Citations de Françoise Lalande (44)
« Toujours, c’est de son odeur dont nous nous souviendrons, ce jour-là, le 7 avril 1920, nous avons dit ce n’est pas normal, nous trouvions tous qu’il sentait mauvais quand nous le croisions sur la route, des effluves douçeâtres annonçaient son arrivée, des fumets singuliers flottaient longtemps après son passage, mais ce n’était pas important, nous-mêmes nous ne fleurions pas tous la rose, c’est sûr, mais vraiment depuis quelques jours, on ne l’avait plus aperçu, sa maison commençait à trop fleurer le bouc, alors nous avons dit ce n’est pas normal, et nous en avons parlé au maire, comme si une inquiétude nouvelle nous rongeait, nous les habitants de Pourrières, le maire lui-même s’est montré préoccupé, une odeur comme celle-là, ce n’était plus de l’ordre de l’étable aux brebis, il y avait une nuance humaine dans cette odeur putride, c’était gênant, moins pour le nez que pour l’âme, vous comprenez ce que je veux dire ? » (p. 9)
... il marchait [...] d'un pas rapide, pressé d'atteindre ce qui n'existait pas, mais auquel il croyait...
Partir.
Là-bas.
Était-ce fuir ? Ou, pour être moins romantique, était-ce s'éloigner de ce qui vous ressemble à tel point qu'on vit sans étonnement ? On connaît la musique, plus aucune découverte, on marche, mais on n'avance plus ?
Nouveau, si détaché de la sotte gloire d'homme de lettres, ressassait malgré lui les instants de vie où il s'était senti comme un bateau rejeté par l'océan, l'impression qu'on ne voulait pas de lui ou qu'il n' y avait pas de place pour lui nulle part sur la terre, quelque chose de trop grand en lui qui repoussait les autres et l'isolait, certains jours (...) (p.29)
Du bonheur qui vient de ce qui est beau, tout simplement.
Fonder une nouvelle famille , c'était merveilleux et terrifiant ! , son vieil égoïsme savait ce que représentait la naissance d'un enfant , les inquiétudes devant les faiblesse d'un bébé , les années difficiles avec un adolescent en crise.
(...) tout cela m'avait mis dans une tension extrême que je payais à mon grand étonnement, c'est-à-dire que je ne savais pas à quel point j'étais imbibé de solitude, j'ignorais à quel point elle m'avait modelé le corps, je découvrais une nouvelle information pour ce qui me concernait, à savoir que chaque rencontre m'obligeait à m'extirper de cette gangue de silence intérieur qui me protégeait des autres et de leurs aimables bavardages, j'avais faim de silence comme de pain, en cela, Germain et moi, étions des jumeaux de solitude (...) (p.51)
Il n'avait pas trouvé la paix , sans doute pour l'avoir peu cherchée , longtemps il avait plongé dans les tourments amoureux et les affres des découvertes blessantes , la douleur lui donnait l'impression d'être vivant , et il méprisait le bonheur calme des hommes sans histoire , lui -même était l'héritier d'une famille qui avait traversé le XX i siècle du côté des révolutions , des émigrations dangereuses , des mariages peu heureux , parmi les audacieux de sa famille , il avait élu comme modèle un ancêtre originaire d'Odessa , qui , avec d'autres épris de justice sociale avaient comploté contre le Tsar de toutes les Russies.
La chute du soleil comme une orange qu'un dieu a projetée dans les ténèbres de l'infini.
p141
Le travail de la terre, aussi pénible et ingrat qu'il fut ré enracinaient dans les réalités essentielles de la vie.
p100. Elles formaient avec la jeune Isabelle un clan féminin ou les passions et les désirs restèrent souterrains. Par contraste, Frédéric et Arthur apportèrent à la maison plus de tourments et plus de vie.
Lucien, Paul et moi avons été prudents, sommes restés au pays, mais était-ce là prudence qui nous retenait dans ce que nous connaissions bien, ou, moins gratifiant, était-ce la possibilité d'une paresse ?
... il semblait en certaines occasions détaché de son récit, racontant l'histoire d'un autre sur lequel les malheurs s'étaient abattus, les déceptions secrètes, les humiliations nombreuses, les amitiés et les amours éphémères, si bien que très tôt malchanceux, peut-être pour ne pas sombrer, il avait accueilli en lui une colère qui l'avait isolé chaque jour davantage du monde, parce que si elle le maintenait bien vivant, elle l'avait aussi très vite dressé contre ce monde si peu gratifiant, et sa colère contre le monde, il l'avait avalée comme un venin, désormais porteur de ce qui le consumerait jusqu'au bout...
La découverte sera d'abord une découverte de soi, il n'y a pas de bénéfice plus grand au voyage qui forme et instruit, on croit partir à la découverte de l'autre et on s'aperçoit très vite que la grande découverte, ce sera soi, le jumeau sombre ou le jumeau de lumière, on peut passer toute une vie à ignorer cela, mais eux, les nomades splendides, savaient, oui, ils savaient que le chemin conduit l'homme, et non l'inverse. (p.96-97)
La découverte sera d'abord une découverte de soi, il n'y a pas de bénéfice plus grand au voyage qui forme et instruit, on croit partir à la découverte de l'autre et on s'aperçoit très vite que la grande découverte, ce sera soi, le jumeau sombre ou le jumeau de lumière, on peut passer toute une vie à ignorer cela, mais eux, les nomades splendides, savaient, oui, ils savaient que le chemin conduit l'homme, et non l'inverse. (p.96-97)
Mon ami refusait la respectabilité même dans la mort, surtout dans la mort où on trahit volontiers ce que fut la réalité humaine du défunt, soudain proclamé chérubin en sucre alors que de son vivant on n'en pensait pas moins, Nouveau avait une idée différente de la destinée, il n'avait jamais recherché la richesse et même la gloire, son dénuement en attestait, il s'était dépouillé de ce qui entrave la vie spirituelle, peut-être avait-il commencé à s'alléger la vie après son retour de Londres et le mystérieux échec de son amitié avec Rimbaud. (p.58-59)
La plupart d'entre nous nous étions des instituteurs de la République, comme Verlaine, Nouveau, leur ami Delahaye, moi, le retraité, et nombre de mes anciens élèves que j'aimais tant, des gagne petit, mais quel métier plus généreux que celui-là, lorsque nous enseignons à de fraîches caboches la puissance de la poésie, lorsque nous apprenons aux jeunes à ouvrir leur cerveau dormant, lorsque nous leur offrons le monde, quoi de plus précieux ? (p.55)
Peut-on affirmer que Germain était voué à l'échec dès le départ ? Ou appartenait-il à la catégorie des éternels malchanceux ?
Il y avait tant de passion en lui, quand jeune orphelin, ne trouvant pas son compte dans l'avenir qu'on lui préparait, une carrière d'instituteur à Aix, il avait décidé de partir, oui, quand on veut vivre large, il faut partir, se dépouiller de ce qui ne vous ressemble pas ou qui vous ressemble trop (...) (p. 30)
p182. La vieille femme était prisonnière d'une vie de sacrifice et de discipline.
p34. Vitalie découvrit que l'amour rendait égoïste. L’égoïsme à deux...Tous ceux qui s'aiment savourent ce luxe inouï. Pour un temps plus ou moins long.