Citations de Elie Wiesel (319)
Et pourtant, tout au fond de son être il savait que dans cette situation-là, il est interdit de se taire, alors qu’il est difficile sinon impossible de parler.
Il fallait donc persévérer. Et parler sans paroles. Et tenter de se fier au silence qui les habite, les enveloppe et les dépasse.
"-J'ai plus confiance en Hitler qu'en aucun autre. Il est le seul à avoir tenu ses promesses, au peuple juif"
-C'est fini.Dieu n'est plus avec nous.
Et,comme s'il s'était repenti d'avoir prononcé ces mots,aussi froidement,aussi sèchement,il ajouta de sa voix éteinte:
-Je sais.On n'a pas le droit de dire de telles choses.Je le sais bien.L'homme est trop petit,trop misérablement infime pour chercher à comprendre les voix mystérieuses de Dieu.Mais que puis-je faire,moi?Je ne suis pas un Sage,un Juste,je ne suis pas un Saint.Je suis une simple créature de chair et d'os.Je souffre l'enfer dans mon âme et dans ma chair.J'ai des yeux aussi et je voit ce qu'on fait ici.Ou est la miséricorde divine?Ou est Dieu?Comment puis-je croire,comment peut-on croire à ce Dieu de miséricorde?
Idek avait les nerfs en boule. Il se contenait à grand-peine. Soudain, sa fureur éclata.
La victime en fut mon père.
– Espèce de vieux fainéant ! Ce mit-il a hurler. Tu appelles ça travailler ?
Il se mit à frapper avec une barre de fer. Mon père ploya d'abord sous les coups, puis se brisa en deux comme un arbre desséché frappé par la foudre, et s'écroula.
J'avais assisté à toute cette scène sans bouger. Je me taisais. Je pensais plutôt à m'éloigner pour ne pas recevoir de coups. Bien plus : si j'étais en colère à ce moment, ce n'était pas contre le kapo, mais contre mon père. Je lui en voulais de ne pas avoir su éviter la crise d'Idek.
Voilà ce que la vie concentrationnaire avait fait de moi…
Un jour qu'Idek se laissait aller à sa fureur, je me trouvais sur son chemin. Il se jeta sur moi comme une bête féroce, me frappant dans la poitrine, sur la tête, me rejetant, me reprenant, donnant des coups de plus en plus violents, jusqu'au moment où je fus en sang. Comme je me mordais les lèvres pour ne pas hurler de douleur, il devait prendre mon silence pour du dédain et il continuait de me frapper de plus belle.
Il se calma tout d'un coup. Comme si rien ne s'était passé, il me renvoya à mon travail. Comme si nous avions participé ensemble à un jeu dont les rôles avaient la même importance.
On marchait.Des portes s'ouvraient,se refermaient.On continuait a marcher entre les barbeles electrifies.A chaque pas,une pancarte blanche avec un crane de mort noir qui nous regardait,une inscription:"Attention!Danger de mort!.Derision:y avait-il un seul endroit ou l'on ne fut pas en danger de mort?
Jamais je n'oublierai cette nuit, la première nuit de camp qui a fait de ma vie une nuit longue et sept fois verrouillée.
Jamais je n'oublierai cette fumée.
Jamais je n'oublierai les petits visages des enfants dont j'avais vu les corps se transformer en volutes sous un azur muet.
Jamais je n'oublierai ces flammes qui consumèrent pour toujours ma foi.
Jamais je n'oublierai ce silence nocturne qui m'a privé pour l'éternité du désir de vivre.
Jamais je n'oublierai ces instants qui assassinèrent mon Dieu et mon âme, et mes rêves qui prirent le visage du désert.
Jamais je n'oublierai cela, même si j'étais condamné à vivre aussi longtemps que Dieu lui-même. Jamais.
Parfois l'on me demande si je connais "la réponse à Auschwitz" [...] Lorsque l'on parle de cette époque de malédiction et de ténèbres, si proche et si lointaine, "responsabilité" est le mot-clé.
Si le témoin s'est fait violence et a choisi de témoigner, c'est pour les jeunes d'aujourd'hui, pour les enfants qui naîtront demain : il ne veut pas que son passé devienne leur avenir.
