Citations de Constance Joly (197)
La vie a dansé pour toi, dans sa beauté la plus cruelle, avant de se retirer. Tu reposes désormais, le regard incendié de rose, sur ton lit d’hôpital, dans le souvenir flamboyant de ton existence.
(page 171)
J’écris pour ne pas tourner la page. J’écris pour inverser le cours du temps. J’écris pour ne pas te perdre pour toujours. J’écris pour rester ton enfant.
(page 101)
J’ai l’impression de tricoter à grosses mailles en écrivant pour te sortir de l’ombre. Entre les points de cette laine de mots passe tout ce que je ne sais pas dire, tout ce que je suis impuissante à inventer, et ce qui, je le sais, fait la vie même : le point serré des émotions complexes, des ambivalences que la multitude des faits dérobe, si bien que je me sens découragée, souvent.
La vie emporte tout, l’amour et les visages de ceux que nous avons aimés, et pourtant nous agissons sans relâche. Nous nous construisons des digues dérisoires, bientôt emportées.
Avant d’arriver et de garer la voiture, tu me disais : « chut, écoute… tu entends le bruit des ronces ? » La première fois, je n’avais pas compris : le quoi ? Non, je n’entendais rien. Tu m’avais répondu : Le bruit des ronces, c’est savoir qu’on va manger des mûres avant même de voir les buissons. C’est savoir qu’on va plonger dans la mer quand on a chaud. Tu vois, c’est ça, le bruit des ronces : c’est s’approcher du plaisir, et c’est encore mieux que d’y être déjà.
Tu vis avec le secret d’une maladie que tu n’as encore dite à personne. Une maladie que l’on tait, car elle fait si peur qu’elle promet l’exclusion, l’isolement, la haine ou la pitié. Une maladie qui ronge si sûrement qu’elle finira par parler pour toi.
Treize ans ont passé depuis le divorce. Une végétation en broussaille a repoussé sur les ruines de votre mariage. Votre relation est une fleur tenace qui pousse sur terrain sec et n’a pas besoin de beaucoup d’eau pour vivre. Elle se nourrit de ce que vous lui donnez : des mots rares, mais profonds.
De la barbe à papa ne subsiste à la fin que l’écœurement, et une tige de bois poisseuse. L’enfance est une montagne de sucre qui nous mange le visage.
(page 39)
Tu vis avec le secret d’une maladie que tu n’as encore dite à personne. Une maladie que l’on tait, car elle fait si peur, qu’elle promet l’exclusion, l’isolement, la haine ou la pitié. Une maladie qui ronge si sûrement qu’elle finira par parler pour toi.
(page 132)
C’est toi qui proposes le prénom « Constance ». Tu as envie de cette vertu dans ta vie, creuser ton sillon dans ce mariage, dans cette fiction. Durer, persévérer, j’en porte le prénom et la charge. Tu ne persévèreras pas dans ton rôle de mari, mais dans celui de père, si. Tu as été un père discret, emprunté, timide et merveilleux.
(page 37)
Le déni est plus terrible que n’importe quelle vérité.
Le silence est le pire des bourreaux.
Elle s’est réveillée de son divorce comme d’un sommeil douloureux et s’ébroue, lentement, dans une vie qu’elle n’avait pas imaginée. Une vie privée de toi, de la confiance que tu lui donnais en l’avenir et dans son métier – elle ne finira pas sa thèse d’italien, elle n’en aura pas la force. Une vie de femme seule avec un enfant, et un seul salaire de prof. C’est une belle divorcée de trente-huit ans, qui se sent vieille et vaincue.
(page 89)
Tous les médecins sont frappés par le fait que la maladie touche les homosexuels. Fin 1981, les premières données épidémiologiques indiquent que le sida est une maladie infectieuse transmissible par les voies sexuelles et sanguines.
(page 85)
En 1976, l’homosexualité est encore répertoriée comme une maladie mentale. C’est un délit, passible de prison, il faudra attendre six mois encore pour qu’elle ne le soit plus.
Mais elle avait parlé de toi comme d’un « vieil homo », elle avait évoqué ta maladie, le sida, sans même lui donner son vrai nom. Cette maladie secrète, coupable, honteuse, que toi-même tu avais tue jusqu’à la fin.
(page 13)
Ça ne fait pas de bruit
Le ciel d’été frissonnant
D’étoiles lourdes prêtes à tomber
Sur nos paupières
On pourrait faire des bouquets de silence
De nos fleurs muettes
Elles battraient comme un cœur
Dans nos mains ouvertes
Toi qui devinais sans doute que l’élan qui t’avait jeté vers le corps de ta femme, celle que tes amis t’enviaient, n’avait rien de spontané. Lucie te plaisait, certes, tu l’aimais comme on peut aimer une amie, une belle amie pulpeuse, et elle, t’adorait.
(page 21)
La fenêtre d’à côté est celle de Jeannette. Une vieille dame à la chevelure crêpée, qui lui fait une espèce d’auréole électrique autour de la tête. Elle écoute Le Jeu des mille francs à midi, elle répond aux questions, elle est si proche de ta fenêtre que tu l’entends marmonner la phrase de conclusion rituelle : « À demain, si vous le voulez bien ! »
(page 69)
Bertrand est au lit avec un nègre. Voici la phrase exacte, celle qui va circuler dès lors à mi-voix dans la famille : Bertrand, 18 ans. Au lit. Avec un nègre. Bertrand, trois fois coupable. Mineur, pédé, et rastaquouère.
(page 26)