L'homme qui marche:
Seul le désir persiste
En moi, comme une malédiction,
Comme une maladie-
Marcher, continuer à marcher
Encore-
Peut être
Qu'arrivé à une ultime frontière
Où ma raison ne parvient
Pas, je pourrai m'incliner
Et déposer
Ce lourd fardeau, pour ensuite
Reculer d'un pas
Guère plus, d'un petit
Pas grand comme le monde
Me résigner
Et concéder: Je
Suis ici
Il est
Là-bas
Et une frontière éternelle
Passe entre ici et là-bas.
Me tenir ainsi,
Et ensuite, lentement,
Prendre conscience,
Me remplir tout entier
De cette conscience
Comme la plaie se remplit
De sang:
Voilà ce qu'est
La condition humaine.
De penser : Comment vais-je pouvoir / Passer à septembre / Sachant qu'il va rester en août?". La femme dans un filet : Nous étions / Deux flocons humains, / Un enfant et sa mère, / Nous avons plané / Dans l'espace du monde/ Pendant six années / Entières / Qui étaient à mes yeux / Comme une poignée de jours, / Et nous étions comme une chanson / Pour enfants, / Tressée de légendes / Et de miracles- / Jusqu'au moment où une bouffée d'air a soufflé / Imperceptible / Un courant / L'agitation / D'un éventail / Un vent doux / Dans les feuilles- / Décrétant / Toi ici / Lui / Là-bas - / Tout est fini / Brisé / En mille morceaux.
Ou n'est-ce là qu'une illusion / Nourrie par un cœur languissant ? / Par un cœur devenu fou? L'homme qui marche : «Il est mort -/ Je comprends presque / Le sens / Des sons : L'enfant / Est mort, / Je reconnais / Qu'il y a du vrai / Dans ces mots. Il est mort, / Il est / Mort. / Mais / Sa mort, / Sa mort / N'est pas morte.» L'enfant mort, faut-il tuer sa mort ? Les derniers mots du livre sont prononcés par le centaure, ils disent, «de manière précise» pour le coup, le combat du père et de l'écrivain : «Le cœur me fend, / Mon trésor, / A la seule pensée / Que j'ai -/ Peut-être - / Trouvé / Des mots / Pour le dire.
Elle commençait à trouver un peu suspecte cette créativité débordante, et se rappela ce que lui répétait sa mère : "les idées noires n'en finissent jamais".
"La mort, mes amis,
Il n'y a que ça de vrai!"
L'homme qui marche:
J'ai entendu la voix
D'une femme monter de la ville:
Que tout homme est
une île
Qu'il est impossible
De co-c-nnaître
De l'intérieur-
La femme:
Non soufflait
Sombre et froid
Des murs
Et ficelait mon corps
Fermait et scellait
Mon utérus. J'ai pensé:
On mure
La maison
Qui était
Jadis
Moi.
Que répliquer à un gamin de six ans, le petit Ofer maigrichon qui, un matin, pendant que vous l’emmenez à l’école à vélo, vous agrippe la taille et demande avec circonspection : « Maman, qui est contre nous ? (…) Qui nous déteste dans le monde ? Quels pays sont contre nous ? » Alors, bien sûr, désireuse de préserver sa vision innocente et dépourvue de haine de l’existence, vous lui rétorquez que ceux qui sont contre nous ne nous haïssent pas forcément, que nous sommes juste fâchés avec certains des pays qui nous entourent à propos d’un tas de choses, un peu comme ses petits camarades d’école qui se disputent, ou même se battent parfois. Ses petites mains crispées autour de votre ventre, il exige les noms des pays ennemis, et il y a une telle détermination dans sa voix, ses genoux pointus s’enfoncent si fort dans votre échine (…). (p. 432, Chapitre 7).
Plus que par la solitude,ou l'affront subi,elle est anéantie par la séparation,la souffrance fantômatique,l'amputation que lui inflige l'absence de son mari à ses côtés.
Elle parvient enfin à extraire une pensée claire de son esprit embrûmé:comment peut-elle être loyale envers eux,ceux qui l'expédient là-bas,plutôt qu'envers son sentiment maternel?