Je m’approche encore. Je veux sentir la chaleur de son corps contre le mien. Je veux le rassurer. Lui dire qu’il se trompe. Qu’il est l’homme le plus fascinant que j’aie jamais vu. Mais encore une fois, mon handicap m’en empêche. Alors il ne me reste plus qu’une chose à faire. Lui montrer
— Parce que j’ai envie de toi. Parce que tu me manques. Parce que ce que je ressens quand je suis avec toi, c’est plus fort que tout ce que j’ai jamais connu. Mais tu dois prendre conscience que je n’ai pas changé. Que je ne chercherai jamais de relation sérieuse. Je ne suis pas ici pour te donner de faux espoirs, Dean.
La boule dans ma gorge est de retour. Comme toujours, Farrow joue cartes sur table. Il ne me ment pas, il ne cherche pas à m’amadouer à l’aide de fausses promesses. Il est juste là, à m’expliquer ce qu’il attend de moi, et c’est à prendre ou à laisser.
Je baisse les yeux devant son regard insoutenable, et il me faut une éternité avant de murmurer :
— Je ne crois pas que ce soit une bonne idée.
— D’accord.
Il n’insiste pas, a déjà reculé d’un pas. Je devrais être soulagé qu’il accepte ma décision sans rechigner, pourtant, la déception est si vive qu’elle me serre l’estomac. Et soudain, je me rends compte que je ne peux pas le laisser partir. Je ne peux pas laisser la soirée se terminer comme ça. Accepter de donner à Farrow ce qu’il veut, ce que nous voulons tous les deux, est très clairement une erreur, comme il me l’a si bien fait remarquer, mais au diable les bonnes résolutions. J’aurai tout le loisir de regretter plus tard.
Je tends le bras et attrape son tee-shirt pour le tirer vers moi.
— Mais c’est en faisant des erreurs qu’on apprend, non ? soufflé-je contre sa bouche. Et tu as beaucoup de choses à m’enseigner.
Son sourire satisfait est de retour, mais brièvement. Parce que quelques secondes plus tard, je l’efface de mes lèvres qui s’écrasent contre les siennes.
Quelques notifications m’attendent sur Instagram, pas mal de likes sur ma dernière publication et plusieurs commentaires élogieux qui me font sourire et me rappellent pour quelle raison j’ai choisi ce métier.
Mais alors que je fais défiler mes notifications, mon cœur manque un battement.
Farrowlynch a commencé à vous suivre.
Je relis à deux fois.
Non. Impossible. Sans doute un compte de fan.
Sauf que l’étoile de certification m’indique que ce n’est pas le cas.
Dans le doute, je clique sur le pseudo et reste figé devant les photos.
C’est bien lui, putain. Farrow Lynch s’est abonné à mon compte.
Lynch qui jouait contre Carter ce soir. Je le sais, vu que j’ai maté le match, comme j’essaie de regarder tous ceux des Renegades. Étrangement, je me sens encore plus investi, maintenant que je connais personnellement – toute proportion gardée – un des joueurs.
Toujours est-il que ce nouvel abonné ne signifie qu’une seule chose : Banes lui a parlé de moi.
Un frisson parcourt ma peau, et mon cœur s’emballe.
Banes lui a parlé de moi.
Mon sourire est si grand qu’il pourrait me briser le visage en deux.
— Ton père cuisine ?
— Heu… oui ? Ça te surprend ?
— Pour être honnête, carrément. Je pensais que tes parents avaient des employés pour ça.
— C’est le cas, parfois. Mais quand on est tous ensemble, on préfère rester entre nous.
Ma réponse semble le satisfaire. Malgré tout, il ne peut s’empêcher d’ajouter :
— Dommage que tu n’aies pas suivi son exemple.
J’éclate de rire et lui vole un baiser.
— Et te priver du plaisir de cuisiner ? Ça aurait été franchement sadique de ma part.
Une des nombreuses choses que j’ai apprises en fréquentant Blake, c’est qu’il aime cuisiner, et qu’il est sacrément doué pour ça. Moi, je suis sacrément doué pour dévorer tous ses petits plats.
Ma tête est emplie de ce putain de Farrow Lynch. De son sourire, de son rire, de ses cris de jouissance.
Si Farrow a été tout ce que je m’attendais à ce qu’il soit : brutal, passionné, sensuel, il a également été tout ce que je ne m’attendais pas à ce qu’il soit : doux, tendre, attentionné.
Je ne sais pas trop ce que j’espérais en frappant à sa porte, mais j’étais loin d’imaginer cette douleur lorsque je l’ai refermée sur notre soirée.
Alors, si je ne parviens pas à trouver le sommeil, ce n’est pas uniquement parce que la réalité a dépassé la fiction, c’est aussi parce que je sais que cette réalité ne se reproduira plus jamais.
Et je ne peux m’empêcher d’en avoir le cœur un peu trop serré.
Blake s’approche de la bibliothèque. Quoique bibliothèque est un grand mot pour décrire la petite vingtaine de bouquins qui y sont rangés.
— La malédiction du Cecil Hotel, De sang-froid, The Most Dangerous Animal of all, The Stranger beside me… je comprends mieux ta remarque sur les tueurs en série.
— Ouais, j’aime beaucoup les histoires de true crime.
Vraiment beaucoup, en fait. J’espère que Blake ne va pas prendre ses jambes à son cou en me trouvant trop flippant. Ni penser que je songe à le zigouiller pour de vrai.
— Mais je te promets que je n’ai pas de pulsion meurtrière, m’empressé-je d’ajouter.
Il me fixe sans broncher l’espace d’un instant.
— C’est rassurant.
28/06 – 3.23 pm
Farrow : Victoire ! J’ai enfin trouvé le costume parfait !
Dean : Hâte de voir ça ☺
Farrow : Je suis canon dedans, j’ai peur de faire de l’ombre aux mariés.
Dean : Ce qui va leur faire de l’ombre, c’est ton ego tellement surdimensionné qu’il va protéger tout le monde du soleil.
Farrow : Hahaha. C’est simplement la vérité, mec. Pourquoi est-ce que je ferais dans la fausse modestie ?
Dean : Je suis surpris que tu connaisses même la définition du terme modestie.
Farrow : Je dois remercier mes nombreuses lectures. J’apprends plein de mots de vocabulaire grâce à elles.
Bon sang, pourquoi l’amour ne peut-il pas être simple, comme dans certains romans que j’ai lus ?
Une amitié qui se transforme en quelque chose de plus profond, naturellement, au fil du temps ? Où les personnages n’ont pas besoin de lutter contre leurs sentiments tant ils sont évidents ? Je comprends les réserves de Farrow, évidemment, mais j’ai l’impression également qu’il est trop entêté pour voir ce que nous pourrions être, si seulement il nous laissait une chance. Peut-être qu’il estime que je n’en vaux pas le coup ? Cette éventualité est encore plus douloureuse que chaque inspiration que je prends.
Je me repasse la rencontre dans ma tête, essayant de me souvenir si j’ai tout donné, si j’ai assuré. Merde, c’est n’importe quoi. Évidemment que j’ai assuré, bon sang.
Cette histoire commence à tourner à l’obsession. Peut-être que je devrais consulter. Ou demander à ce qu’on me retire le bout de cerveau où Farrow a élu domicile.
Deux jours. C'est tout ce qu'il aura fallu pour que je m'infiltre dans ses veines tel un poison.