Marthe comprend ce qu'ils ne disent pas ! Cette maison fermée sur la certitude de l'absence, et maintenant...Pour eux, elle sait qu"elle est une sorte de fantôme. Ils auraient pu fuir. Ils sont là. Ils sont là, retenant leurs gestes, leurs mots, n'osant se tourner l'un vers l'autre, se demandant s'ils rêvent ou s'ils sont éveillés, si ce pays les a envouté pour mieux les briser. On ne joue pas au plus fort avec le pays de la pierre et du feu.
Maintenant, Hélène remplit une assiette de soupe.
"Mais enfin, se demande Maria, pourquoi la pose-t-elle sous l'attrape-mouche?"
Des mouches encore vivantes, empêtrées de colle, tombent dans le liquide bouillant, s'y débattent. Une à une, elles s'y noient.
-"Té, ça doit être assez refroidi, dit Hélène. Que je vous fasse manger maintenant que j'ai le temps. Ouvrez la bouche, je vous dis," s'emporte Hélène qui ne l'a pas entendu entrer.
D'un seul coup d'oeil, Marcou a tout vu, tout compris....Les lèvres serrées de Maria, les mouches dans la soupe, la hargne.
-Tiens ! Bouffe-la, si elle te plaît ta soupe ! Bouffe-la ! hurle-t-il, arrachant l'assiette des mains de sa mère et en lui jetant le contenu au visage.
...."Non, Marcou ! Non, mon petit !" supplie une voix à l'intérieur de Maria.
Il lève la main.
"Non ! Pas ça, Marcou !
La tête de Maria éclate. Tout le sang de son corps reflue à ses tempes. Tant de colère dans autant de silence, ça fait trop de bruit, trop pour crier ce qui s'est tu si longtemps.
lire que j'aime lire , il est super des que l'on le prend on ne peut plus le quitter, un plaisir à chaque moment
Merci à l'écrivain Claude Vincent beaucoup de poésie, et de details une femme superbe
Marthe écoute se prolonger les mots. dans sa cuisine silencieuse, il n'y a plus que le crépitement du feu. Il y a aussi, sur elle, le regard de l'homme qui, parce qu'elle ne peut ni bouger, ni parler, ni même abaisser son propre regard, a l'air de lire en elle, loin, toutes ces choses qu'elle sent monter, dans l'instant, du fin fond d'elle-même. sans qu'elle puisse la retenir, une larme roule, tiède, contre son nez.
Nous étions un vieux couple chargé d'ans et de déconvenues, poursuivant, sans doute par habitude, en tous cas sans illusions, la route ensemble. A l'instant où je la regardai, je me sentis bizarrement gêné de la découvrir à mes côtés, telle qu'autrefois, frêle et enfantine.
Qu'est-ce que je demandais? Finir mes jours chez moi, pas plus, avec mon fourneau pour chauffer l'hiver et le soleil levé sur l'été. La campagne au soleil levant, c'est vraiment la plus belle chose au monde, la plus belle. Avec sa porte ouverte sur le matin, malgré toute la tristesse d'une vie, on peut être content. Dire qu'il m'a fallu toute mon existence pour apprendre une chose aussi simple...Le plus fort, c'est que, dans ma maison, je n'imaginais pas que j'étais vieille. Avec le temps, elle et moi nous nous étions habituées à voir passer le temps ensemble, à faire ce qu'il y avait à faire, toujours pareil du lever au coucher, comme de soigner les bêtes et les plantes, passer le café du matin et tant d'autres besognes qui occupent une journée. Il fallait, c'est drôle, que je me dise mon âge pour me voir vieillir.
Le paradis, me répliqua mon hôte en riant, j'imagine qu'il est, au moins en un point, assez semblable à l'enfer : quand on l'a dans le cœur, on le déverse sur terre. (p.219)
Ce que je vis d'abord, c'est la fenêtre qui venait de s'allumer. Puis je distinguai l'homme, debout à un mètre cinquante, deux mètres du mur, me tournant le dos. Brutalement, la réalité de la scène me sauta aux yeux : il brandissait dans son poing levé une petite masse beige, couinante. Quatre ou cinq autres gisaient à terre, inertes, minuscules tas de fourrure baignés de sang.
Je plains ces humains trop tôt vieux qui, faisant économie de la souffrance et du don, se privent d'un petit compagnon à quatre pattes dilapidateurs de joie, d'insouciance, coutumiers que sont les chiens de ce vivant gaspillage qu'est le débordement du cœur.
Derrière l'ironie manifeste de mon regard, le soupçon, sans doute, que celui qui aime la vie l'aime sous toutes ses formes.
Serions-nous si étroits que l'attention portée aux animaux nous détourne de la détresse humaine ? (p.43)