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Citations de Claude Lévi-Strauss (422)


Le barbare, c'est d'abord l'homme qui croit à la barbarie.
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Jamais Rousseau n'a commis l'erreur de Diderot qui consiste à idéaliser l'homme naturel. Il ne risque pas de mêler l'état de nature et l'état de société; il sait que ce dernier est inhérent à l'homme, mais il entraîne des maux : la seule question est de savoir si ces maux sont eux-mêmes inhérents à l'état. Derrière les abus et les crimes, on recherchera donc la base inébranlable de la société humaine.
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Vue du dehors, la forêt amazonienne semble un amas de bulles figées, un entassement vertical de boursouflures vertes; on dirait qu'un trouble pathologique a uniformément affligé le paysage fluvial. Mais quand on crève la pellicule et qu'on passe au-dedans, tout change : vue de l'intérieur, cette masse confuse devient un univers monumental. La forêt cesse d'être un désordre terrestre; on la prendrait pour un nouveau monde planétaire, aussi riche que le nôtre et qui l'aurait remplacé.
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Ceux qui déclarent New York laide sont seulement victimes d'une illusion de la perception.
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Je comprends alors la passion, la folie, la duperie des récits de voyage. Ils apportent l'illusion de ce qui n'existe plus et qui devrait être encore, pour que nous échappions à l'accablante évidence que vingt mille ans d'histoire sont joués.
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L'aventure n'a pas de place dans la profession d'ethnographe; elle en est seulement une servitude, elle pèse sur le travail efficace du poids des semaines ou des mois perdus en chemin; des heures oisives pendant que l'informateur se dérobe; de la faim, de la fatigue, parfois de la maladie; et toujours, de ces mille corvées qui rongent les jours en pure perte et réduisent la vie dangereuse au coeur de la forêt vierge à une imitation du service militaire...
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Ce qui remarquable, c'est qu'une trentaine d'années plus tard, Lévi-Strauss renverra toujours à ce passage de Race et histoire dans lequel il explique que les sociétés humaines se définissent sans doute, dans leurs relations mutuelles, et en elles-mêmes, par un "certain optimum de diversité": un seuil critique de diversité. Davantage de diversité, et c'est la relation avec les autres cultures qui se trouve compromise. Moins de diversité, et c'est chaque culture en elle-même qui est en danger.
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Ces éléments sont moins importants que la façon dont chaque culture les groupe, les retient ou les exclut. Et ce qui fait l'originalité de chacune d'elles réside plutôt dans sa façon particulière de résoudre des problèmes, de mettre en perspective des valeurs, qui sont approximativement les mêmes pour tous les hommes : car tous les hommes sans exception possèdent un langage, des techniques, un art, des connaissances de type scientifique, des croyances religieuse, une organisation sociale, économique et politique. Or ce dosage n'est jamais exactement le même pour chaque culture, et de plus en plus l'ethnologie moderne s'attache à déceler les origines secrètes de ces options plutôt qu'à dresser un inventaire de traits séparés.
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Depuis l'enfance, la mer m'inspire des sentiments mélangés. Le littoral et cette frange périodiquement cédée par le reflux qui le prolonge, disputant à l'homme son empire, m'attirent par le défis qu'ils lancent à nos entreprises, l'univers imprévu qu'ils recèlent, la promesse qu'ils font d'observations et de trouvailles flatteuses pour l'imagination. Comme Benvenuto Cellini, envers qui j'éprouve plus d'inclination que j'en ai pour les maîtres du quattrocento, j'aimer errer sur la grève délaissée par la marée et suivre aux contours d'une côte abrupte l'itinéraire qu'elle impose, en ramassant des cailloux percés, des coquillages dont l'usure a réformé la géométrie, ou des racines de roseau figurant des chimères, et me faire un musée de tous ces débris : pour un bref instant, il ne le cède en rien à ceux où l'on a assemblé des chefs-d'oeuvre; ces derniers proviennent d'ailleurs d'un travail qui - pour avoir son siège dans l'esprit et non au-dehors - n'est peut-être pas fondamentalement différent de celui à quoi la nature se complaît.
Mais n'étant ni marin, ni pêcheur, je me sens lésé par cette eau qui dérobe la moitié de mon univers et même davantage, puisque sa grande présence retentit en deçà de la côte, modifiant souvent le paysage dans le sens de l'austérité. La diversité habituelle à la terre, il me semble seulement que la mer la détruit; offrant à l’œil de vastes espaces et des coloris supplémentaires; mais au prix d'une monotonie qui accable, et d'une platitude où nulle vallée cachée ne tient en réserve les surprises dont mon imagination se nourrit.
