Citations de Céline Guarneri (55)
Cette capacité à accorder un intérêt sincère aux choses simples, aux petits riens, c’était sa grande force. Un oiseau qui s’enfermait dans une rame la mettait dans le même état qu’une chanson de Gainsbourg entonnée par un ivrogne. Daphné souffrait du « syndrome du bateau ivre ». Insoucieuse de tous les équipages de la rame qui pestaient contre l’intrus ailé, elle s’amusait de la scène cocasse.
Elle était ce que Louis appelait une femme genoux-choux-cailloux-bijoux ; une femme belle à faire trembler les genoux, à vous faire aller à travers choux, à semer des cailloux pour que vous ne la perdiez pas de vue et à vous ruiner en bijoux.
Quand il avait aperçu cette grande blonde d’un mètre soixante-quinze, il avait tout de suite été amusée par sa timidité. Il avait voulu faire le malin sur sa planche de surf pour l’épater, mais il n’avait réussi qu’à accroître le pourcentage de chutes mémorables et à varier le menu des poissons en perdant une dent. Adèle était immédiatement venue à la rescousse. Elle nageait très mal, mais son courage lui aurait certainement permis d’intégrer le corps d’élite des bonnes âmes.
Il avait grandi dans une famille de médecins et de professeurs où la culture classique servait à humilier la boulangère qui ne connaissait aucun des aphorismes en latin qui ornaient les fontaines des places. Qui pouvait bien croire que Jules César s’était battu avec Asterix ? La boulangère.
Il avait goûté à tellement de regards en soixante-cinq ans qu’il avait presque des paupières à la place des lèvres.
Vivre un « desencuentro », c’est regarder sa vie depuis le trottoir d’en face. On est au bon endroit au mauvais moment ou au bon endroit au bon moment. Toutefois, malgré les loupés, quelque chose se grave subrepticement en nous. Il faut parfois beaucoup de rencontres qui n’aboutissent pas pour créer la vraie rencontre, la seule d’ailleurs qui importe vraiment : celle avec soi-même. Quand on a atteint ce centre, on ne perd plus jamais l’équilibre.
Quand on est celle ou celui qui reste, on se sent coupable. Je connais ça. J’ai eu envie de disparaître un nombre de fois incalculable. La vie, c’est parfois un labyrinthe dans lequel on se prend une claque tous les deux mètres. Mais il y a aussi des éclaircies, des sourires et des bonheurs qu’on n’attendait plus.
Il est des instants dont la beauté indéchiffrable ressemble à cette dernière part de tarte abandonnée sur la table à côté du bouquet de la mariée. Cette simplicité des instantanés malhabile les empoigne tous deux jusqu’aux larmes.
Le monde serait une marée noire si tous les deuils conduisaient les cœurs brisés à la folie.
Certains mercis n’ont pas besoin de bouche ni d’oreilles. Ils n’ont besoin que de mains et de bras.
Ce n’est pas la maudite cigarette qui lui fait un trou dans les poumons. Ce sont tous les « e » de sa belle enterrée qui ne viendront plus se coller au « o » de son cœur.
Aujourd’hui, les revues et le linge sale se disputent un bout de plancher, les rideaux ne sont presque jamais tirés et les fenêtres rarement ouvertes. Il est solidaire de sa femme. Puisqu’elle ne voit plus le jour dans sa petite boîte, il partage lui aussi la même nuit.
La voix du poète Christian Bobin se faufile dans l’habitacle et leur récite un poème :
“ Tu sais ce que c’est la mélancolie ? Tu as déjà vu une éclipse ? Eh bien c’est ça : la lune qui se glisse devant le coeur, et le coeur qui ne donne plus sa lumière. “
Que se passe-t-il quand deux tendresses sont sans domicile fixe sur le trottoir ? Elles dansent au moins un tango lourd d’oubli et de paix avant de se séparer.
Le ciel pleure tout ce que les hommes sont incapables de cracher hors de leurs yeux fiers et repus de certitudes. Ils devraient pourtant savoir qu’au fond de la tristesse, on trouve parfois ce qui vaut la peine. D’être dit, d’être vécu, d’être fait ou d’être perdu.
— Je ne suis qu’un marque-page dans ta vie (…) Tu me déplaces parfois d’un chapitre à l’autre et puis d’autres fois, tu m’oublies et je manque des paragraphes importants. Et puis de paragraphe en paragraphe, ce sont des pages entières de ta vie qui m’échappent. Je ne veux pas être un marque-page.
Danser le tango, c’est comme rester éveillé avec l’apaisement que procure le sommeil dans les bras de quelqu’un qu’on ne connaît pas. (…)
Dès que tu souris à l’intérieur, tu sais que tu danses vraiment le tango.
— S’il y a un truc ringard à faire, le capitaine Hujarova est votre expert. Hey, Tony, t’es au courant que les princesses ont foutu le camp avec le Bel au bois dormant ? Emmitouflés dans leur cafard, les hommes commencent à boire et traîner dans les bars.
Tout est enveloppé d’une couleur de cendres. Tout semble opaque, ruisselant de drame, brouillageux. Oui, c’est ça brouillageux. Tout est comme un mot qui n’existe pas, comme la couleur que revêt l’oubli de la réalité douloureuse sur les vieilles coupures de presse.
Une fille sans parapluie qui ne se précipite pas pour trouver un abri, c’est pire qu’un adieu qui devient contagieux. S’ils savaient qu’un chagrin ne se sème pas en chemin, même avec des chaussures de marathonien.