de plus bourgeois que ce désir d’escalader des cimes pour le plaisir ?



Nous faisons donc la connaissance des frères Abalakov, Vitali et Evgueni, deux des plus grands alpinistes des débuts de l’URSS. D’origines modestes mais aisées, ils font leur apprentissage sur la version locale des blocs de pierre de la forêt de Fontainebleau. Ils partent ensuite pour Moscou, l’un pour devenir ouvrier, l’autre sculpteur. Ils réussissent à se joindre aux premières expéditions dans le Caucase, puis dans l’Himalaya, officiellement dans un but d’exploration et de prospection. Les alpinistes sont rares à l’époque en URSS, la plupart sont des communistes étrangers émigrés. Parmi eux un Suisse au destin exceptionnel : Lorenz Saladin… Mais ce sera pour une autre critique.



La difficulté d’accéder aux sites (plusieurs jours de voyages en train), l’amateurisme total de ces premières expéditions et le matériel inexistant (quelques cordes de chanvre, des manteaux de ville à 5000 m d’altitude…) rendent leurs exploits encore plus hallucinants. Mais cela se paye : lors d’une ascension au Khan Tengri, à la frontière entre Kazakhstan et Kirghizstan, les choses tournent mal. Lorenz Saladin meurt. Vitali, l’ainé, perd plusieurs doigts et une partie du pied droit, gelé. Pour lui la haute montagne c’est fini. C’est son frère Evgueni qui prendra le relais et accomplira de nombreuses ‘premières’. Mais quand il mourra bêtement intoxiqué par du monoxyde de carbone (qualité soviétique…) Vitali prendra sa revanche, s’imposera dans le domaine de la technique et de l’équipement, et deviendra directeur d’une importante école d’alpinisme.



Au-delà du sujet lui-même, c’est la plongée dans la vie quotidienne de l’URSS qui est saisissante. Le livre s’attache beaucoup à la période 1920 – 1930, la plus dure, et on réalise à quelle point l’existence était précaire et les conditions de vie spartiates. Mais bien vite les purges staliniennes chassent ces préoccupations, rester prosaïquement en vie devenant le souci général. Suspect, le milieu de l’alpinisme est décimé ; Vitali lui-même est arrêté. Emprisonné, torturé, par chance il n’est pas fusillé ni déporté au Goulag. Quelques mois plus tard, Staline stoppe les purges et fait exécuter leurs organisateurs. Une petite partie des condamnés est libéré, et par pure miracle Vitali en fait partie.



L’œuvre ne se veut pas un véritable ouvrage d’historien. De fait le matériel est trop rare, trop lacunaire. C’est plutôt le récit d’une enquête, une sorte de compte-rendu de ce que l’auteur a pu recueillir des rares témoins existants, démêler des dossiers du NKVD et retrouver dans les documents d’époques. Il lui arrive assez souvent de prendre la parole, de raconter ses périgrinations et d’émettre des jugements ou des supputations. Tout cela est parfaitement assumé, et l’auteur est parfaitement clair sur sa démarche. Il ne prétend pas avoir rassemblé la vérité, tout au plus avoir réussi à extraire de l’ombre, à grande difficulté, une fratrie qui y semblait condamnée.
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Saisons du voyage

J'ai seize ans, je suis en Première littéraire et je découvre L'antivoyage de Muriel Cerf : la claque. L'envie de partir, d'aller où le vent me mènera. Je n'irai nulle part. Je passerai mon bac, poursuivrai mes lectures et découvrirai Alexandra David Néel (lue et relue), Nicolas Bouvier, Annemarie Schwarzenbach.

Plus tard Sylvain Tesson, cet été le magnifique Hautes solitudes. Sur les traces des transhumants d'Anne Vallayes.

Là, je viens de finir Saisons du voyage. Et de nouveau, s'empare de moi cette sensation qui s'apparente à de la faim ou plutôt à de la soif. L'impression de se balader le long d'un cours d'eau bien frais un jour de grande chaleur. Juste une envie : se jeter dedans !

Je tiens ça de mon père qui, jusqu'à ce qu'il finisse par se paumer dans des rues qu'il connaissait par coeur à cause de sa maladie de m---- , passait tout son temps à marcher. A peu près n'importe où.

Heureux dehors.

