Quand ils étaient entrés en fanfare à Lhassa, les soldats chinois avaient eu l'heureuse surprise de se voir applaudir par la foule, même si les visages des badauds demeuraient étrangement fermés. Ils ignoraient simplement que, dans la tradition tibétaine, taper des mains est le geste par excellence pour chasser les démons...
Autrefois, les difficultés pratiques d’accès, les tracasseries administratives de voisins peu accommodants, le quant-à-soi des autorités tibétaines elles-mêmes, sans négliger les aléas d’un voyage somme toute aventureux, suffisaient à assurer une manière de cordon sanitaire autour de cette forteresse naturelle que reste le haut plateau tibétain. Une fois qu’on y a posé le pied, la sensation est presque physique de saisir pour-quoi les dirigeants du Pays des neiges étaient plutôt enclins à regarder de haut le monde turbulent au pied de leur rempart montagneux. La mainmise de Pékin a accentué la tendance, s’agrémentant du bouclage quasi hermétique des frontières même avec des voisins aussi inoffensifs que le Népal ou le Bhoutan, et d’un refus systématique de visa à tout étranger, sauf à montrer patte blanche et à être acquis par avance aux thèses officielles du régime. La brutale irruption de l’histoire, incarnée par les troupes chinoises d’occupation, a fait passer un cyclone dévasta-teur sur une société repliée sur elle-même, peu au fait des vastes enjeux qui tourbillonnaient autour d’elle, soudainement à la merci de l’accélération des événements. Et cela, à l’abri du moindre regard extérieur.
Depuis des années, sans se lasser, le quator-zième dalaï-lama s’efforce de le faire comprendre : on l’écoute parfois, mais veut-on réellement l’entendre ? « Il importe avant tout de sauver le Tibet, car s’il n’y a plus de Tibétains pour jouir de leurs droits légitimes, à quoi bon l’autonomie ou même l’indépendance ? Le Tibet est une réa-lité, que cela plaise ou non aux actuels dirigeants chinois. Peut-être sont-ils trop vieux pour chan-ger d’avis et prendre les décisions qui s’im-posent. Il importe de leur faire comprendre qu’il est dans leur propre intérêt de voir la réalité et de s’engager sur la voie de la discussion : il en va de la stabilité du pays et de leur propre avenir. Les bouleversements dont nous avons été témoins ces dernières années sur la scène inter-nationale indiquent qu’en Chine aussi, il y aura des changements. »
Entre athéisme et agnosticisme, fort de sa propre expérience, l’Éveillé insiste sur la voie médiane, peut-être la plus difficile à suivre : elle exige la constance de l'effort pratique, la réflexion individuelle et le choix personnel. [Ce qu'on peut résumer par :] "Ne croyez rien parce qu'un sage l'a dit, parce qu'on le croit généralement, parce que c'est écrit, parce que c'est réputé divin ou parce qu'un autre le croit. Ne croyez que ce que vous-même jugez être vrai." [Mais] pour juger soi-même, il convient de scruter avec une attention soutenue, de regarder de près, d'interroger et de s'interroger inlassablement [...].
(Deuxième partie, Chapitre IV "L'Octuple Sentier et ses ramifications", section IV "Responsable de sa vie", p.51)
Et comme souvent, le champ de bataille était le cœur des hommes, son enjeu – l’esprit humain. A cette aune-là, le toit du monde offrait un décor à la mesure de la démesure du défi.
Longue aura été la nuit tibétaine. Elle n’est pas encore tout à fait finie. Pourtant, il me souvient de ces rencontres au fil des ans au gré des escales, fugitives étreintes du temps enlisé dans les sables mouvants d’une mémoire intermittente. Des visages dévisagés, des voix voilées, des vies croisées – autant de larmes ou d’éclats de rire comme des reflets sur l’eau. Il était une fois l’avenir.
L'appauvrissement et la dégradation continue des conditions de vie de la majeure partie de la population expliquaient ces manifestations, qui répondaient à l’annonce de l’augmentation du prix des carburants le 15 août 2007, donc des transports et des denrées alimentaires de base (+ 30 % du prix du riz)…
Temps perdu ou temps retrouvé, bulle irisée aux couleurs de l’arc-en-ciel, départ pour une chimère, le temps raisonne d’autres résonances. Suspendu – il s’arrête ou bascule. Ailleurs. Feu d’artifice ou vertige, il n’existe plus. Un caillou noir prend sa place dans une mémoire. Jusqu’au temps réinventé.
Le temps ici avait lâché prise, il flottait comme une mélodie tenue dans l’air, souffles de vents mariés aux chuchotements d’une présence inscrite à jamais dans le corps de la terre.
Comme en résonance avec l’énigmatique prophétie du VIIe siècle attribuée au grand sage et magicien himalayen Padmasambhava qui aurait prédit :
« Lorsque l’oiseau de fer volera Lorsque les chevaux galoperont sur des roues
Les gens du Pays de Bod seront éparpillés à travers le monde comme des fourmis, et le dharma abordera le continent de l’homme rouge. »