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Critiques de Frank Harris (24)
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La bombe

En suivant mon attrait déjà bien installé pour les réalistes américains, j’ai lu Frank Harris aux éditions « La dernière goutte ».

Je ne connaissais pas cette maison, et je viens de parcourir leur site web. C’est un éditeur strasbourgeois qui prétend publier des textes au ton mordant. C’est sans doute vrai, mais leurs responsables doivent penser qu’il n’existe pas d’auteurs français répondant à ce critère, parce qu’ils ne publient que des étrangers. Par ailleurs, n’essayez pas de leur proposer vos textes si vous écrivez : comme presque tous les « petits », ils annoncent le bouclage de leur programme sur plusieurs années. Apparemment, ils ne découvrent rien, ils exhument des succès d’ailleurs. Charmant travail de fossoyeur inversé.

Je leur sais gré pourtant d’avoir publié Harris, attendu que cet écrivain relativement classique en Amérique n’est pas édité en France. Notre pays n’admet pas qu’il y ait des lecteurs instruits – et il y en a peut-être réellement très peu –, de sorte que même de grands textes ne sont plus tirés, parce qu’ils font peu recette. J’ai déjà eu l’occasion de dire mon étonnement là-dessus, par exemple au constat que des pièces fameuses d’Edmond Rostand comme L’Aiglon n’existaient plus. Il s’est donc mis à exister un marché d’éditeurs qui ne s’attellent qu’à fouiller du côté des auteurs relativement connus sans publication actuelle. Et évidemment, pour de telles structures sans grands moyens, il importe d’élire en particulier les auteurs défunts depuis plus de 70 ans, de façon à ne pas avoir à leur payer de droits. C’est à ce prix qu’on laisse crever les écrivains vivants de talent dans notre pays : ils attendront qu’on ait épuisé ceux qui ne peuvent plus rien réclamer, et quand ils seront morts à leur tour depuis un certain temps, processus que la famine où on les oblige favorise et accélère, on les publiera peut-être. La nécrophagie existe toujours chez nous tant qu’il y a du monde pour se nourrir sur des cadavres.

Harris est un journaliste d’origine irlandaise (on s’en moque, je sais bien, mais j’aime irrationnellement l’Irlande). Engagé socialiste, il relate dans La Bombe les événements réels qui eurent lieu en 1886 à Chicago lors de différentes grèves de travailleurs qui débouchèrent le 4 mai sur un attentat à la bombe ayant tué une dizaine de policiers. Le roman dépeint, du point de vue d’un immigré allemand nommé Rudolph, les injustices et la douleur de la société des ouvriers d’une manière évoquant Steinbeck ou Sinclair, ainsi que l’admiration indéfectible d’un homme pour le meneur de cette affaire, Louis Lingg, un idéaliste au charisme puissant et qui incitera le narrateur, par sa supériorité intellectuelle et humaine, à jeter l’explosif qu’il a conçu.

On ne s’en rend pas compte sans doute, mais il doit y avoir eu une audace extraordinaire, vingt ans après de telles violences, à remettre en cause les conclusions de l’enquête officielle et le verdict des juges, et à avancer ainsi l’hypothèse que non seulement le crime fut en quelque sorte justifié par les brutalités policières, mais aussi que le coupable ne figure pas du tout parmi ceux qui furent condamnés.

Le climat d’ensemble est tout d’indignation politique mêlée de sentimentalité virile – amour et amitié. Rudolph, en immigré instruit, lui-même journaliste, est témoin du traitement déplorable et de l’abus éhonté des travailleurs pauvres, de l’exclusion xénophobe dont ils souffrent à cause d’une société fondamentalement conservatrice, du climat partial de censure qui règne sur l’opinion publique américaine, et de la férocité et du manque de scrupule du capitalisme totalement dérégulé. Le pathos, ici, n’est pourtant pas excessif, à ce que j’ai lu ailleurs : c’est documenté, et cela correspond à nombre de témoignages hallucinants de la même époque ; en gros, on exploite les salariés jusqu’au dernier souffle et on les renvoie quand ils sont épuisés.

Et je crois, sans faire aucunement de la politique par exemple anti-quelque-chose, qu’il y a grande nécessité à se rappeler que le monde du travail fut ainsi, à une certaine époque. On ne se rend plus compte aujourd’hui de la précarité existentielle de cet univers des journaliers et du labeur industriel : pas de contrat, guère d’horaires, point de sécurité sociale, et une chaîne de responsables – collègues, contremaîtres, patron – dont dépend toute la vie. Tout ce qui, de nos jours, constitue un délit caractérisé et révoltant – harcèlement, retrait de salaire, atroces conditions de travail, exploitation et abandon – était le lot quasi quotidien d’une vaste partie de l’humanité. Le socialisme alors ne signifiait rien d’autre qu’une espérance à pouvoir vivre, et pas du tout le confort un peu flemmard et opportuniste qu’il peut vouloir dire à présent : c’est que toute l’échelle des maux était décalée de nombreux barreaux, de sorte que nos plaintes d’aujourd’hui scandaliseraient les travailleurs du XIXème, incapables même de s’assurer que leur existence passerait de longtemps l’hiver suivant.