Ma sœur est pareille. Mon frère serait bien aussi dans le même genre. Maintenant que j'y pense, ma mère aussi.

C'est de famille.

Saisons du voyage dit à quel point partir est un besoin vital. « Demain ne pouvait que se trouver ailleurs. » L'auteur, étudiant en géographie, ne tarde pas. Il part. Il part car il s'ennuie. C'est lui qui le dit. Peu importe la destination au fond. Ce qui compte, ce sont les paysages traversés. Ils s'accompagnent d'une terrible prise de conscience : plus rien n'est à découvrir.  Tout a été vu, revu, photographié. Il ne reste plus qu'à marcher « sur les traces de ». Terrible constat : il est arrivé trop tard. Il ne peut que ramasser « les miettes du grand festin de l'exploration ». Sa génération doit se contenter de « lambeaux d'aventure ».

Sans compter que le tourisme de masse et la modernité viennent ternir encore davantage le tableau. On le sent un peu dépité notre Cédric ! Il s'en remettra. Il comprendra qu'on voyage à un instant T et que le monde qui nous est offert à ce moment-là est le nôtre et qu'il faut le prendre comme il est. Pourquoi en vouloir un autre ? Pourquoi toujours penser à ce qu'il y avait avant ? On appartient à une époque. On n'a pas le choix. Oui, maintenant on peut se rendre au Tibet « en wagon pressurisé ». Eh bien, allons-y quand même. Je comprends bien l'amertume de celui ou de celle qui aurait voulu y aller déguisé(e) en mendiant(e). Mais Alexandra David Néel serait, je crois, la première à nous inviter à la sagesse, à la contemplation de nos voisins de compartiment, à leur façon de manger, de dormir, de s'occuper d'eux-mêmes ou de leurs enfants.

« À Luang Prabang, il aurait fallu venir dix ans plus tôt. À La Paz les jeux sont faits. À Iguazu nous sommes des milliers. Je suis un voyageur en retard. »

On sent, dans les premières pages du livre, du dépit, de la colère même peut-être. Parce que le tourisme « proscrit la rencontre et folklorise le dépaysement », parce que le tourisme « ne peut s'immerger dans les lieux qu'il submerge », parce qu'en un mot, il « se moque du monde. »

Mais par la suite, j'ai eu le sentiment, en avançant dans ce récit, que Cédric Gras avait pris conscience qu'au fond, en faisant juste un pas de côté, on pouvait avoir le sentiment d'être seul, enfin dans un lieu où aucun touriste ne va : il suffit « d'éviter les incontournables, les tropismes communs, Ushuaïa, la vallée de Khumbu... », il faut « tracer des perpendiculaires aux circuits des superlatifs, ne pas s'émouvoir à l'unisson de ses pareils. »

Un simple pas de côté, vers un monde « absent de nos écrans, de nos ondes radio, du creux de nos assiettes » par exemple ! Aller là où les gens vous demandent pourquoi vous êtes là, bien persuadés qu'il n'y a pas grand-chose à photographier chez eux.

Pas si difficile que ça finalement. Car, à mon avis, ils sont bien nombreux, les lieux où personne ne va.

Et puis, si c'est possible, ajoutez à cela un petit décalage temporel : « Je me déplace avec les saisons, pas les périodes touristiques et les calendriers décrétés par les ministères, mais celles de la mécanique céleste. »

Et le tour est joué !

Au fond, la sagesse ultime, n'est-ce pas, finalement, accepter d'explorer « SON monde » c'est-à-dire, le monde tel qu'il est dans l'époque qui est la nôtre.

Saisons du voyage est l'histoire, me semble-t-il, d'un itinéraire spirituel, le récit d'une acceptation, celle qui consiste à regarder le monde dans lequel on vit avec ses brouillards de pollution, ses objets en plastique fluo, ses touristes à appareils photo, ses autoroutes infinies, son uniformisation-rouleau-compresseur et à l'accepter tel qu'il est. Je repense soudain à la façon dont Apollinaire dans « Zone » intègre, à sa poésie, le quotidien de son époque : Tour Eiffel, automobiles, enseignes, plaques, journaux, aéroplanes. Oui, c'est cela, Saisons du voyage est l'histoire d'un cheminement vers une forme d'adhésion à ce qui fait notre époque, qu'on le veuille ou non. « Je m'étais vu explorateur, au temps du bureau des Longitudes à l'intitulé si extraordinaire. Je suis devenu un simple voyageur emporté par la vitesse des transports, autour d'une planète rétrécie et uniformisée sous l'hégémonie des plus forts. Je n'en suis pas moins comblé, je ne me suis même jamais véritablement senti floué par l'époque. C'est dans ce monde-là que je me suis plongé la tête la première, pour feuilleter les pages de l'humanité dissemblable ou clonée, déchiffrer les sociétés en éruption et disséquer les pays anesthésiés. Voilà tout le voyage aujourd'hui. Lire le monde, partout, quel que soit ce qu'il nous raconte, observer les yeux grands ouverts. Le regard : la vraie définition du voyage. »

