Citations de Colombe Boncenne (35)
La librairie de Paris, place de Clichy, que je fréquentais assidûment, organisait des soirées littéraires où étaient invités des écrivains. Nous aimions nous y rendre avec Suzanne, mais le temps passant et après quelques déconvenues, elle avait décidé de ne plus venir. C'est vrai que nous avions parfois été déçus de mettre un visage (laid), un corps (gras), une voix (fluette) sur des mots que l'on aurait volontiers imaginé venir d'ailleurs. Et il nous éait arrivé de nous retrouver presque seuls devant un timide auteur interrogé par un journaliste très bavard dont les plaisanteries ne faisaient rire que lui.
Je ne croyais absolument pas aux phénomènes paranormaux et les écrivains auxquels je m’adressais, s’ils pouvaient bien inventer les fictions les plus insensées dans leurs livres, étaient à mon sens des êtres de raison dans la vie.
En définitive, et en écartant, par égard pour vous, d’autres hypothèses pourtant bien satisfaisantes (le livre dont vous parlez n’existe pas ; il existe, et c’est vous qui l’avez écrit), je n’en vois plus qu’une qui tienne la route : Neige noire est un livre pas encore écrit. Pardon ? Oui, un livre à venir.
L’été, Suzanne parvenait toujours à me traîner sur l’île de Groix, en Bretagne, quand moi, je rêvais de soleil et de rythme méditerranéen. Suzanne était plus douée que moi en matière d’organisation, elle me prenait toujours de court, réservait une location très en avance, convainquait des amis de venir avec nous et usait de toute la mauvaise foi qui pouvait être la sienne lorsque je protestais : « Tu ‘avais qu’à t’en occuper, des vacances. » Alors, en fait de tapas, d’horaires décalés et de soirées langoureuses, je me retrouvais à filer sous la halle aux aurores pour espérer y acheter quelque poisson pêché dans la nuit, puis chez un éleveur de chèvre baba-cool pour tâcher d’y obtenir un fromage frais ; l’après midi sur la plage, à essayer de me baigner dans une eau à 17 degré sous le prétexte d’un rayon de soleil ; enfin le soir, à jouer au Scrabble au coin du feu, car oui il faut l’admettre, un bon petit feu nous réchaufferait. Et encore, je parle des jours où la météo était clémente. Quatre semaine passèrent ainsi, je me baignai quatre fois et gagnai dix-sept parties de Scrabble sur trente-huit- c’est dire le temps qu’il fit.
Le journal local, qui constitue l’une de mes petites joies d’un weekend en province : du reportage de proximité au menu du restaurant scolaire en passant par la légende délicieusement ordinaire des photographies, je me délecte toujours d’apprendre que la confrérie des chasseurs de papillons s’est réunie vendredi dernier à l’heure où les enfants des écoles primaires dégustaient une cassolette de légumes de saison dans le cadre de la semaine du goût.
Je me tiens un peu éloigné de cette dans frénétique… Celle des écrivains qui, l'âme exorbitée, implorent un peu de reconnaissance.
Il refusait les exercices promotionnels qui accompagnent pesamment la sortie d'un ouvrage. "J'ai chargé les jurys des prix littéraires d'assurer eux-mêmes cette promotion, ils font ça très bien", dit-il avec un petit sourire en coin.
Nous formions désormais un couple de solitaires, que seuls les agacements quotidiens semblaient unir.
Le critique, en plus de cette fatigue, éprouve une lassitude spécifique, face aux piles de livres qui s'accumulent et à l'évocation de la foire aux vanités convoquée à chaque rentrée.
Il était établi que nous ne bouleverserions rien à nos vies, que notre histoire serait un tendre à-côté.
Elle les feuillette à la manière de ces petits ouvrages illustrés dont on fait défiler les pages avec le pouce pour en animer les images - chercherait-elle à animer les mots?
J'étais presque heureux, et Suzanne n'avait pas l'air trop triste. Çà nous changeait.
"j'étais presque heureux, et Suzanne n'avait pas l'air trop triste. Ça nous changeait"
Mon repos fut agité. Je rêvai que je marchais dans un couloir dont les murs étaient couverts de bibliothèques animées : les volumes sortaient de leurs rayonnages, voletaient autour de moi; s’ouvraient et se fermaient d’un coup sec, telles de grades bouches qui me convoitaient.
Dans la rue principale de Crux-la-Ville, nous nous étions rendus à la maison de la presse, où je comptais acquérir une carte de la région – le téléphone intelligent de Suzanne s’était éteint, plus de batterie, la faute à l’usage abusif du GPS, avait-elle osé prétendre – et le journal local, qui constitue l’une de mes petites joies d’un week-end en province : du reportage de proximité au menu du restaurant scolaire en passant par la légende délicieusement ordinaire des photographies, je me délecte toujours d’apprendre que la confrérie des chasseurs de papillons s’est réunie vendredi dernier à l’heure où les enfants des écoles primaires dégustaient une cassolette de légumes de saison dans le cadre de la semaine du goût.