Il passa les doigts dans ses cheveux, les soupesa comme le fait un coiffeur.
- Tu pourrais les vendre, tu sais.
- Ouais, c'est ça.
Qui voudrait la chevelure d'une cancéreuse ? Elle se sentait crasseuse. Contaminée. Ses épaules se voûtèrent sous le coup d'une sorte de honte.
Et voilà qu'elle se mettait de nouveau à songer à Sardine. Pauvre petite princesse alien. Pourquoi tenait-elle à venir la voir ? Et à changer de nom ? Ça rimait à quoi ? D'un autre côté, pourquoi pas ? Rien n'était réel à l'hôpital. Contrairement à la maison. Changer de nom aidait peut-être à supporter la maladie, le séjour obligé dans ce service. On pouvait faire semblant de croire que ça arrivait à quelqu'un d'autre. Si elle-même avait pu changer de nom, être quelqu'un d'autre.
Après avoir négocié le parcours de son pied à perfusion entre chaises et table basse, elle atteignit la fenêtre et contempla l'extérieur : le fleuve, les routes, les immeubles, tous illuminés, tous tellement différents dans leur manteau de nuit. Depuis l'enceinte de l'hôpital, le panorama s'étirait en une couverture scintillante étendue sur cet autre monde, celui où vivait sa mère et d'où elle rapportait quelques bribes d'informations - à propos du chien des voisins, de la réfection du toit de l'église ou de la nouvelle supérette Sainsbury's Express qui venait d'ouvrir et où elle était allée jeter un œil. Elle aurait pu aussi bien parler d'un voyage sur Mars. Cependant, Megan l'avait écoutée, s'efforçant de manifester de l'intérêt quand son seul souhait était qu'elle s'en aille- ce qui la culpabilisait. Encore à présent.
Être coincée ici équivalait à une peine à perpétuité. Trop fatiguée pour remuer, pas assez d'énergie pour dessiner, trop rincée même pour envoyer un texto aux copines. D'ailleurs, elle n'en avait pas envie. Pour leur dire quoi ? Elles étaient au collège, occupées à de vraies activités. Elle était là à ne rien faire, seulement entendre Jackson se faire sermonner. Ses amies ne comprendraient pas. Elle ne se rappelait même pas à quoi aurait ressemblé la vie en ce moment si elle avait été en classe. Elle était incapable de se figurer la moindre chose concrète. Ça se passait à l'extérieur de ses murs et elle était à l'intérieur. Ça revenait un peu à se retrouver piégée dans une boule à neige, sans la neige.
Il n'y avait rien d'étonnant à ce que Jackson cherche à s'échapper, à changer de paysage, à aller se balader. Cet hôpital, cette chambre, ces murs et ces couloirs constituaient un univers étroit et limité.
Megan fut incapable d'articuler un mot. Il était si près d'elle, si près qu'elle parvenait à peine à respirer. Durant un court moment, tout parut s'arrêter, comme si le monde entier, leur monde, dans le service, à l'hôpital, se trouvait immobilisé, sommé de ne pas remuer car, sinon, l'instant s'évanouirait.