C'est un homme « résigné » qui termine l'écriture de ce livre magnifique (et je ne vous ai pas parlé des mille lieux évoqués dans une prose poétique ciselée), « résigné » dans le sens d'apaisé car enfin en accord avec le monde qui est le sien, SON monde, peut-être un homme qui a mûri, qui n'est plus l'enfant qu'il était lors de ses premières escapades, mais quelqu'un qui a compris que le passé appartient au passé, que lui marche dans le présent et que ce présent, si on veut bien le regarder en face, révèle ses beautés à qui est capable de les voir. Un homme qui a compris qu'il ne pourra jamais tout contempler, parce qu'il est humain, qu'il n'a plus vingt ans et que certaines terres lui resteront à jamais inaccessibles.

« Résigné » et heureux.

Capable, un soir d'été, de se laisser porter par la mer « sous la voûte scintillante et démesurée », de contempler le ciel et d'avoir le sentiment profond d'être là où il doit être.

La sagesse ? Oui, ça s'appelle peut-être comme ça ...
Lien : http://lireaulit.blogspot.fr/
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Le coeur et les confins

Ah, les voyages, les grands espaces, les confins du monde... un rêve partagé par beaucoup et que certains se donnent les moyens de vivre en se mettant en route.

Mais un obstacle de taille se dresse sur leur chemin : l'amour.

Eh oui, un coup de foudre soudain, une passion imprévue et patatras ! Envolés les aventures, adieu les départs.



En douze nouvelles, Cédric Gras explore le thème de l'amour empêcheur de voyager (en rond... ou pas).

Il donne son point de vue très clairement dans l'introduction du premier texte, qui donne son titre à l'ouvrage :

"L'amour est pour le voyageur un des plus grands périls que lui réserve la route, car il frappe au hasard des sentiers et au gré des chemins. Il fait fi des rêves d'ailleurs et des destinations. Il force le vagabond à la halte, il anéantit ses espoirs de lointain. Aucun autre danger ne peut à ce point compromettre une échappée que cette chimie fatale qui agit à la source, en ôtant toute envie, en détournant la flamme, en abaissant le regard. le corps d'une femme masque toujours l'horizon."

Voyageurs, gardez-vous de l'amour !



L'amour est l'ennemi du voyage (et donc du voyageur) et les douze récits déclinent différentes façons qu'a l'obstacle de se présenter.

Moi qui reproche souvent aux recueils de nouvelles d'être des sortes de pêle-mêle ou de juxtapositions sans aucun lien ai apprécié qu'il y ait une très grande cohérence dans cet ouvrage.

C'est l'un de ses intérêts, en plus du style impeccable : Cédric Gras écrit très bien, je l'avais déjà constaté lors de précédentes lectures de cet auteur (Alpinistes de Staline, La mer des cosmonautes, Saisons du voyage).



La forme de la nouvelle sied parfaitement au thème, et le lecteur voyage avec plaisir d'une histoire à l'autre.

Une lecture légère et agréablement distrayante.

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Vladivostok

Le monde se divise en deux parties. Il y a ceux qui rêvent d'endroits idylliques et les autres qui s'en fichent pas mal.



