Il y a des semaines ma bibliothèque s’est écroulée et dans la pile de livres par terre, j’ai déniché ce chef d’oeuvre, que j’ai toujours repoussé pour plus tard, tellement je redoutais la plume énigmatique et inaccessible de Gabriel García Márquez.
En effet, les pages qui s’ouvraient sur un suicide m’étaient des plus dures à lire, non pour la brutalité de la mort, mais parce que je n’arrivais pas à m’imprégner de l’ambiance et c’est difficilement que j’accrochais vers la 34ème page. L’auteur défiant avec son œil omniscient et omniprésent l’assiduité, rendait ma concentration sans objet. Cependant, une fois moulée dans le récit, la fertilité de l’imagination et la parfaite maitrise de la chronologie des faits, avec de multiples allées et venues entre le passé et le présent, la jeunesse et la vieillesse, suffisaient pour me séduire que les fois où je pensai ne pas l’avoir sur moi je fus saisie de frayeur.
Le titre prend tout son sens : C’est un roman subtil d’amour depuis les feux de l’adolescence jusqu’à la mature vieillesse et dont les symptômes se confondaient avec le choléra qui s’abattait sur cette ville de côte caribéenne de Colombie, ravagée également par les crises et les guerres civiles. C’est dans ce cataclysme de la fin du XIXème siècle que deux adolescents se promettent de façon indirecte via l’épistolaire l’amour éternel, quand Fermina Daza, de retour de son exil d’oubli forcé se rend compte que ce n’est pas Florentino Ariza, son fiancé pendant plus de deux ans, qu’elle souhaiterait avoir comme époux. La rupture est catégorique et pendant plus d’un demi-siècle, faisant un mariage heureux aux yeux de la société, elle ruminait malgré tout sa culpabilité envers cet homme qui choisit, une fois le choc passé, de se faire un nom, une réputation pour pouvoir lui faire la cour et regagner son cœur quand la mort emportera son époux. Car, pour lui, l’honorable docteur Juvenal Urbino, qui a eu un rôle majeur à contenir l’épidémie, devait mourir pour qu’il soit heureux, devrait-il attendre cinquante ans, neuf mois et quatre jours, en multipliant les conquêtes concupiscentes pour se soulager des douleurs de la passion.
En s’engageant avec délicatesse et lyrisme dans une narration originale, la plume ingénieuse de GGM prenait soin de peser au trébuchet les chemins de la vie, les hasards, les infidélités, les frivolités passagères, les querelles, les habitudes de chacun pendant de cinquante années, et les envoyer après fine description dans l’oubli de la mémoire comme l’aurait fait des années avant lui Honoré de Balzac qui excellait lui aussi dans l’art des portraits.
Je me demandais sur l’utilité d’évoquer encore et encore dans plusieurs chapitres des détails sur la vie conjugale et finalement j’ai eu l’impression que plus qu’un roman passionnel, L’Amour aux temps du choléra paru en 1985, sans dialogues et avec un réalisme exagéré, pourrait bien être un traité sur le mariage.
Du livre à l’écran ce n’était pas du tout la même magie. C’était encore une fois une interprétation boiteuse d’une si charmante œuvre littéraire, à part le regard jaune et froid seyant parfaitement au visage de Javier Bardem dans le rôle du fiancé trahi.
Comme je reçois de chaque lecture une empreinte singulière, celle-ci avait une seule forme : la façon avec laquelle je voudrais écrire moi-même mon roman, même si les dernières pages venaient au moment où je lis ailleurs que pour donner un coup jeune et vif à la chair de son récit, des coupures judicieuses sont plus que bienvenues : Gabriel García Márquez avait pourtant le talent de mettre plusieurs idées à la fois dans une seule et unique phrase sans probablement que de critiques professionnels puissent le lui reprocher.
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