Citations de François Emmanuel (110)
La beauté, (...) source de tous nos malentendus, les femmes s'en parent, elle n'est plus que parure, les hommes s'en emparent, elle n'est plus qu'emblême à leur vanité.
Souvent les amis nous assignent à résidence dans tel ou tel domaine de leur vie. Il vaut mieux ne pas se laisser déporter ailleurs, Dieu sait où cela se termine.
Si nous étions environnés d'aquariums, nous parlions de poissons, les poissons nous emmenaient au fond des mers, du fond nous remontions aux îles, des îles au sentiment d'insularité qui habite l'âme anglaise, de l'âme anglaise nous glissions vers l'âme russe ou, indifféremment vers le 'peanut butter', selon les lois de la conversation linéaire qui se fraie un chemin d'un mot à l'autre, avec quelques bifurcations dans l'axe paradigmatique et quelques trous rapidement comblés par le vin.
J'ai aimé tant de femmes, entrevues, croisées, disparues, lisant dans les trains ou marchant ou marchant dans les rues, j'ai aimé de jeunes mères à la tendresse lasse, des silhouettes graciles séparées par des vitres, de belles effarées, de belles éloignées, des élégantes, des pensives, des ensoleillées, j'ai aimé cet intime secret qu'elle protègent l'art qu'elles ont d'apparaître, de glisser et se perdre derrière les paravents du hasard.
Incorrigiblement, le poète est sans profession véritable, il entend les vers à l'oeuvre dans le bois de la langue. Un peu de ruse cependant, trop de talent parfois, peut le conduire à user à son tour d'une langue de bois poétique.
On ne reconnait pas les poètes aux traces imprimées qu'ils lèguent à leurs amis ou qui sédimentent dans un entrepôt d'éditeur. Comme pour les saints et les héros il faut une longue fréquentation des poètes pour savoir s'ils le sont.
C’est un poème. Appelons-le ainsi parce qu’il n’est suspendu à rien, n’est attaché à rien, n’est retenu par rien. Les poèmes sont les seuls textes en suspension dans le vide.
Les rêves deviennent dangereux lorsqu’ils trouvent à l’état de veille assez d’éléments réels pour s’imbriquer à la fantasmagorie…
Elle me saisit par les épaules et me retourna de face, pressa ses lèvres contre les miennes, y planta un baiser rageur, sa langue en couteau, un fruit blet que l’on écrase, une gousse de venin noir.
Et elle posa ses lèvres sur les miennes, ce fut un baiser très doux, parfumé, extatique, comme un beau fruit qui n’était plus de mer heureusement, un velouté de framboises, de cassis, de myrtilles et d’herbes des champs.
Quand le bon sens arrive ainsi, accroché au bout d’une période, ailé et bien nourri, tels ces angelots replets qui soutiennent les chaires de vérité baroques, il y a tout à craindre.
C'est un travail inconfortable et mal payé mais je n'ai pas envie de le quitter. Il y a une beauté sauvage chez ces enfants qui ont perdu langue avec les hommes. Pourtant ce n'est pas cela qui me retient. C'est leur regard peut-être, car ils voient tout, ils ne laissent rien passer de nos ruses, de nos habiletés, de nos faiblesses. ...
Je rêve d'une prison dont toutes les portes des cellules sont déverrouillées, les gardiens sont en fuite, les couloirs ouvrent sur la mer.
Regarde ce que je ne peux voir, ce qui s'est enfoncé là-bas dans la blessure de son corps et plus rien par la suite, rien, pas même les mots honte ou souillure qu'elle ne prononcerait pas, recouvrant tout avec ce texte brisé, balbutié, fait de fragments épars, de sursauts et de chutes, de suspens fascinés, par moments son souffle, rien que son souffle.
Les jumelles, lorsqu'elles vivent séparées conservent intacte leur ressemblance, lorsqu'elles vivent ensemble apprennent à dis-sembler.
...cette hésitation incessante entre croire et ne pas croire, savoir et ne pas savoir, jouer à se convaincre et s'obnubiler d'espoirs comme une plaie que l'on réveille avec des baumes.
La douleur qu'affichent certains visages est parfois si intimement dérangeante que nous nous détournons malgré nous.
Il y a des moments dans la vie où une décision qui tranche est plus opportune que bien des atermoiements...
Faut pas, faut pas croire tout ce que les gens disent, faut pas les croire, un jour ça, un jour autre chose, faut pas les croire, non...
Rêve du Katarina toujours, rêve d’y avoir oublié quelque chose, oublié Louis, rêve d’être enfermé dans une cabine alors que le feu gagne, rêve d’être poursuivi dans les coursives par de jeunes guerriers fous, agiles aux survêts imprimés OPIUM, NIKE, COKE, ARMANI, Ismaïl jouait de la Kora, Khadim Kanté était un tout petit enfant, je porte un tout petit enfant nommé Khadim, une voix disait, j’entendais toujours cette voix : on attendra les eaux basses pour visiter les cales du Katarina…