Au surplus, les charmes que je reconnais à la mer nous sont aujourd'hui refusés. Comme un animal vieillissant dont la carapace s’épaissit, formant autour de son corps une croûte imperméable qui ne permet plus à l'épiderme de respirer et accélère ainsi le progrès de sa sénescence, la plupart des pays européens laissent leurs côtes s’obstruer de villas, d'hôtels et de casinos. Au lieu que le littoral ébauche, comme autrefois, une image anticipée des solitudes océaniques, il devient une sorte de front où les hommes mobilisent périodiquement toutes leurs forces, pour donner l'assaut à une liberté dont ils démentent l'attrait par les conditions dans lesquelles ils acceptent de se la ravir. Les plages, où la mer nous livrait les fruits d'une agitation millénaire, étonnante galerie où la nature se classait toujours à l'avant-garde, sous le piétinement des foules ne servent plus guère qu'à la disposition et à l'exposition des rebuts.
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Il n'y a pas de perspective plus exaltante pour l'ethnographe que celle d'être le premier blanc à pénétrer dans une communauté indigène. Déjà, en 1938, cette récompense suprême ne pouvait s'obtenir que dans quelques régions du monde suffisamment rares pour qu'on les compte sur les doigts d'une main. Depuis lors, ces possibilités se sont encore restreintes. Je revivrais donc l'expérience des anciens voyageurs, et à travers elle, ce moment crucial de la pensée moderne où, grâce aux grandes découvertes, une humanité qui se croyait complète et parachevée reçut tout à coup, comme une contre-révélation, l'annonce qu'elle n'était pas seule, qu'elle formait une pièce d'un plus vaste ensemble, et que, pour se connaître, elle devait d'abord contempler sa méconnaissable image en ce miroir dont une parcelle oubliée par les siècles allait, pour moi seul, lancer son premier et dernier reflet.
Cet enthousiasme est-il encore de mise au XXe siècle ? Si peu connus que fussent les Indiens du Pimenta-Bueno, je ne pouvais attendre d'eux le choc ressenti par les grands auteurs: Léry, Staden, Thevet, qui, il y a quatre cents ans, mirent le pied sur le territoire brésilien. Ce qu'ils virent alors, nos yeux ne l'apercevront jamais plus. Les civilisations qu'ils furent les premiers à considérer s'étaient développées selon d'autres lignes que les nôtres, elles n'en avaient pas moins atteint toute la plénitude et toute la perfection compatibles avec leur nature, tandis que les sociétés que nous pouvons étudier aujourd’hui- dans des conditions qu'il serait illusoire de comparer à celles prévalant il y a quatre siècles - ne sont plus que des corps débiles et des formes mutilées.
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Europe, Inde, Amérique du Nord et Amérique du Sud n'épuissent-elles pas les combinaisons possibles entre le cadre géographique et le peuplement ? A l'Amérique amazonienne, région de tropiques pauvres mais sans hommes (ceci compensant partiellement cela ) s'oppose l'Asie du Sud, également tropicale et pauvre, mais surpeuplée ( ceci aggravant cela ) comme - dans la catégorie des pays tempérés - l'Amérique du Nord aux vastes ressources et à population relativement restreinte, fait pendant à une Europe aux ressources relativement restreintes mais au chiffre de population élevé. De quelque façon qu'on dispose ces évidences, l'Asie du Sud est toujours le continent sacrifié.
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On conçoit généralement les voyages comme un déplacement dans l’espace. C’est peu. Un voyage s’inscrit simultanément dans l’espace, dans le temps, et dans la hiérarchie sociale. Chaque impression n’est définissable qu’en la rapportant solidairement à ces trois dimensions, il en faudrait au moins cinq pour se faire du voyage une représentation adéquate.
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l'efficacité de la magie implique la croyance en la magie.
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On a trop fait état de toutes les propriétés : phénicienne pour l'écriture ; chinoise pour le papier, la poudre à canon, la boussole ; indienne pour le verre et l'acier... Ces éléments sont moins importants que la façon dont chaque culture les groupe, les retient ou les exclut. Et ce qui fait l'originalité de chacune d'elles réside plutôt dans sa façon particulière de résoudre des problèmes, de mettre en perspective des valeurs, qui sont approximativement les mêmes pour tous les hommes : car tous les hommes sans exception possèdent un langage, des techniques, un art, des connaissances de type scientifique, des croyances religieuses, une organisation sociale, économique et politique. Or ce dosage n'est jamais exactement le même pour chaque culture, et de plus en plus l'ethnologie moderne s'attache à déceler les origines secrètes de ces options plutôt qu'à dresser un inventaire de traits séparés.