Cela aurait pu être le second titre de ce récit de voyages qui nous emmène dans l'Extrême Orient russe. À dire vrai, je savais que Cédric Gras écrivait des bouquins simplement parce que j'avais vu dans un reportage, qu'il avait accompagné son pote Sylvain Tesson sur les routes de la Bérézina. Je n'attendais pas grand-chose de ce livre et j'avais même un sacré mauvais à priori en me disant que si son nom se retrouvait sur les rayons des libraires c'était surtout parce que Tesson était devenu une star de la littérature. Alors j'ai résisté, même si le titre clignotait sous mes yeux à chaque passage dans le rayon voyages. Vladivostok, neiges et moussons. C'est quand même une fameuse promesse de rafraîchissement pour l'été un titre pareil, alors je l'ai acheté juste avant la belle saison., simplement pour prendre un coup de frais, puisque nos étés, depuis une dizaine d'années, ressemblent à des braseros géants où même les aficionados du bronzage le plus hardcore n'iraient pas mettre un orteil sous le cagnard.



Bon, l'été fut pourri comme on a déjà plus vraiment l'habitude en Belgique. On a même eu droit à de monstrueuses inondations en compensation de la fournaise annoncée. Et, contre toute attente, j'ai adoré ce livre. De la première jusqu'à l'ultime page, Cédric Gras m'a emmené dans cette Russie que j'affectionne tant. Certes je ne suis pas le dernier des novices quant il s'agit de parler de ce pays mais encore faut-il trouver les mots justes pour faire résonner cet immense bout de terre à la géographie si particulière. Et sans doute, ma maigre connaissance du russe m'a permis d'être directement baigné dans cette ambiance si différente de celle de notre Europe de l'Ouest.



« Vladivostok, neiges et moussons » est une immersion dans une Russie loin des clichés touristiques et géopolitiques où l'auteur nous conte sa vie dans cet endroit méconnu du monde occidental. J'ai rarement lu un livre qui arrive à cerner avec précision ce qu'est l'âme russe actuelle : Complexe, rugueuse, paradoxale, … entière.



À lire sans vergogne.

😉

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Vladivostok

Vous savez certainement que Vladivostok est une ville de Russie, mais sauriez-vous la situer sur une carte ?

Le nom de Vladivostok évoque le froid, le lointain, l'inhabitable presque.

Alors ?

Faites-vous partie de l'immense majorité de ceux qui la placent tout au Nord, en Sibérie ?

N'ayez pas peur de l'avouer... c'est ce que je faisais aussi... avant cette lecture.



Voilà l'une des premières choses que j'ai apprises en lisant cet ouvrage : Vladivostok est à l'extrémité Est de la Russie.

Et ce n'est que la première des découvertes que j'ai faites dans ce livre passionnant à lire et très original !



"Il faut vivre ailleurs pour devenir autre. Il faut passer du temps avec les éléments, avec la terre, avec les gens. [...] S'arrêter, s'imprégner d'un lieu, se l'approprier, en connaître les odeurs et la couleur du ciel. Et ce même si le temps est long dans les steppes de Sibérie et dans les forêts d'Extrême-Orient."

Cédric Gras a vécu quatre années dans ces contrées lointaines, il a appris à parler parfaitement le russe et à connaître de l'intérieur les habitants de ce pays si singulier.



Une préface fort intéressante nous plonge immédiatement dans l'ambiance. Ça tombe bien, elle s'intitule "L'infusion géographique".

Ce titre me fait immédiatement penser à mon cher Sylvain Tesson ; je tourne les pages... bingo, ces mots sont bien les siens !

Je suis heureuse de l'avoir reconnu rien qu'avec ces trois mots, et encore plus heureuse de ce que je lis : sa préface est un très bon cru.



"Vraiment, je ne sais pas pourquoi j'aime la Russie. Je l'ai découverte par hasard, un peu hagard, et elle s'est imposée. Je cherchais une terre d'asile, de nouveaux horizons. Je voulais aussi cultiver une certaine manière de vivre, généreuse et un peu triste. Je voulais l'immense, le froid, le farouche et le grand." : Cédric Gras a eu tout cela.

Il le raconte d'une façon très vivante et nous fait formidablement ressentir toutes ses impressions dans un texte très structuré, bien écrit et vraiment agréable à lire.



Si un voyage dépaysant en diable vous tente, si une plongée dans une autre façon de vivre, de travailler et de penser vous tente, inutile de résister : embarquez pour Vladivostok.

Cédric Gras vous servira de guide et le fait qu'il soit recommandé par Sylvain Tesson est un sérieux gage de qualité.

Alors n'hésitez plus, larguez les amarres !

En route pour le grand Nord... oh, pardon... le grand Est !
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