Transportés, déportés ou relégués, qui sont ces hommes, et femmes, qui ont connu la Nouvelle-Calédonie au travers de son bagne ? Avec son roman Les Enchainés, Franck Chanloup leur donne une identité, une force et une espérance en mettant en scène le passé de ces îles.
Victor Chartieu rêve de s’installer cordonnier. Il lui suffit de vingt-quatre francs pour acheter des outils. A raison de cinq centimes d’économie par mois, Victor sait qu’il se doit d’être patient ! Seulement, du haut de ses quinze ans, il sait aussi obéir à son père.
Alors, lorsque pour vivre, son père et son grand frère se mettent à détrousser le bourgeois, Victor fait le guet, comme son père le lui demande. Et, lorsque, arrêtés, son père l’oblige à mentir au tribunal, Victor l’écoute encore. Pour l’un la liberté, pour l’autre la guillotine et pour le plus jeune, neuf petites années au bagne.
Certes, ce n’est pas le tour de France du meilleur ouvrier que propose Franck Chanloup ! C’est plutôt un tour du monde des repris de justice et, autres reléguas, qui est raconté ici. Du village de Rouillon dans la Sarthe, où la pièce à vivre protège de l’humidité et la couche des cafards jusqu’au bagne de Nouméa, en passant par la prison du Vert-Galant, le bagne de Toulon et la traversée sur Le Danae, Victor essaye de grandir en apprenant à baisser la tête pour s’épargner les coups.
Réhabiliter – Civiliser – Produire, la devise de ce chef de camp qui se voulait progressif, à l’image d’un Charles Guillain, gouverneur de cette terre qui mit en place ce système de transportation pénale. Mais, le matricule 337, porté par Victor, vit bien autrement cette maxime.
Franck Chanloup choisit de raconter les gens de peu. Au cœur de conditions de vie terribles, des sévices et des privations, des hommes, et des femmes, essayent de survivre même si le système veut à tout prix les ramener à l’état de bêtes.
Car c’est un voyage au cœur du XIXè siècle de la misère, de ce peuple qui n’a plus rien et surtout pas un soupçon de liberté. Des chaînes qui entravent, des confinements où les corps s’entassent, sans soin ni minimum de considération qu’on devra plus tard à tout être humain, les différentes conditions de détention sont clairement énoncées.
Pourtant le lecteur souhaite que ce jeune adolescent puisse un jour sortir de l’horreur qui l’accable, et cela, tout au long du roman. Victor raconte ses peurs, ses efforts pour être invisible et sa jeune force de travail. Certes, plus frêle et plus jeune de tous, il est aussi généreux et fidèle à ceux qui acceptent de lui donner sa protection. Les Enchaînés sont le récit de ces amitiés improbables qui forment comme le rite de la guirlande mais aussi qui transcendent, comme celle avec Léopold Lebeau, meneur d’hommes épris de justice, lorsque l’amour s’en mêle.
Évidemment, l’éloignement donne libre cours aux comportements de chefs sadiques qui s’appliquent avec ardeur à accomplir la tâche pour laquelle ils sont nommés : coup de fouets, punition de la ralingue et bastonnades pour maintenir peur et obéissance.
Viennent croiser le chemin du jeune homme, des personnages accablés par la vie : La mère de Bidochon passe de la plage où les enfants font des châteaux de sable à la prostitution pour survivre. Un soir de beuverie, de jeunes bagnardes sont violées dans l’indifférence de tous. Et, puis, il y a ceux que l’on déporte pour avoir célébré la République. Croyant à la parole du peuple et à l’expression de la liberté, les Communards, en tout cas ceux qui ne sont pas fusillés, se retrouvent dans ce bagne broyé par un système carcéral qui quelques années plus tard leur apportera l’amnistie. Néanmoins, moins ils reviennent, mieux s’en porte le système.
Franck Chanloup n’est pas historien. En choisissant la forme romanesque, il raconte le passé de sa terre de cœur, la Nouvelle-Calédonie, dans ce premier roman paru atypique. A part Papillon, le récit autobiographique de l’ex-bagnard en Guyane Française, Henri Charrier, adapté plusieurs fois au cinéma, la vie au bagne m’était complément inconnue.
Particulièrement attachant, Victor illumine de sa jeunesse le récit des heures sombres. L’écriture de Franck Chanloup est particulièrement soignée même si l’argot témoigne de la façon de parler de l’époque. Et, rapidement le lecteur tourne les pages pris au piège de l’espoir d’un dénouement heureux.
Bien que la fin soit un peu trop rapide à mon goût, mais aussi que dire de plus important, Franck Chanloup réussit à faire vivre des prisonniers anonymes sur cette terre française du bout du monde. Après cette découverte très agréable, impossible de regarder ces îles paradisiaques de la même façon surtout lorsqu’on songe aux pierres qui façonnent les routes …
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