[Préface d'Elie Wiesel]
En d'autres termes, la guerre que Hitler et ses acolytes livraient au peuple juif visait également la religion juive, la culture juive, la tradition juive, c'est-à-dire la mémoire juive.
[Préface d'Elie Wiesel]
Vous qui qualifiez les étrangers d'"illégaux", vous devez comprendre qu'aucun être humain n'est "illégal". C'est un contresens. Les êtres humains peuvent être beaux, voire très beaux, ils peuvent être gros ou minces, ils peuvent avoir raison ou tort, mais "illégal", comment un être humain peut-il être "illégal" ?
— Nous nous disons que nous sommes engagés dans une lutte sacrée, poursuivit-elle, que nous luttons contre quelque chose ; nous nous battons contre les Anglais, nous nous battons pour une Palestine libre, indépendante. C'est ce que nous disons. Mais, je le sais bien, Elisha, les mots, les mots ne font que donner un sens à nos actes, tandis que nos actes - une fois réduits à leur dimension réelle, c'est à dire primitive ont la couleur, l'odeur du sang. C'est la guerre, nous disons-nous. Il faut tuer. Alors, nous tuons. Il y a ceux - comme toi - qui tuent avec leurs mains et d'autres - comme moi - qui tuent avec leur voix. Chacun tue à sa manière. Mais, que pouvons-nous faire d'autre ? La guerre a ses lois. Si tu les nies, tu nies sa valeur et tu offres à l'ennemi la victoire. Nous ne pouvons pas nous le permettre. Cette fois-ci, nous avons besoin d'une victoire, d'une victoire gagnée à la guerre, nous en avons besoin pour survivre, pour continuer à nous maintenir à la surface du temps...
Je lui répondais que je préférais descendre avant : je voulais le voir, lui parler, le connaitre. J'ajoutai qu'il est lâche de tuer un inconnu ; c'est presque trop facile. Comme à la guerre : on ne tue pas des hommes. On tire sur la nuit qui, blessée, émet des cris de douleur qui rappellent les plaintes déchirantes de hommes. Voilà : on tire dans la nuit, on tire dans la masse et on n'est jamais sûr qu'un homme ait été tué, ni par qui. Exécuter un inconnu, ce serait pareil. En ne le voyant qu'au moment de sa mort, j'aurais l'impression de tirer sur un mort. Ce serait lâche.
Derrière moi, j'entendis le même homme demander :
- Où donc est Dieu ?
Et je sentais en moi une voix qui lui répondait :
- Où est-il ?
Le voici - il est pendu ici, à cette potence ...
Jamais je n’oublierai cette nuit, la première nuit au camp qui a fait de ma vie une nuit longue et sept fois verrouillée.
Jamais je n’oublierai cette fumée.
Jamais je n’oublierai les petits visages des enfants dont j'avais vu les corps se transformer en volutes sous un azur muet.
Jamais je n’oublierai ces flammes qui consumèrent pour toujours ma Foi.
Jamais je n’oublierai ce silence nocturne qui ma privé pour l'éternité du désir de vivre.
Jamais je n’oublierai ces instants qui assassinèrent mon Dieu et mon âme, et mes rêves qui prirent le visage du désert.
Jamais je n’oublierai cela, même si j'étais condamné à vivre aussi longtemps que Dieu lui même.
JAMAIS.
Chacun devait s'approcher du trou et présenter sa nuque. Des bébés étaient jetés en l 'air et les mitraillettes les prenaient pour cibles.p.36
Angoisse.Les soldats allemands -avec leurs masques d'acier et leur emblème, un crâne de mort.p.41
S'il ne comprend pas que la connaissance est un mystère en soi, qu'un homme sans passé est plus pauvre qu'un homme sans avenir, s'il ne comprend que le miracle n'est pas dans la beauté d'un crépuscule envahissant la forêt mais dans l'oeil qui la capte et en fait partage, si l'étranger ne comprend pas cela, alors je le plains comme je plaindrais quiconque vivrait en étranger par rapport à son peuple et à la création tout entière.
