Citations de Daniel Pennac (2585)
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Attendu que le bénévolat prend partout le relais des missions de protection constitutionnellement dévolues à l'État,
Attendu que, de ce fait, à l'universelle notion de SOLIDARITÉ s'est substituée la très chrétienne, donc subjective, donc individuelle, donc aléatoire notion de CHARITÉ,
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Dis, Joe, lequel on doit détester maintenant ? Celui qui nous a mis en prison à la place de l’autre ou celui qui nous libère pour nous y remettre ?
Gniii !
Ah, bravo ! C’était ça la surprise ?!
C’était pas une surprise c’était un piège…
Le piège c’est que la surprise était une ruse !
Une bonne classe, ce n'est pas un régiment qui marche au pas, c'est un orchestre qui travaille la même symphonie.
Et moi ? Est-ce que je n'attendais pas ma ration de malaussènerie comme tout le monde ?
l'immensité convient à l'enfance que l'éternité habite encore.
Jadis on bossait sous l'ombre d'un aigle, se dit Joseph Silistri, aujourd'hui on évite les chiures d'un pigeon.
L’argent… On achète toutes sortes de choses, des boîtes, des immeubles, des journaux, des clubs de foot, des yachts, des tueurs, mais le premier argent ? D’où vient le premier argent, celui qui a rendu ces achats possibles ?
On ne peut pas reculer indéfiniment devant l’obstacle, ce serait faire la course à l’envers.
Personne ne touche jamais un croque-mort. Un croque-mort, c’est l’auxiliaire des fantômes, ça ne se touche pas.
Quand on veut à ce point ressembler à une image, on joue forcément du miroir.
Si vérité il y a, c'est au coeur de l'expérience individuelle qu'elle niche ! Voilà ce qui flottait dans l'air nouveau. Chaque romancier avait désormais à coeur d'écrire sa vérité à lui. Là est le filon, avait conclu la reine Zabo, c'est dans cette nouvelle conviction qu'il faut recruter.
Les écrivains ne volent pas, ils empruntent, et leurs livres rendent aux lecteurs tout ce qu'ils leur ont emprunté.
Comment Ernest s'est évadé (Chapitre deux fois plus long parce qu'il est deux fois plus difficile de s'évader que de se faire prendre.)
Parce que je suis poète, Célestine ! Je suis le roi des images bizarres.
Encore ce conditionnel présent ! Le même que celui du Petit. Un conditionnel intraitable. Un impératif de politesse, en fait. Mais un impératif catégorique. (p.17)
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En honorant l'école à l'excès, c'est toi [l'élève excellent] que tu flattes en douce, tu te poses plus ou moins consciemment en élève idéal. Ce faisant, tu masques les innombrables paramètres qui nous font tellement inégaux dans l'acquisition du savoir : circonstances, entourage, pathologies, tempérament… Ah ! l'énigme du tempérament !
