Citations de Emmanuelle Pirotte (240)
Les livres me manquent cruellement, bien plus que la musique, que les draps de fin coton et les vins d'Italie ou d'Espagne, que les bijoux, les armes et les fourrures, le sceptre, le poids parfait de la couronne sur ma tête, les hurlements de la foule acclamant mon apparition, les cris de guerre, la folle et délicieuse angoisse avant la bataille et l'odeur du sang.
Première partie
- p 76 -
C'est quand la part matérielle de notre être s'effrite que nous mesurons véritablement la nature de notre rapport au monde. Ce monde ne nous semble accueillant, bienveillant que si nous ne nous sentons pas menacés par lui. C'est peut-être ce qui explique que l'humanité n'ait eu de cesse de détruire, pour ne pas avoir peur.
Quatrième partie
- p438 -
Un dernier et ultime acte libre. Un des seuls en une vie de cinquante années. Les hommes se bercent d'illusions en pensant poser des choix d'une absolue liberté ; ils sont toujours tributaires d'une kyrielle de facteurs qui les dépassent complètement, dont ils ne savent la plupart du temps rien .
Troisième Partie
- p 331 -
Faith observe le grain de beauté au-dessus de la lèvre supérieure d'Edda, une petite sphère parfaite en relief, non pas noire mais d'un bleu de nuit profond, comme la robe de la jument Hrimfaxi. Le grain se rapproche, les lèvres de la reine effleurent les siennes, son haleine embaume le clou de girofle et la cardamome, sa langue a le goût de la neige.
Deuxième Partie
- p 232 -
Le lendemain fut un jour qui resterait gravé dans la mémoire de Renée comme "le jour du cadeau". Elle avait vu l'Allemand coudre quelque chose dans une peau de lièvre; il utilisait les boyaux de l'animal en guise de fil....
Quand il eut terminé son ouvrage, il l'appela rudement, comme il en avait l'habitude :
"Hé, viens un peu ici ! "
Renée s'était approchée, il avait pris sa main pleine d'engelures et lui avait enfilé une moufle, la fourrure tournée vers l'intérieur.
Il avait appris avec les Indiens que les mots peuvent manquer de conviction, d’engagement, de sincérité, alors que le corps ne ment jamais ; le corps peut exprimer pleinement une pensée, une émotion, et la communiquer plus subtilement, avec la chaleur qui manque souvent au verbe.
Valère était vaincu. Ces coquins d’hommes en soutane parvenaient d’un regard à vous accabler de culpabilité. En leur dissimulant des choses, vous aviez l’impression que c’était à Dieu que vous faisiez des cachotteries. Cela faisait des siècles qu’ils faisaient danser le pauvre monde et ce n’était pas encore aujourd’hui que cela allait cesser. P 106
Armand espérait que les indigènes seraient aussi chaleureux. Mais, de cela il doutait sincèrement, car les hommes ont à jamais perdu l’innocence qui se loge parfois dans l’âme pure des animaux et des jeunes enfants. Ne dit-on pas que les Sauvages ne sont pas tout à fait aussi humains que les gens du Vieux Continent ? P 67
On ne pouvait pas punir quelqu'un parce qu'il disait la vérité, si dure à entendre soit-elle.
il n’y a qu’un seul monde et il est faux, cruel, contradictoire, séduisant et dépourvu de sens
Je crois aujourd’hui que c’était ton choix de ne pas donner de fin à cette histoire d’amour et de mort . Qui devient une histoire d’amour et de vie , à jamais suspendue au bord d’une aube nouvelle .
Naiekowa...Cela évoquait le bruit de la rivière, le nom d'une fleur de marais, la pluie d'été qui dégouline des feuilles...Quelque chose en rapport avec l'eau.
Le lendemain matin, avant d'embarquer, Leroy vint vers Armand et lâcha :
"Si ça vous intéresse, Naiekowa veut dire le Grande Vaniteuse, ou l'Orgueilleuse, enfin, une femme forcément forte en gueule, quoi..."
« Tu sais, Renée, c'est pas mon vrai nom. Mais l'autre, je ne le sais plus. »
[…]
Il aurait donné n'importe quoi pour retrouver le nom de l'enfant. Il se plut à imaginer un mot plein de consonnes rugueuses, féminin et fort, qui déployait son cortège de puissantes figures bibliques. Esther, Deborah, Sarah, Judith. Il se demanda s'il existait en hébreu un prénom qui avait le même sens que Renée, 'celle qui est née deux fois'.
Au fond, ce qui faisait que les nazis ne deviendraient jamais les maîtres du monde, c’était leur manque total de sens de l’humour. Et, corrélativement, leur inaptitude à l’autodérision. Le peuple juif pouvait bien avoir été gratifié de toutes les tares possibles et imaginables, il avait une supériorité incontestable sur la race germanique, quoi qu’en pensa le Führer. Au coeur de la tourmente qui les engloutissait, dans les situations les plus infernales, les Juifs continuaient de pratiquer leur humour noir
Si Mathias n'appréciait pas particulièrement les Juifs, il n'avait rien contre eux non plus. Il les connaissait trop peu et, ayant pour habitude de ne se fier qu'à ce qu'il avait lui-même expérimenté, il n'avait tout simplement pas d'idée précise à leur sujet.
Les femmes sont-elles plus aptes à exercer le pouvoir ? Ont-elles véritablement, comme veulent nous le faire croire les mythes de la Renaissance, plus de jugement, d'empathie, davantage le sens de la justice et de l'équité ? Sont-elles, sinon exemptes, du moins plus affranchies que les hommes du désir de puissance, de l'orgueil, de ce que dans le Très Vieux Monde on nommait l'hubris ? Je l'ai longtemps cru, j'ai défendu cette conception avec passion, avec une conviction fanatique, à la mesure de l'effarante inanité de cette croyance. Je sais aujourd'hui qu'elle est infondée et dangereuse. Je sais qu'une femme peut se révéler abjecte, retorse, envieuse, fourbe, d'une patience diabolique, destructrice et narcissique ; c'est une créature nuisible et prédatrice.
Je le sais parce que cette créature, c'est moi.
Le mot « Juif » constituait un véritable mystère. Renée s’était juré de le percer un jour, et surtout de comprendre pourquoi ce mot rendait les gens tantôt lâches, comme le père de Marcel et Henri, tantôt méchants comme Françoise ou Marie-Jeanne, tantôt courageux et fraternels comme les fermiers de l’autre campagne, soeur Marthe du Sacré-Coeur, le curé ou Jules Paquet. C’est ce qui tracassait Renée par-dessus tout, ce que ce mot déchaînait comme émotions, la faculté qu’il avait de mettre les êtres à nu.
[…] en prenant la décision de cesser ses visites, elle sentait confusément qu'elle avait continué à tisser le lien qui la liait à lui. [Elle] pressent que l'absence peut raviver les sentiments.
Renée. Quel nom prédestiné. C’en était presque comique.
Vieillir, ça se vit seul, en tout cas pas entouré d'autres vieux.