Vidéo de Edward Rutherfurd
Un écrivain travaillant à un roman sur Londres se trouve confronté à un grave problème : il y a abondance de matière, et d’une matière captivante. Tout Londonien a dans sa ville un endroit qu’il préfère aux autres. À bien des reprises, j’ai été tenté de suivre tel ou tel chemin de traverse ; il n’y a guère de paroisse à Londres qui ne puisse fournir des matériaux passionnants pour un ouvrage comme celui-ci. Mais le fait que ce livre soit également, dans une large mesure, une histoire de l’Angleterre m’a conduit à privilégier certains lieux plutôt que d’autres. J’espère seulement que mes choix ne décevront pas les très nombreux amoureux de cette ville merveilleuse.
L’an 180 ap. J.
L’État de Russie n’existait pas encore. Les civilisations anciennes de l’Orient- la Chine, l’Inde, la Perse - se situaient toutes très loin au dessous de l’immense croissant de montagnes. Pour elles, la plaine constituait un désert.
. A l’Ouest, le puissant empire romain s’étendait sur le pourtour de la Méditerranée et jusqu’en Grande -Bretagne au nord, mais jamais Rome n’avait pénétré au-delà de l’orée des grandes forêts de la plaine eurasiatique .
Que savait Rome de la forêt ? Qu’à l’est du Rhin vivaient des tribus guerrières des Germains. Et que le nord, près de la Baltique, était occupé par les peuplades primitives des Baltes : des Lettons, des Estoniens, des Lituaniens . C’était tout. Des terres slaves au-delà des Germains ils connaissaient peu de choses ; des Finno-Ougriens qui vivaient dans les forêts au-delà de la Volga, rien du tout. Des tribus turques et mongoles de l’arrière-pays sibérien , aucun écho ne traversait encore la steppe.
L’immense plaine demeurait « terra incognita », un pays de tribus barbares, des steppes dangereuses et de fleuves infranchissables.
L’an 1066
Au cours de neuf siècles la civilisation occidentale avait connu une suite d’événements fantastiques : Rome, devenue chrétienne, s’était effondré sous les vagues successives des invasions barbares. Certains étaient blancs, d’autres mongols , la plupart parlaient des dialectes turcs, tous faisaient vide sur leur passage.
Mais les malheurs de l’Occident n’en était pas à leur fin . En 622, le prophète Mahomet avait quitté la Mecque : c’était le début de l’ère musulmane, de l’expansion explosive de l’islam. Depuis l’Arabie, les armées musulmanes balayèrent le Proche-Orient, puis la Perse et l’Inde, l’Afrique du Nord jusqu’à l’Espagne.
Enfin, pour couronner le tout, survinrent les Vikings. Pirates, marchands, colons, aventuriers, ces Scandinaves entrent brusquement en scène vers l’an 800. Ils s’établirent dans Angleterre centrale et dans la vallée de la Seine et contournèrent la péninsule ibérique pour gagner la Méditerranée. A la même époque un groupe des Vikings suédois , après avoir fondé des colonies marchandes autour de la mer Baltique, descendit par les voies fluviales(Dniepr, Don, Volga) jusqu’au pays des Slaves.
On appelait Varègues ces hommes qui créèrent de toutes pièces un vaste réseau commercial sur un axe nord-sud qui liait la ville slave de Novgorod , par les fleuves , avec la côte de la mer Noire. Près de l’embouchure de Don ils fondèrent un comptoir commercial connu sous le nom de Tmoutarakan. Soit parce qu’ils étaient blonds, soit parce qu’ils commerçaient et se battaient au coude à coude avec les peuplades blondes des Alains installés sur les terres méridionales, soit pour quelque autre raison ignorée, ces marchands pirates furent bientôt connus dans les terres civilisées du sud sous un ancien nom iranien que portaient encore certains Alains, le mot qui signifie « lumière », « brillant » : Rus.
Ainsi devait naître le nouvel Etat de Russie.
Les peuples slaves formaient une communité immense. Etait-ce vraiment une race? Difficile à dire. Même au pays de Rus , il y avait de nombreux tribus. Ceux du sud s'étaient mêlés depuis longtemps aux peuplades d'envahisseurs venus de la steppe ; ceux du nord étaient en partie baltes ou létoniens; ceux de l'est s'étaient progressivement amalgamés aux tribus finno-ougriennes de la forêt. Mais quand Ivanouchka regardait sa mère et la comparait avec son père et aux autres courtisans étrangers de la dinastie scandinave regnante , il pouvait réconnaître au premier regard qu'elle était slave.
Jules César voulait régner sur Rome ; pour y parvenir, il avait besoin de conquêtes. Il venait de s’ouvrir toutes les routes du Nord, menant vers la Manche, et d’annexer une nouvelle province à Rome, une immense province : la Gaule. Désormais c’est vers l’île boréale, nappée de brume, qu’il tournait le regard.
Les loups n’attaquaient pas les hommes, d’habitude. Cela n’était pas sans danger. Attaquer seul un humain, sans l’accord ni l’aide de la meute, l’exposerait à de sévères représailles de la part du chef.
Le fleuve était large et clair ; des poissons de toutes espèces fréquentaient ses eaux peu profondes. Les truites et surtout les saumons y abondaient. Le tertre était l’endroit idéal d’où jeter ses filets dans l’onde miroitante. Il y avait aussi certains coins à anguilles, le long des rives marécageuses, que les garçons du hameau connaissaient bien.
« Les gens d’ici n’auront jamais faim, lui avait dit son père. Le fleuve les nourrira toujours. »
Ce n’était pas immuable : parfois il n’avait que de vagues prémonitions, à d’autres moments il voyait au contraire les événements futurs se dessiner avec une terrifiante clarté. Et parfois encore, il le savait, il pouvait se révéler aussi aveugle que n’importe qui. Avec les années, il avait appris à considérer cette situation comme ni bonne ni mauvaise, simplement comme inscrite dans l’ordre des choses.
"Put your trust in trade," he liked to say. "Kingdoms may rise and fall, but trade goes on for ever."
La petite était terrorisée, mais gardait l’esprit vif. Elle comprit que si elle s’enfuyait en courant, le loup serait sur elle une fraction de seconde plus tard et la dévorerait. Que pouvait-elle faire ? Elle n’avait qu’une seule chance de s’en tirer. Comme tous les enfants du village, il lui arrivait de garder les vaches ; elle le savait, même un troupeau au galop, on pouvait le détourner en agitant les bras. Peut-être saurait-elle repousser l’animal, si elle ne lui laissait pas voir qu’elle avait peur de lui. Peut-être…
Si seulement elle avait eu une arme, même un simple bâton… Mais elle n’en avait aucune. La seule arme qu’elle possédait, c’était celle dont elle se servait souvent chez elle, et qui semblait presque toujours marcher : son caractère. Il faudrait que je fasse semblant d’être en colère, songea-t-elle. Mieux encore : il faudrait que je sois véritablement en colère. Alors, je n’aurais plus peur.
Ce qu’aimaient surtout les femmes, c’était sa personnalité. Il y avait quelque chose de si joyeux et de si vivant dans ses yeux bleus, dans le regard gourmand qu’il portait sur le monde… Comme une jeune matrone l’avait remarqué un jour : « C’est une belle petite pomme, toute prête à ce qu’on la cueille. »