« Je dois tout à l'école de la République ! »
Serait-ce que tu voudrais faire passer tes aptitudes pour des vertus ? (Les unes et les autres n'étant d'ailleurs pas incompatibles…) Réduire ta réussite à une question de volonté, de ténacité, de sacrifice, c'est ça que tu veux ? Il est vrai que tu fus un élève travailleur et persévérant, et que le mérite t'en revient, mais c'est, aussi, pour avoir joui très tôt de ton aptitude à comprendre, éprouvé dès tes premières conforntations au travail scolaire la joie immense d'avoir compris, et que l'effort portait en lui-même la promesse de cette joie ! À l'heure où je m'asseyais à ma table écrasé par la conviction de mon idiotie, tu t'installais à la tienne vibrant d'impatience, impatience de passer à autre chose aussi, car ce problème de math sur lequel je m'endormais tu l'expédiais, toi, en un tournemain. Nos devoirs, qui étaient les tremplins de ton esprit, étaient les sables mouvants où s'enlisait le mien. Ils te laissaient libre comme l'air, avec la satisfaction du devoir accompli, et moi hébété d'ignorance, maquillant un vague brouillon en copie définitive, à grand renfort de traits soigneusement tirés qui ne trompaient personne. À l'arrivée, tu étais le travailleur, j'étais le paresseux. C'était donc ça, la paresse ? Cet enlisement en soi-même ? Et le travail, qu'était-ce donc ? Comment s'y prenaient-ils, ceux qui travaillaient bien ? Où puisaient-ils cette force ? Ce fut l'énigme de mon enfance. L'effort, où je m'anéantissais, te fut d'entrée de jeu un gage d'épanouissement. Nous ignorions toi et moi qu'« il faut réussir pour comprendre », selon le mot si clair de Piaget, et que nous étions, toi comme moi, la vivante illustration de cet axiome. (p. 271-272)
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L'idée qu'on puisse enseigner sans difficulté tient à une représentation éthérée de l'élève. La sagesse pédagogique devrait nous représente le cancre comme l'élève le plus normal qui soit : celui qui justifie pleinement la fonction de professeur puisque nous avons tout à lui apprendre, à commencer par la nécessité même d'apprendre ! Or, il n'en est rien. Depuis la nuit des temps scolaires l'élève considéré comme normal est l'élève qui oppose le moins de résistance à l'enseignement, celui qui ne douterait pas de notre savoir et ne mettrait pas notre compétence à l'épreuve, un élève acquis d'avance, doué d'une compréhension immédiate, qui nous épargnerait la recherche des voies d'accès à sa comprenette, un élève naturellement habité par la nécessité d'apprendre, qui cesserait d'être un gosse turbulent ou un adolescent à problèmes pendant notre heure de cours, un élève convainc dès le berceau qu'il faut juguler ses appétits et ses émotions par l'exercice de sa raison si on ne veut pas vivre dans une jungle de prédateurs, un élève assuré que la vie intellectuelle est une source de plaisirs qu'on peut varier à l'infini, raffiner à l'extrême, quand la plupart de nos autres plaisirs sont voués à la monotonie de la répétition ou à l'usure du corps, bref un élève qui aurait compris que le savoir est la seule solution : solution à l'esclavage où nous maintiendrait l'ignorance et consolation unique à notre ontologique solitude. (p. 268-269)
Aussi loin que je me souvienne, quand les jeunes professeurs sont découragés par une classe, ils se plaignent de n'avoir pas été formés pour ça. Le « ça » d'aujourd'hui, parfaitement réel, recouvre des domaines aussi variés que la mauvaise éducation des enfants par la famille défaillante, les dégâts culturels liés au chômage et à l'exclusion, la perte des valeurs civiques qui s'ensuit, la violence dans certains établissements, les disparités linguistiques, le retour du religieux, mais aussi la télévision, les jeux électroniques, bref tout ce qui nourrit plus ou moins le diagnostic social que nous servent chaque matin nos premiers bulletins d'information. (p. 266)
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Ces professeurs, rencontrés dans les dernières années de ma scolarité, me changèrent beaucoup de tous ceux qui réduisaient leurs élèves à une masse commune et sans consistance, « cette classe », dont ils ne parlaient qu'au superlatif d'infériorité. Aux yeux de ceux-là nous étions toujours lap lus mauvaise quatrième, troisième, seconde, première ou terminale de leur carrière, ils n'avaient jamais eu de classe mois… si… On eût dit qu'ils s'adressaient d'année en année à un public de moins en moins digne de leur enseignement. Ils s'en plaignaient à la direction, aux conseils de classes, aux réunions de parents. Leurs jérémiades éveillaient en nous une férocité particulière, quelque chose comme la rage que mettrait le naufragé à entraîner dans sa noyade le capitaine pleutre qui a laissé le bateau s'empaler sur le récif. (Oui, enfin, c'est une image… Disons qu'ils étaient surtout nos coupables idéaux comme nous étions les leurs ; leur dépression routinière entretenait chez nous une méchanceté de confort.) (p. 262-263)