Dick Francis

C'était bizarre de perdre quelque chose qu'on ignorait avoir, avant même de se mettre à le désirer plus que toute autre chose au monde.

Tout le monde connaît cette sensation horrible, qui vous donne la chair de poule et vous fait battre le coeur, quand soudain, le normal fait place à l'anormal. Et la cabine exiguë d'un petit zinc, en train de livrer bataille à l'orage à quatre mille pieds d'altitude, n'est certainement pas l'endroit idéal pour la ressentir.

Un peu perdue, comme on l'est à cet âge, pas très jolie, mais avec un avenir tout neuf devant elle, comme une plage de sable sans traces de pas.

Alec, qui avait mon âge, souffrait sur le plan professionnel d'un penchant incontrôlable pour la frivolité. Cela mettait indiscutablement de l'ambiance dans le bureau mais, de même que les fous du roi ont rarement eu accès au trône, sa carrière suivait déjà un chemin latéral et capricieux.

Quoi qu'on apprenne, quoi qu'on voie, si intime que cela soit, on finit par s'en servir quand on est un acteur.

John Nerrity tenait à la main un verre de gin tonic avec des glaçons et une rondelle de citron, preuve de son sang froid. Je n'arrivais pas à m'imaginer Paolo Cenci se préparant de la glace et des citrons quelques heures après la première demande de rançon ; il n'était même pas capable de se servir un wisky sans en renverser la moitié.

- La fille jockey semble toujours mal en point.
- Ce sont les séquelles habituelles. Certains se méfient des inconnus jusqu'à la fin de leurs jours.
- Pauvre gosse, dit-il comme s'il n'avait jamais pensé auparavant que la liberté pouvait poser des problèmes, les victimes ne présentant qu'un intérêt secondaire aux yeux des représentants de la loi.

J'ai des ancêtres écossais, le genre austère, pas des joyeux lurons.C'est toujours eux qui viennent me gâcher le plaisir quand mon quart de sang espagnol me donne envie de danser le flamenco.

C’est fou ce que les gens peuvent confier à leur marchand de vins ! Je savais des choses de la vie de bien des gens...

Quand les nouvelles étaient bonnes, elle avait tendance à gonfler un peu ses commandes.

C’est drôle comme on n’oublie jamais les saveurs qu’on a découvertes tout jeune... Remarquez, j’en avais bu, depuis... Enfin, c’était bien ce whisky-là, sur le chariot des liqueurs qu’on vous apporte avec le café, et j’ai eu envie d’en prendre. La nostalgie, quoi !

Elle partie, mon complexe d’infériorité était revenu, pas trop marqué, mais persistant. Une habitude mentale dont on se défait et qui revient subrepticement dans les recoins obscurs et mal gardés de l’âme. Pitoyable.

« Le fils ne vaut pas le père », disaient les âmes peu charitables. Ou bien, plus simplement : « Il n’a pas le cran de la famille. »

Je venais de perdre la moitié de moi-même. Le trésor joyeux et fécond de six ans d’amour, patiemment amassé, n’était plus, parti dans les ténèbres. Ce qui restait souffrait, tout simplement, mais conservait une apparence normale.

« On trouve toujours une autre jolie femme ; le temps console de bien des choses », disent-ils. « Il se remariera un jour », disent-ils.

La douleur morale est inacceptable, socialement. Il n’est pas concevable de pleurer. En particulier, quand on a trente-deux ans et que l’on est à peu près présentable. Quand on a perdu sa femme depuis six mois et que tous les autres ont cessé d’avoir du chagrin.

...l’univers de l’invisible n’était peut-être pas limité au seul domaine de la physique. Chaque cellule vivante engendrait des charges électriques ; si je parvenais à établir une corrélation entre le rapt d’un bébé et un orage, la situation me paraîtrait sans doute plus acceptable.

Le mariage dans son esprit n’était qu’un moyen d’avoir des enfants.

Sarah ne pouvait pas avoir d’enfants. Nous avions consulté quantité de spécialistes, qui lui avaient prescrit d’innombrables traitements. Elle avait même subi deux interventions chirurgicales, en vain. Ma déception était supportable, quoique profonde – la sienne était abyssale.Des médecins nous avaient assuré que beaucoup de couples sans enfants vivaient heureux : l’infortune renforçait leur union. Mais dans notre cas la passion s’était muée en simple courtoisie, et projets et rires avaient cédé la place à un chagrin poignant et au silence.

Entre Sarah et moi, l’amour appartenait au passé. Après huit années de mariage nous n’éprouvions plus rien d’autre qu’un ennui qui ne cessait de grandir.