Citations de Eugenia Almeida (41)
Le jeune homme comprend qu’il a dérapé, commis une erreur, que ce n’était pas ce qu’il aurait dû dire. Il sourit. Bien que l’autre ne le voie pas. Il sourit parce que c’est ce qu’on lui a appris : plus la tension est forte, plus ferme doit être le sourire. Les gens hésitent à attaquer quelqu’un qui sourit.
La loyauté se juge aux actes. On peut toujours se prétendre loyal, mais cela n’a de valeur que si les actes suivent. Les promesses ne servent à rien. On ne peut les apprécier qu’a posteriori. Faire des promesses et ne pas les tenir est pire. Il vaut mieux se taire. Toujours. Après avoir parlé, il faut agir.
Ecoute, petite, toi tu es toute la journée toute seule, à te triturer les méninges. Tu t’imagines des choses qui n’existent pas. Peut-être que oui, qu’il arrive qu’en ville une erreur soit commise. Mais après, ils la corrigent. Un point, c’est tout. Ici ils ont bien fait de venir. Ils nettoient le village, ils nous protègent. Ils nous permettent de continuer à vivre tranquillement. Et tu aurais vu leur allure ! Les uniformes que portaient les officiers, les cheveux bien coupés, la moustache impeccable. Ils étaient parfaits.
Victoria apprend à tout voir et à garder le silence. La bibliothèque est fermée. Ils disent que c'est pour cause d'inventaire mais elle sait que ce n'est pas vrai. Ou pas complètement. Ils font l'inventaire des livres. Et quelques-uns, magiquement, se perdent. Ils perdent des pages, sont volés, mouillés, déchirés, brûlés. Perdus. Comme certaines personnes. Le contremaître la prévient qu'il a enterré deux corps. Qu'il les a trouvés la veille au soir. Des impacts de balles, mademoiselle. Ils devaient être morts depuis deux ou trois jours. Deux garçons. Non, ils ne sont pas d'ici. Non, [je n'ai pas prévenu] la police, non. Ils doivent être au courant. (p. 87)
[Argentine, milieu des 70's]
- Mon père dit que l'autobus ne s'arrêtera plus jamais.
- Il faudra bien qu'il s'arrête quand il n'aura plus d'essence.
- Mais non, idiot, c'est dans le village qu'il ne s'arrêtera plus jamais.
- Et alors ? De toute façon, nous on ne va jamais nulle part.
Sofía avale. Les ordres, les horaires, les phrases tronquées. Une gorgée de sable. Quelque chose qui fait mal en descendant. Elle prend à peine le temps de répartir sa charge pour se présenter à la table quatre avec le sourire. Elle cale une assiette, un verre de chaque côté, les serviettes, la bouteille. Et, tout sourire, malgré la douleur, elle efface Sánchez et pose son regard sur l’homme de l’autre côté de la vitre, de l’autre côté de la rue, sur le banc de la place. De l’autre côté du monde.
Elle emporte des assiettes sales à la cuisine. Quand elle passe près de Juancho, elle dit à voix basse :
- Ce que je t’ai donné, passe-le-moi avec les déjeuners.
Le cuisinier murmure quelque chose qui se perd. Maintenant la matinée est le temps qu’il manque pour arriver à midi.
Ecoutez, Gomez, j'ai de l'estime pour vous, mais ne posez pas autant de questions. Le silence, c'est la santé.
–Je ne sais pas si tu joues au con ou si tu l’es pour de vrai.
–J’ai besoin de ce tuyau.
–Pourquoi ?
–Ah ! Il faut toujours tout expliquer !
–Quand on pose des questions, oui.
- Ecoutez, Gomez, j'ai de l'estime pour vous, mais ne posez pas autant de questions. Le silence, c'est la santé. Pourquoi nous en faire pour un type de la ville qui n'a passé que quelques heures au village ? Hein ? Pourquoi ?
Tout allait toujours bien.Et son rire,détaché des choses,battait contre le temps comme une cloche stupide.Qui sait ce qu'elle pouvait bien voir à l'intérieur,ce qui déclenchait ce reflet creux,ce rire aigu et convulsif qui rendait Ponce nerveux.
Victoria, pour lui, est une erreur parfaite. Quelque chose qui ne devrait pas être de ce monde, un geste merveilleux qui passe inaperçu.
Cela fait trois soirs que l'autobus passe sans ouvrir ses portes. Le village est sous une chape métallique. Grise et légèrement ondulée. Le seuil des maisons est maculé de terre et l’absence de pluie rend les chiens nerveux. Par la fenêtre de l’hôtel, Rubén se penche machinalement pour regarder les gens qui traversent la voie.
Flores devait mourir quelques années plus tard, aussi content que Marta, ayant tout accepté sans poser de questions, la vente des pianos, les silences dissimulés derrière les recettes de cuisine et les changements de robes, l'absence de petits-enfants. Content de voir cette jeune femme rire tout le temps, comme un canari enfermé qui chante quand le soir tombe.
Récapitulons. Je ne peux rien écrire, je ne peux pas faire de rapport, je ne peux pas parler, je ne peux pas faire de recherches, je ne peux pas poser de questions. A quoi, bordel, peut bien me servir ma main ? A faire le salut militaire et basta.
"Excusez-moi. Mon travail n'est pas simple. Moi aussi, je dois obéir sans poser de questions. Vous en êtes conscient ? Moi, on m'envoie un ordre et je le fais exécuter. Et si je ne comprends pas, cela ne fait rien. En plus, mes supérieurs ne sont pas ici, ils ne savent pas comment est la situation ici. Je connais tous les habitants du village. Je connais les parents, les frères et soeurs. A Cordoba, ils attrapent un type, le mettent en prison et ne savent même pas comment il s'appelle."
– Tu écris un seul mot là-dessus et une heure après tu es mort, pigé ?
Guyot a entendu ce genre d’avertissement des milliers de fois. Il a toujours pensé que, dans la bouche de Jury, ils ne signifiaient pas la même chose. Mais il y a un doute, une petite marge d’ombre qui lui fait penser que oui, bien sûr que oui, Jury veut dire exactement ce qu’il dit.
– Tu t’imagines que j’ai envie d’écrire un papier là-dessus?
– Je sais pas. Tu fais un boulot de merde.
– Peut-être, mais meilleur que le tien.
Ils se regardent. Leurs yeux se fuient. Quelque chose les a distraits. Quelqu’un est en train de pleurer. (p. 25)
Que l’insécurité augmente. Que sur la place du Bajo on peut se faire tirer dessus en toute tranquillité. Que se procurer une arme dans cette ville est plus facile que trouver un taxi, que tout le monde sait très bien ce qui se passe, mais à quoi donc ressemblent nos rues aujourd’hui ?
- Oui, je savais que vous en étiez conscient. Tout cela est très bizarre. Je ne sais pas...il se passe quelque chose et nous ne sommes pas au courant.
L’oiseau s’approche. Peut-être un pigeon. Des pigeons, cependant, il y en a plus loin, au pied de la statue. La vieille leur jette rageusement du maïs, accomplissant un devoir dont elle ignore l’origine. Peut-être un moineau. L’homme ne le sait pas car il ne regarde que son soulier droit. De temps en temps, la vieille lève les yeux pour l’observer. Ce regard tisse un monologue, creux et prévisible. Elle sait qu’il ne regarde personne. Son soulier, un carré d’herbe, la chaîne qui ceinture la statue. Le ciel. Oui. Il regarde aussi le ciel.
Cette phrase qui pour lui résume tout et,en même temps,le laisse en marge de tout. "Les femmes sont des idiotes et les hommes sont des brutes."