Il dit à Billy qu'il était un huérfano mais qu'il devait cesser pourtant ses errances et se trouver une place dans le monde parce qu'errer de cette manière deviendrait pour lui une passion et que cette passion le rendrait étranger aux hommes et finalement à lui-même. Il dit que le monde ne peut être connu que tel qu'il existe dans le coeur des hommes. Car si le monde semble être un lieu où résident les hommes c'est dans l'homme en réalité que réside le monde et pour le connaître c'est donc là qu'il faut chercher et apprendre à connaître le coeur des hommes et pour cela il faut vivre avec les hommes sans se contenter de passer parmi eux.
Le vieux secoua la tête d'un air de doute, faisant filer la bande de sa casquette entre ses doigts. J'suis convaincu que ça peut pas être pire, dit-il.
Mais la détresse humaine ne connaît pas de limites et tout peut toujours aller plus mal, seulement Suttree ne le dit pas.
Devant lui s'étendait un désert spectral d'où ne dépassaient que des arbres dénudés dressés dans des attitudes de souffrance, vaguement hominoïdes comme des figurines dans un paysage de damnés. Un jardin des morts qui fumait vaguement et s'estompait pour se confondre avec la courbure de la terre.
Quand il se réveillait dans les bois dans l’obscurité et le froid de la nuit il tendait la main pour toucher l’enfant qui dormait à son côté. Les nuits obscures au-delà de l’obscur et les jours chaque jour plus gris que celui d’avant. Comme l’assaut d’on ne sait quel glaucome froid assombrissant le monde sous sa taie.
Il sortit dans la lumière grise et s’arrêta et il vit l’espace d’un bref instant l’absolue vérité du monde. L’implacable obscurité. Du temps en sursis et un monde en sursis et des yeux en sursis pour le pleurer.
le portier de nuit s'est fait tuer.Le pire coup de poisse qu'on peut avoir, je dirai.Il a reçu une balle perdue.
Ou l'a-t-il reçue?
Juste entre les deux yeux.
Ils entrent dans le hall et s'arrêtent. On a jeté des serviettes par-dessus le sang sur le tapis derrière le bureau mais le sang a traversé les serviettes.Il n'a pas été tué par balle, dit Bell.
Qui n'a pas été tué par balle.
Le portier de nuit.
Pas été tué par balle?
Non shérif.
Qu'est ce qui vous fait dire ça?
Vous recevrez le rapport du labo et vous verrez.
Qu'est-ce que vous êtes entrain de me dire Ed Tom?
Qu'ils lui ont percé la cervelle avec une Black&Decker?
Ca y ressemble beaucoup. Je vous laisse y réfléchir.
Tu crois que quand tu te réveilles le matin hier ne compte pas. Mais hier c’est tout ce qui compte. Qu’est-ce qu’il y a d’autre ? Ta vie est faite des jours dont elle est faite. De rien d’autre. Tu crois peut-être que tu peux disparaître et changer de nom et je ne sais quoi d’autre. Recommencer. Et puis un matin tu te réveilles et tu regardes au plafond et devine qui il y a là-haut ?
On dit que les yeux c'est les fenêtres de l'âme. Je me demande de quoi ces yeux-là étaient les fenêtres et je crois que j'aime mieux ne pas le savoir. Mais il y a un peu partout une autre vision du monde et d'autres yeux pour le voir et on y va tout droit. Ça m'a amené à un moment de ma vie auquel j'aurais jamais pensé que j'arriverais un jour. Y a quelque part un prophète de la destruction bien réel et vivant et je ne veux pas avoir à l'affronter. Je sais qu'il existe. J'ai vu son œuvre. Je me suis trouvé une fois en face de ces yeux-là. Et je ne recommencerai pas. Et je ne vais pas pousser tous mes jetons sur le tapis et me lever pour le défier. Ce n'est pas seulement à cause de mon âge. je voudrais bien que ce soit ça la raison. Je ne peux même pas dire qu'il s'agit de savoir à quoi on est prêt. Parce que j'ai toujours su qu'il faut être prêt à mourir rien que pour faire ce métier. Ça a toujours été vrai. Ce n'est pas pour me vanter ni rien mais c'est comme ça. Si t'es pas prêt ils le sauront. Ils le verront. En un clin d'œil. je crois plutôt qu'il s'agit de savoir ce qu'on accepte de devenir. Et je crois qu'il faudrait jouer son âme. Et ça je ne le ferai pas. Je pense à présent que je ne le ferai sans doute jamais.