- Écoute-moi bien, petit. N'oublie pas que tu es dans un camp de concentration. Ici, chacun doit lutter pour lui-même et ne pas penser aux autres. Même pas à son père. Ici, il n'y a pas de père qui tienne, pas de frère, pas d'ami. Chacun vit et meurt pour soi, seul. Je te donne un bon conseil : ne donne plus ta ration de pain et de soupe à ton vieux père. Tu ne peux plus rien pour lui. Et tu t'assassines toi-même. Tu devrais au contraire recevoir sa ration... (pp. 192-193)
Il n'était pas le seul à avoir perdu sa foi, en ces jours de sélection. J'ai connu un rabbin d'une petite ville de Pologne, un vieillard, courbé, les lèvres toujours tremblantes. Il priait tout le temps, dans le block, au chantier, dans les rangs. Il récitait de mémoire des pages entières du Talmud, discutait avec lui-même, osait les questions et se répondait. Et un jour, il me dit :
- C'est fini. Dieu n'est plus avec nous.
Et, comme s'il s'était repenti d'avoir prononcé ces mots, aussi froidement, aussi sèchement, il ajouta de sa voix éteinte :
- Je sais. On n'a pas le droit de dire de telles choses. Je le sais bien. L'homme est trop petit, trop misérablement infime pour chercher à comprendre les voies mystérieuses de Dieu. Mais, que puis-je faire, moi ? Je ne suis pas un Sage, un Juste, je ne suis pas un Saint. Je suis une simple créature de chair et d'os. Je souffre l'enfer dans mon âme et dans ma chair. J'ai des yeux aussi, et je vois ce qu'on fait ici. Où est la Miséricorde divine ? Où est Dieu ? Comment puis-je croire, comment peut-on croire à ce Dieu de miséricorde ?
Pauvre Akiba Drumer, s'il avait pu continuer à croire en Dieu, à voir dans ce calvaire une épreuve de Dieu, il n'eût pas été emporté par la sélection. Mais dès qu'il avait senti les premières fissures dans sa foi, il avait perdu ses raisons de lutter et avait commencé à agoniser.
Lorsqu'arriva la sélection, il était condamné d'avance, tendant son cou au bourreau. Il nous demanda seulement :
- Dans trois jours, je ne serai plus... Dites Kaddich pour moi.
Nous le lui promîmes : dans trois jours, voyant s'élever la fumée de la cheminée, nous penserions à lui. (pp. 141-143)
Dix mille hommes étaient venus assister à l'office solennel, chefs de blocks, kapos, fonctionnaires de la mort.
- Bénissez l'Éternel...
La voix de l'officiant venait de se faire entendre. Je crus d'abord que c'était le vent.
- Béni soit le nom de l’Éternel !
Des milliers de bouches répétaient la bénédiction, se prosternaient comme des arbres dans la tempête.
Béni soit le nom de l'Éternel !
Pourquoi, mais pourquoi Le bénirais-je ? Toutes mes fibres se révoltaient. Parce qu'Il avait fait brûler des milliers d'enfants dans ses fosses ? Parce qu'II faisait fonctionner six crématoires jour et nuit les jours de Sabbat et les jours de fête ? Parce que dans Sa grande puissance Il avait créé Auschwitz, Birkenau, Buna et tant d'usines de la mort ? Comment Lui dirais-je : « Béni sois-Tu, l'Éternel, Maître de l'Univers, qui nous a élus parmi les peuples pour être torturés jour et nuit, pour voir nos pères, nos mères, nos frères finir au crématoire ? Loué soit Ton Saint Nom, Toi qui nous as choisis pour être égorgés sur Ton autel ? »
J'entendais la voix de l'officiant s'élever, puissante et brisée à la fois, au milieu des larmes, des sanglots, des soupirs de toute l'assistance :
- Toute la terre et l'univers sont à Dieu !
TI s'arrêtait à chaque instant, comme s'il n'avait pas la force de retrouver sous.1es mots leur contenu. La mélodie s'étranglait dans sa gorge.
Et moi, le mystique de jadis, je pensais :
« Oui, l'homme est plus fort, plus grand que Dieu. Lorsque Tu fus déçu par Adam et Ève, Tu les chassas du paradis. Lorsque la génération de Noé Te déplut, Tu fis venir le Déluge. Lorsque Sodome ne trouva plus grâce à Tes yeux, Tu fis pleuvoir du ciel le feu et le soufre. Mais ces hommes-ci que Tu as trompés, que Tu as laissés torturer, égorger, gazer, calciner, que font-ils ? Ils prient devant Toi! Ils louent Ton nom ! » (pp. 127-128)