Citations de Eugène Delacroix (421)
« Ce beau Nohant, si beau parce que vous y êtes ; envoyez de ma part à tous ses arbres mes tendresses d’ami. Vous savez comme j’aime les jardins, les fleurs. Je crois que c’est pour ça que je vous aime tant. »
Eugène Delacroix, lettre à George Sand
Le premier mérite d'un tableau est d'être une fête pour l'oeil.
La couleur est par excellence la partie de l'art qui détient le don magique. Alors que le sujet, la forme, la ligne s'adressent d'abord à la pensée, la couleur n'a aucun sens pour l'intelligence, mais elle a tous les pouvoirs sur la sensibilité.
Journal
Il y a deux choses que l'expérience doit apprendre : la première, c'est qu'il faut beaucoup corriger ; la seconde, c'est qu'il ne faut pas trop corriger.
Tel livre où l'on n'avait rien trouvé d'utile, lu avec les yeux d'une expérience plus avancée, portera leçon.
La nature est pour nous un dictionnaire, nous y cherchons des mots.
À Achille Piron
À la maison des gardes de la forêt de Boixe, le 9 novembre 1818.
Je pense que tu trouves que pour un homme qui passe sa vie à s'amuser, je ne suis guère amusant quand j'en parle. C'est que j'enrage de voir qu'on a beau voir arriver ce qu'on avait attendu avec tant d'impatience, on est tout surpris de trouver que ce n'est que cela ; c'est que j'enrage encore de penser qu'après que ce temps est passé on se dit avec colère : pourquoi n'as-tu pas joui davantage ? Il faut donc se résigner à cette idée désolante qu'il manque toujours quelque chose au plus heureux homme de la terre. Heureux celui qui trouve son bonheur dans l'étude, parce que personne ne lui ravira son bonheur, et parce qu'elle lui fera oublier les autres misères de la vie.
Ce qu'il y a de plus réel pour moi ce sont les illusions que je crée avec ma peinture.
Il faut être écrivain de profession pour écrire sur ce qu'on ne sait qu'à moitié, ou sur ce qu'on ne sait pas du tout.
À Achille Piron
Forêt de Boixe, le 8 octobre 1819
Les livres sont de vrais amis. Leur conversation silencieuse est exempte de querelles et de divisions. Ils vous font travailler sur vous-même, et, chose rare dans les discussions avec les amis de chair et d'os, ils vous insinuent tout doucement leur avis, et vous font goûter la raison, sans que vous vous regimbiez contre son évidence et sans que vous ayez l'air d'être vaincu à vos propres yeux.
L'homme est un animal sociable qui déteste ses semblables.
Paris, 27 janvier 1824
Après le départ de son ami Géricault, Delacroix va devenir la tête de proue du romantisme.
J’ai reçu ce matin à mon atelier la lettre qui m’annonce la mort de mon pauvre Géricault ; je ne peux m’accoutumer à cette idée. Malgré la certitude que chacun devait avoir de le perdre bientôt, il me semblait qu’en écartant cette idée, c’était presque conjurer la mort. Elle n’a pas oublié sa proie, et demain la terre cachera le peu qui est resté de lui… Quelle destinée différente semblait promettre tant de force de corps, tant de feu et d’imagination ? Quoiqu’il ne fût pas précisément mon ami, ce malheur me perce le cœur ; il m’a fait fuir mon travail et effacer tout ce que j’avais fait.
(…) Pauvre Géricault, je penserai bien souvent à toi ! Je me figure que ton âme viendra quelquefois voltiger autour de mon travail… Adieu, pauvre jeune homme !
Cette prétendue franchise, à l'aide de laquelle on débite des opinions tranchantes ou blessantes est ce qui m'est le plus antipathique.
(Journal, 8 mars 1849)
Paris, 4 février 1847
Quel dommage que l’expérience arrive tout juste à l’âge où les forces s’en vont ! C’est une cruelle dérision de la nature que ce don du talent, qui n’arrive jamais qu’à force de temps et d’études qui usent la vigueur nécessaire à l’exécution.
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Paris, 10 février 1849
Un imbécile nommé M…, que je n’y avais pas vu depuis longtemps, y était en toilette exacte et ganté hermétiquement. Il a l’air de se croire beau ou intéressant pour le sexe ; cela lui impose la tenue. Je ne mentionne ceci que parce que, à propos de cet individu qui n’est qu’un fat, j’ai pensé à certains hommes à bonnes fortunes, qui sont les victimes de l’obligation où ils se croient d’être toujours beaux.
