Fréderic Brunnquell était grand reporter, il est désormais réalisateur de documentaires. Il est déjà l’auteur d’un récit de voyage publié chez Grasset Hommes des tempêtes, il se consacre ici, dans ce titre publié par Albin Michel, à la vie de personnes ou de familles, oubliées par la société, du travail, de la consommation. Pourtant, de vraies personnalités, qui tiennent les deux bouts avec une volonté qui force le respect. Comme il le dit : « Des gens de la petite classe moyenne devenus les personnages semi-imaginaires d’un livre« , là où la fiction finit de compléter les observations et souvenirs de Frédéric Brunnquell.
Ce recueil se compose de huit histoires, huit récits de vie-s d’individus différents, qui ne se connaissent pas, qui n’ont rien en commun si ce n’est une vie de contraintes, de labeurs, de solitude, de difficultés financières, écrasés par le rouleau compresseur d’une économie vacillante, d’un gouvernement aveugle aux difficultés des plus pauvres, de ceux qui ne vivent que de presque rien. Le naufrage des cuirassés présente Sylvie, vendeuse de presse, qui arrive à peine à se faire 500 € par mois et qui persiste à tenir boutique. Le deuxième récit est éponyme, Le bûcher des illusions, Francine et Lydie amies engagées dans le mouvement des gilets jaunes. Ensuite Magda, fille de chagrin, présente Magda, femme de marin, mère de deux grandes filles, qui attend son homme. Nous étions libres présente Marc qui s’évertue à trouver un job dans ses compétences pour quitter sa place de serveur. La jurisprudence des meringues montre Sidonie qui n’arrive plus à vivre de son travail de costumière et s’est réorientée dans le massage, bien malgré elle, cette mère de famille de trois ans, qui essaie de s’en sortir avec talent et débrouillardise. Matoub présente un couple dont l’homme, Seb, cède aux sirènes du populisme alors que sa femme se découvre des origines marocaines. CGT OK s’épanche sur Marion, coiffeuse à domicile, épouse de Antoine, cadre dans une enseigne de hard-discount, éreinté par les procédures humiliantes mises en place pour diriger les employés.
Un petit cercle de personnes avec des rêves pleins la tête, des personnes lambda, de classe moyenne, qui se mettent en quatre pour s’en sortir, et qui n’arrivent que très difficilement à boucler leurs fins de mois. Il y a ces couples où les hommes doivent partir loin pour assurer un revenu minimum au foyer, la femme est seule pour s’occuper ce qu’il reste justement du foyer, des femmes qui ont des idéaux, assurer une mission de service public, un combat des gilets jaunes, ou un des hommes qui essaient de reprendre confiance. Des femmes et des hommes qui recherchent toutes les solutions possibles pour sortir la tête de l’eau, ce n’est pas faute de volonté, de travail et de détermination. Des personnes essentielles à la bonne marche de la société, marin, serveur, commerçante, infirmière, maraîcher, cadre, qui pourtant étouffent sous la lourdeur d’un système qui ne donne à ces travailleuses et travailleurs qu’un salaire minimum en contrepartie d’une charge de travail et une pression toujours plus lourdes.
J’ai beaucoup aimé l’œil du journaliste, la plume de l’écrivain, le respect de l’homme pour la vie des personnes qu’il décrit : il met le doigt exactement là où cela fait mal, dans un monde où l’on accuse les gens de ne pas travailler, et de manquer d’effort alors qu’ils se donnent corps et âme, qu’ils se montrent courageux, volontaires et inventifs, assez résilients pour surmonter les difficultés qui se dressent devant eux. Frédéric Brunnquell parle de toutes ces Françaises et Français avec tendresse, toujours avec un grand respect pour souligner la dignité qui est la leur et dont ils ne se départissent jamais, et avec précision. Car il y a toujours le détail, ces anecdotes, qui donnent vie à ces hommes et femmes, et n’en font pas seulement des personnages de papier caricaturaux.
Le titre choisi pour ce recueil est de circonstance : le constat est violent. L’œil extérieur de l’auteur montre, sans jamais le dire, les illusions perdues de ces travailleuses et travailleurs, leur compagne et compagnon respectif, dont l’investissement personnel, professionnel et social ne sera jamais à la hauteur du résultat qui en découle. Le deuxième récit, celui qui met en scène un rassemblement de gilets jaunes, est particulièrement révélateur : de notre distance de lecteur, la tête farcie de l’actualité économique qui est la nôtre, on ressent l’inanité de l’action des deux femmes, d’une croyance trop forte en des idéaux illusoires et qui, comme on a pu le constater, s’avéreront vains. La violence de ces existences est incarnée par cet incendie volontaire qui clôt le deuxième récit, un feu destructeur symbole de la perte des illusions. Il y a le récit qui évoque également le populisme qui va croissant avec les difficultés financières que connaissent les Français, Matoub, évoquant avec ironie cette croyance en une supériorité nationale.
Encore un titre qui a fait les frais de la forte production des rentrées littéraires, pourtant, c’est une folie façon d’attirer l’attention sur un état de fait qui n’intéresse plus personne là-haut, au gouvernement, dont les sous-fifres sont toujours là pour nous marteler la valeur travail, alors même qu’une grande partie des Français aujourd’hui n’a plus les moyens de se payer un chou-fleur à 5 € (prix constaté par moi-même au supermarché le plus proche). Ces textes rendent un très bel hommage à toutes ces vies qui apportent à la société plus qu’elles ne reçoivent, contrairement à notre élite décomplexée, qui ne se refuse jamais le bon homard que le contribuable finance à ses dépens. Enfin, j’aimerais citer Frédéric Brunnquell et cette jolie phrase qu’il a eue dans son introduction : » Je ne crois pas au banal de la vie, il n’est qu’un voile opaque derrière lequel se nichent des trésors de narration« .
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