Et l’on mesure ainsi l’évolution historique de nos sociétés, mettant en perspective nos grèves et leurs motifs avec celles d’il y a environ cent ans : qu’on songe qu’on venait tout juste d’obtenir, aux États-Unis en 1886, l’interdiction du travail avant treize ans ! Il ne s’agit pourtant pas de nous culpabiliser, et bien des combats restent nécessaires jusqu’à atteindre une société incessamment peaufinée et parfaite, mais enfin : que de chemin parcouru ! Au point que même nos mots semblent avoir radicalement changé de sens : socialisme, une lubie de nos jours, un idéal un peu mièvre, et parfois une bien-pensance exaspérante ! mais autrefois : une condition d’existence, non : une condition de survie ! un besoin absolu de révolte !

Évidemment, le style de Harris est un peu plat, et ses passages réflexifs manquent d’approfondissement : les quelques tirades retranscrites de Lingg paraissent assez faibles ou trop peu nombreuses, et les sentiments de Rudolph restent simples et peut-être stéréotypés. Ce livre éloquent gagnerait à plus de fond : même l’intrigue, linéaire, n’est pas subtile et ne sait – ne veut pas – surprendre ; pas de quoi susciter de l’ennui certes, et le récit n’est tout de même pas mal écrit, mais la soif de littérature s’en trouve un peu frustrée, et l’on parcourt des faits émaillés d’un peu d’émotion sans plonger au cœur de l’humain, de l’humain complexe et poétique. Un roman facile à lire donc, quoique sans « facilités » mais aux finesses si limitées qu’on ne peut l’estimer une grande œuvre : il m’arrivait même, par moments réguliers, de regretter l’achèvement trop rapide de certaines scènes, dénotant de la part de l’auteur quelque goût du factuel chronologique au détriment de développements vraiment intimes et profonds – car Rudolph, en dépit de ses révoltes et de ses engouements, n’est pas bâti comme un individu très élaboré. C’est peut-être délibéré, et il est possible que Harris ait choisi ce mode de narration pour exposer avec plus d’objectivité (illusoire ?) une situation à laquelle une sympathie étroite eût prouvé son adhésion aux terroristes et suscité un scandale plus grand, mais cette demi-mesure, alors, est aussi une lacune dans la peinture du monde qu’il s’est proposé d’analyser, et l’on n’y entre pas précisément comme dans un édifice qu’on pourrait longuement visiter et assimiler en détails. C’est digne d’intérêt tout de même, et le courage étant ce qui de tout temps manque le plus, on doit, je crois, féliciter Harris, et s’en servir un peu d’exemple pour relater en dépit de notre couardise et de notre peu de vision contemporaines, ce qui, dans notre société, compte le plus et fait le mieux le symbole de ce que nous sommes.
Lien : http://henrywar.canalblog.com
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La bombe

Roman terrible, qui raconte les conditions de vie et de travail des travailleurs immigrés à New York, puis Chicago, dans les années 1880. La lutte s'organise, et la réponse policière est aveugle et brutale. Tout cela finira par l'attentat à la bombe qui tuera 7 policiers. En représailles, les leaders seront pendus.

Toute cette histoire est vraie, la seule fiction est le personnage du narrateur, présenté comme le lanceur de la bombe .

Le roman a été publié en 1909, mais il vient seulement d'être traduit en français !



On ne peut que se ranger du côté des anarchistes et des socialistes, mais ce qui est déstabilisant, c'est qu'on en viendrait, comme eux, à considérer que la seule façon de faire avancer les choses, c'est de provoquer la terreur en lançant la bombe. Leurs buts, leurs idéaux, sont nobles, et la figure de Lingg est quasi christique, mais que faire de cette justification de la violence la plus brutale ?

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La bombe

Très bon livre qui nous permet de plonger au coeur des Etats-Unis de la fin du 19ème siècle. On y découvre la condition des ouvriers , les mouvements syndicaux et l'injustice que connaissent les immigrés.

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La bombe



Paru en anglais en 1909 (!) et traduit pour la première fois en 2015.

Chicago, fin XIXe s, Rudolph Schnaubelt, jeune homme venu dAllemgne avec le rêve de conquérir l'Amérique.

Il découvre la dureté de la vie ouvrière, le froid, la faim, mais aussi la solidarité entre les hommes et les femmes qui partagent un idéal social. Ainsi, en tant que journaliste et écrivain, il rejoint des groupes politiques qui le fascinent. Il devient bientôt l'un des leurs et passe à l'action.



Début un peu lent mais ensuite, après les 3 premiers chapitres, le recit trouve son rythme, comme le héros trouve sa place dans cette société.

Le récit est selon moi intéressant en tant que document historique et témoignage d'une époque, davantage comme objet politique et social que comme objet littéraire ( quoique le très beau dernier chapitre démente cette hiérarchie.)

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