À Achille Piron
Forêt de Boixe, le 8 octobre 1819
Si le livre ne vaut rien, bien qu'avec des dehors spécieux, un bon esprit ne s'y trompe pas. S'il est bon, c'est un inestimable trésor, c'est une félicité de tous les moments. Combien les livres ne nous font-ils pas oublier de chagrins, par le spectacle des hommes vertueux livrés au malheur. Combien ne nous élèvent-ils pas, en nous montrant leur constance et leur grand caractère. C'est une chose qui m'étonne de voir si peu de gens qui lisent dans ce sens. Ils ne cherchent dans la lecture qu'à repaître le vide de leur esprit. Les lignes leur passent devant les yeux comme des aliments dans un gosier, pourvu qu'ils passent c'est assez. Moi, je trouve dans les livres des passages que je voudrais saisir avec autre chose qu'avec les yeux. Je sens si bien ce qu'ils me disent, je vois si bien ce qu'ils me peignent, que je m'indigne à la fin contre cette page muette d'un vil papier qui m'a remué si fortement et qui me reste seule entre les mains et sous les sens.
Il est en train de peindre les scènes du massacre de Scïo, il a esquissé la femme traînée par le cheval qui occupe le centre de cette admirable composition. Il montre son travail à quelques amis, à quelques parents : vous vous figurez comme on le juge ; mais après leur départ, il se soulage et note sur son Journal cette exclamation indignée : « Comment ! il faut que je lutte avec la fortune et la paresse qui m'est naturelle ! il faut qu'avec de l'enthousiasme, je gagne du pain, et des bougres comme ceux-là viendront jusque dans ma tanière, glacer mes inspirations dans leur germe, et me mesurer avec leurs lunettes! »
Si nous nous posons sur Delacroix la question que Sainte-Beuve considérait comme indispensable de résoudre dans l'étude biographique et critique d'un homme éminent : « Comment se comportait-il en matière d'amour? Comment en matière d'amitié? » le Journal du maître nous éclairera complètement. Les préoccupations amoureuses existent au début de sa carrière. Faut-il ajouter qu'elles sont sans conséquence? Il n'est jamais indifférent de savoir si un homme, surtout un artiste, a connu le souci d'aimer; mais ce qui est capital, c'est d'être fixé sur ce point : quelle partie de son être a été atteinte? La tête, le cœur ou les sens? Suivant que l'amour de tête, l'amoursentiment ou l'amour sensuel prédominera, l'être intellectuel se trouvera modelé différemment et la réaction amoureuse influera diversement sur les productions de son esprit. De cette vérité psychologique, Stendhal, pour ne citer qu'un nom, a fourni la plus saisissante démonstration, car il est bien certain que, si l'amour de tête et l'amour-sentiment n'avaient pas tenu dans sa vie la place que nous savons, nous n'aurions ni Julien Sorel, ni Mme de Rénal, ni Mathilde de la Môle, ni Clélia Conti. Or, pour en revenir à Delacroix, il ne paraît pas que l'amour ait jamais gravement atteint la tête ou le cœur : il semble s'être limité exclusivement aux sens et s'être manifesté chez lui de telle manière qu'il ne pouvait ni influer sur son travail, ni contribuer à l'en détourner.
Si la solitude sépare, elle nourrit et affermit, elle tranche bien des liens qu'on ne coupe qu'à regret, mais elle permet de plonger des racines dans ce qui est essentiel.
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La dernière des notes qu’on ait retrouvées sur les calepins du journal de Delacroix, qui mourut le 13 août suivant.
22 juin 1863 - (Au crayon.) Le premier mérite d’un tableau est d’être une fête pour l’œil. Ce n’est pas à dire qu’il n’y faut pas de la raison : c’est comme les beaux vers ;… toute la raison du monde ne les empêche pas d’être mauvais, s’ils choquent l’oreille. On dit : avoir de l’oreille. Tous les yeux ne sont pas propres à goûter les délicatesses de la peinture. Beaucoup ont l’œil faux ou inerte ; ils voient littéralement les objets, mais l’exquis, non.
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