Françoise Lalande

Allah le généreux, murmurait Rimbaud entré en agonie, mais jadis Rimbaud s'était bien moqué de la foi, notamment de celle de Verlaine, arrivant à lui "le chapelet aux pinces", de sorte qu'il balancera son ancien compagnon dans un fossé, à moitié sonné, très gênant tout cela ! , alors sa soeur si provinciale et si bourgeoise s'empare de grands ciseaux et taille sec dans l'oeuvre, clic ! clac! , elle fait disparaître les mots qu'elle qualifie de "malhonnêtes", elle supprime, interdit, bloque, contrôle (l'obsession désastreuse des héritiers ignorants), et ceux qui aimèrent Rimbaud, dans le désir que son oeuvre soit connue, patientent, calment ou séduisent l'impossible vieille fille... (p.78)

C’est très étrange ; soupirait-il, mais j’ai quitté chaque ville au moment même où je décidais de m’y installer-, il se souvenait des hommes et des femmes si proches de lui qu’il ne voulait plus les quitter, il vivait un bonheur joyeux, la vie était légère, alors il se mettait à chercher une chambre en accord avec ses maigres moyens, mais au moment de signer le bail, il se sentait nauséeux, tremblant, une sensation de « pour toujours », son côté définitif, lui infligeait des crises d’angoisse, alors, il partait , sans explications. (p.72)

Ces diverses accusations contre la mère masquent ce qui est stupéfiant dans l'histoire de Rimbaud. Ce n'est pas son prétendu silence. Mais sa parole. Et le fait que cette parole fut celle d'un homme "né dans la réalité rugueuse". D'un paysan ! Là réside l'éclatant miracle. Le génie naît où il veut. C'est comme si, bâillonnée à travers les siècles, impuissante à se formuler, explosait tout à coup, en un seul être, la parole enragée des Cuif, à l'image de certains peuples qui, soumis des siècles durant, se rebellent soudain et crient leur désir d'un destin différent. Arthur Rimbaud désirait d'autres conditions spirituelles de vie. Lorsqu'il a constaté l'échec de la littérature, il a cherché ailleurs et autrement "la vraie vie" ( p.74)

Frédéric [Rimbaud], plus instruit que sa femme, citait des auteurs, attirait l'attention de Vitalie sur un traité scientifique. Celle-ci éblouie, contemplait plus volontiers les images d'Epinal et les journaux illustrés. Le père Cuif les voyait rentrer les joues en feu, les yeux brillants d'excitation. Le bonheur embellissait les visages, rendait les hommes bons. (p.40)