Citations de Emma Healey (32)
Le garde manger sent la lasure et le chocolat rance, et je suis serrée contre des objets, de longs objets minces. L'un a une éponge au bout, l'autre une brosse. Je ne retrouve pas leurs noms.
Je n'ai pas besoin de lunettes, sauf pour lire, mais à partir d'un certain âge, on vous en colle d'office sur le nez. Ça fait partie de l'uniforme. Sinon, comment les gens peuvent-ils deviner qu'ils ont affaire à une petite vieille ? Ce n'est qu'avec ces accessoires qu'on sait vous différencier de ceux qui ont le bon goût d'avoir moins de 70 ans. La canne, le dentier, le sonotone, les lunettes. J'ai toute la panoplie.
J'ai une comptine qui me court dans la tête, mais elle passe trop vite pour que je la comprenne. Une souris verte qui courait dans un coquillage. Ce n'est pas ça mais je ne retrouve pas dans quoi elle courait. Mais je suis une vieille dame, alors j'ai sûrement le droit de changer un peu la comptine...
Je n'arrive pas à me débarrasser de l'idée qu'on m'attend quelque part. J'enfile mon manteau et je sors. Je ne sais pas où aller, mais peu importe, si je suis censée aller quelque part, je suis sûre que ça finira par me revenir.
C’est plus sûr de marcher derrière quelqu’un d’autre. On peut vérifier si les marches sont stables, et, si quelqu’un les a testées juste avant nous, on ne risque pas d’en rater une.
Je n'ai pas besoin de lunettes, sauf pour lire, mais à partir d'un certain âge, on vous en colle d'office sur le nez. Ca fait partie de l'uniforme. Sinon, comment les gens peuvent-ils deviner qu'ils ont affaire à une petite vieille ? Ce n'est qu'avec les accessoires qu'on sait vous différencier de ceux qui ont le bon goût d'avoir moins de 70 ans. La canne, le dentier, le sonotone, les lunettes. J'ai toute la panoplie.
(page 47)
Je ne me souviens pas de samedi, mais je ne me souviens pas non plus de ne pas m'en être souvenu. A cette pensée, j'inspire brusquement. Ces trous noirs sont inquiétants. Plus qu'inquiétants. Comment se fait-il que je ne me souvienne pas de samedi dernier ? Un sentiment familier m'envahit, je sens mon coeur battre la chamade, la honte me brûler le visage, la peur. Samedi dernier. Puis-je seulement me souvenir de la journée d'hier ? (p. 25)
- Vous avez de la chance d'avoir une fille. Il paraît que les fils volent de l'argent à leur vieille mère. J'ai vu ça dans un reportage, aux informations.
- Mais j'ai aussi un fils, dis-je.
- Des millions de livre sterling volées chaque année.
- Je n'ai pas des millions de livres sterling.
- Et toutes sortes d'antiquités de l'époque géorgienne.
- Je n'ai pas d'antiquités non plus.
A un moment, un homme apparut en haut d'une crête. Il pourchassait son chapeau qui s'envolait. J'arrêtai le couvre-chef lorsqu'il passa à ma portée, mais, quand je le lui tendis, l'homme me regarda curieusement avant de le relancer en l'air pour repartir à sa poursuite. Papa me dit ensuite qu'il devait être un peu dérangé et que c'était mal poli de le dévisager.
Je ne peux pas avoir perdu tous mes petits mots. Je passe mon temps à en écrire, ils ne peuvent pas être tous tombés de la table, du plan de travail et du miroir. C'est alors que j'en retrouve un coincé dans ma manche : Pas de nouvelles d'Elizabeth. La date qui est inscrite sur le côté n'est pas récente. Soudain, j'ai le sentiment affreux qu'il lui est arrivé quelque chose.
Je n'ai jamais vraiment cru que je serais vieille un jour, et certainement pas vieille comme ça. Autour de mes yeux et de mon nez, la peau s'est ridée d'une manière très étrange, je ressemblerais presque à un reptile. J'ai du mal à me rappeler mon visage d'avant, excepté par brides : une gamine avec les joues rondes qui se tient devant la glace et enlève pour la première fois des rouleaux de ses cheveux, une jeune femme dans un parc qui contemple le vert de la rivière, une mère fatiguée les cheveux en bataille qui se détourne de la vitre sombre d'un train pour séparer ses enfants qui se bagarrent. Dans ces souvenirs, j'ai toujours les sourcils froncés, alors rien d'étonnant à ce que mon front soit plissé, aujourd'hui.
Parfois, quand je range ou que je fais du vide, je tombe sur des photographies de ma jeunesse, et ça me fait toujours un choc de les voir en noir et blanc. A mon avis, ma petite-fille est persuadée que nous avions tous la peau grise, les cheveux ternes, et que chaque photo était prise à l'ombre. Pourtant, je me souviens que la ville était presque trop éclatante de couleurs, quand j'étais gamine. Je me rappelle du bleu profond du ciel, du vert foncé des pins qui le transperçaient, du rouge vif des maisons en briques et du tapis orange d'épines de pin sous nos pieds. Aujourd'hui, même si je suis sûre que le ciel est parfois encore bleu et que la plupart des maisons sont toujours là, les couleurs semblent fanées, comme si je vivais désormais moi-même dans une vieille photographie.
Mais j'ai déjà trouvé ce que je cherchais, je l'ai dans la main, encore taché de boue. Un petit objet, de ceux qui disparaissent facilement. le couvercle cassé d'un vieux poudrier, ses rayures argentées ternies, son vernis bleu marine jadis brillant désormais tout griffé. Le miroir rongé par l'humidité ressemble à une fenêtre ouverte sur un monde délavé, comme un hublot donnant sur le fond de l'océan. J'en frémis de souvenirs.
Alzheimer de l'interieur. Trés touchant. Un polar pas comme les autres !
Un livre dérangeant au premier abord. Approcher et ressentir cette maladie d'Alzheimer, cette mémoire qui part puis revient, le présent, le passé, tout se mélange.... Très très impressionnant d'autant que ce livre est écrit par une toute jeune auteure (28 ans) qui a su éviter toute compassion ou écriture larmoyante. A lire pour comprendre ce qui vive les malades mais aussi leur entourage.
- Est-ce que c'est ma fille? je demande à la femme assise à côté de moi en désignant la nouvelle venue.
- Ta petite-fille, répond la femme.
La fille rit.
- Tu es trop vieille pour être ma mère, Mamie.
- Ah oui?
- Tu as 82 ans.
Je me demande pourquoi elle ment. Est-ce qu'elle trouve ça drôle?
- Cette fille est folle, dis-je. Et pourquoi pas 100 ans, tant qu'elle y est ?
- J'en ai par-dessus la tête des disparues, des malades et des morts. J'en ai par-dessus la tête des fils des disparues, aussi; dit-elle en poignardant la terre. Alors on va creuser jusqu'en Australie s'il le faut.
Demain n’est jamais bien loin
Ses taches de rousseur se fondent dans les plis autour de sa bouche. Elle passe trop de temps dehors, ce n’est pas bon pour la peau ; ça la vieillit plus vite.