Payot - Marque Page - Ella Balaert - le contrat
« L’artifice est souvent plus proche de la vérité. » (p. 28)

Il prend son élan, pour entrer dans le mot. Il commence à déchiffrer, lettre après lettre, I-L-L-E-T-T-R-É. Ça y est, il l'a franchi. Il est dedans le mot. En terre nouvelle. C'est un pays étrange, que Stéphane a l'impression de connaître en partie ; L.E.T.T.R.E. Lui dit quelque chose. De l'autre côté du mur, il est donc question de LETTRE. Dans le diagnostic final, dans l'étiquette qu'on va lui coller à la peau, par-dessus l'ancienne, il y a LETTRE ; IL LETTRE.
Stéphane ne comprend pas le mot. Le déchiffrerait-il avec exactitude qu'il n'en verrait pas davantage le sens. Mais le mot LETTRE le rassure. Il dépose sur ce mot l'énorme fardeau qui lui pèse sur le dos depuis si longtemps. (…) Quelqu'un se propose de partager son secret. Quelqu'un qui s'y connaît, et c'est déjà moins lourd, moins douloureux de savoir que ça porte un nom et que ça existe en dehors de soi.
(…)
Tout ce qu'il voit, c'est que même s'il n'est pas agréable, même s'il ne fait pas plaisir à sa mère, ce mot lui fait du bien, à lui. Ce n'est pas un ennemi finalement, car pour la première fois Stéphane n'a plus le sentiment de se battre seul contre le monde entier. (p.81-82)
Stéphane voudrait tant pouvoir dire ce que c'est, de ne pas savoir lire. Mais à qui ? Adrien risquerait d'être déçu. Sa mère lui en voudrait. M. Lambert ne comprendrait pas, lui qui écrit même quand il parle. Et puis c'est impossible. Ce serait comme vouloir expliquer l'air qu'on respire. Il faut regarder quelqu'un dormir pour remarquer que sa poitrine se soulève et que ses lèvres laissent passer l'air qu'elles ont absorbé. Le reste du temps, on ne s'en aperçoit pas . C'est pareil pour la lecture. Stéphane regarde les gens lire et voit leurs lèvres qui bougent, ou leurs yeux. Ils lisent comme ils respirent, sans faire attention. Il n'y pensent pas. Ils sont trop dedans. Lui, il y pense tout le temps et il reste dehors, au seuil, à regarder, comme s'il retenait son souffle. (p.53-54)
"L'argent ne fait pas tout" entend-elle ici ou là. Mais ça, c'est ce qu'on dit quand on en a. (p.18)
Mais Stéphane ne souffre pas de cette solitude. Il la connaît depuis longtemps. Depuis son premier redoublement. Tous ses camarades passaient en CE2 ; lui, non. Trop lent. Les premières grandes humiliations datent de cette année-là. Interdit de suivre les mots avec le doigt. Interdit d'épeler. Interdit d'écrire comme on parle. Interdit de couper comme on veut. Seulement voilà, lui, il ne sait pas procéder autrement. Les textes lui sont hostiles, il le sent comme on flaire un danger. D'instinct. (p.38)
Quand on a quinze, seize ou dix-sept ans, c'est vraiment dur, et presque impossible, de se dire qu'on va juste mener la même vie que ses parents, que la vie consiste seulement à trouver un boulot, se marier, faire des gosses, vieillir et puis mourir ensuite. C'est comme si on vous donnait un jeu absolument génial, aux possibilités illimitées, mais qu'en même temps on vous interdisait de dépasser le niveau 1!
Celui qui a bon coeur n'est jamais sot.
Tout. Il est prêt à tout. Pour éviter la honte publique, l'humiliation devant la sentence et son exécution immédiate, là, au centre de tous ces regards. Tout, pour qu'il ne soit pas dit, qu'il ne soit pas révélé, que Stéphane ne sait pas, qu'il n'a jamais su lire. (p.33)
« Les mots flirtent. Parfois même sans que nous y prenions part. » (p. 145)
Beaucoup gagné,beaucoup,perdu,beaucoup pleuré,beaucoup aimé me faire consoler...
l'excès,la vie,la beauté un concentré d'émotions fortes