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Quand on étudie de tels faits - et d'autres domaines de la civilisation, comme les institutions sociales, l'art, la religion, en fourniraient aisément de semblables - on en vient à se demander si les sociétés humaines ne se définissent pas, en égard à leurs relations mutuelles, par un certain optimum de diversité au-delà duquel elles ne sauraient aller, mais en dessous duquel elles ne peuvent, non plus, descendre sans danger.
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Quant à Victor Serge, son passé de compagnon de Lénine m'intimidait en même temps que j'éprouvais la plus grande difficulté à l'intégrer à son personnage, qui évoquait plutôt une vieille demoiselle à principes. Ce visage glabre, ces traits fins, cette voix claire joints à des manières guindées et précautionneuses, offraient ce caractère presque asexué que je devais reconnaître plus tard chez les moines bouddhistes de la frontière birmane fort éloigné du mâle tempérament et de la surabondance vitale que la tradition française associe aux activités subversives. C'est que des types culturels qui se reproduisent assez semblables dans chaque société, parce que construits autour d'oppositions très simples, sont utilisés par chaque groupe pour remplir des fonctions sociales différentes. Celui de Serge avait pu s'actualiser dans une carrière révolutionnaire en Russie ; qu'en eût-il été ailleurs ? Sans doute, les relations entre deux sociétés seraient facilités s'il était possible, au moyen d'une sorte de grille, d'établir un système d'équivalences entre les manières dont chacun utilise des types humains analogues pour remplir des fonctions sociales différentes. Au lieu de se borner, comme on fait aujourd'hui, à confronter médecins et médecins, industriels et industriels, professeurs et professeurs, on s'apercevrait peut-être qu'il existe des correspondances plus subtiles entre les individus et les rôles.
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Il suffit donc que l'histoire s'éloigne de nous dans la durée, ou que nous nous éloignions d'elle par la pensée, pour qu'elle cesse d'être intériorisable et perde son intelligibilité, illusion qui s'attache à une intériorité provisoire. Mais qu'on ne nous fasse pas dire que l'homme peut ou doit se dégager de cette intériorité provisoire. Il n'est pas en son pouvoir de le faire, et la sagesse consiste pour lui à se regarder la vivre, tout en sachant (mais dans un autre registre) que ce qu'il vît si complètement et intensément est un mythe, qui apparaîtra tel aux hommes d'un siècle prochain, , qui lui apparaîtra tel à lui-même, peut-être, d'ici quelques années, et qui, aux hommes d'un prochain millénaire, n'apparaîtra plus du tout.
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Un voyage s'inscrit simultanément dans l'espace, dans le temps, et dans la hiérarchie sociale. Chaque impression n'est définissable qu'en les rapportant solidairement à ces trois axes, et comme l'espace possède à lui seul trois dimensions, il en faudrait au moins cinq pour se faire du voyage une représentation adéquate.
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En même temps qu'il transporte à des milliers de kilomètres, le voyage fait gravir ou descendre quelques degrés dans l'échelle des statuts. Il déplace, mais aussi, il déclasse - pour le meilleur et pour le pire - et la couleur et la saveur des lieux ne peuvent être dissociés du rang toujours imprévu où il vous installe pour les goûter.
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Comment des sociétés contemporaines, restées ignorantes de l'électricité et de la machine à vapeur, n'évoqueraient-elles pas la phase correspondante du développement de la civilisation occidentale ? Comment ne pas comparer les tribus indigènes, sans écriture et sans métallurgie, mais traçant des figures sur les parois rocheuses et fabriquant des outils de pierre, avec les formes archaïques de cette même civilisation, dont les vestiges trouvés dans les grottes de France et d'Espagne attestent la similarité ? C'est là surtout que le faux évolutionnisme s'est donné libre cours. Et pourtant ce jeu séduisant, auquel nous nous abandonnons presque irrésistiblement chaque fois que nous en avons l'occasion (le voyageur occidental ne se complaît-il pas à retrouver le "moyen âge" en Orient, le "siècle de Louis XIV" dans le Pékin d'avant la Première Guerre mondiale, l'"âge de la pierre" parmi les indigènes d'Australie ou de la Nouvelle-Guinée ?), est extraordinairement pernicieux. Des civilisations disparues, nous ne connaissons que certains aspects, et ceux-ci sont d'autant moins nombreux que la civilisation considérée est plus ancienne, puisque les aspects connus sont ceux-là seuls qui ont pu survivre aux destructions du temps. Le procédé consiste donc à prendre la partie pour le tout, à conclure, du fait que certains aspects de deux civilisations (l'une actuelle, l'autre disparue) offrent des ressemblances, à l'analogie de tous les aspects. Or non seulement cette façon de raisonner est logiquement insoutenable, mais dans bon nombre de cas elle est démentie par les faits. (p.22)
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