- Tu n'es pas seul.
Il a hoché la tête de haut en bas.
- Non, tu n'es pas seul.
- Si.
- Tu m'as, moi.
Il a eu un petit rire triste, avant de répondre :
- Jackie, j'ai toute une vie d'avance sur toi.
« – Je n’arrive pas à voir Jupiter. La lune brille trop. Je ne sais pas où elle est.
– Elle est à sa place, ai-je répondu.
– Non.
Il s’est enveloppé de ses bras pour se réchauffer. Quand il s’est enfin retourné, j’ai vu un panache de buée s’échapper de ses lèvres dans le clair de lune.
– Je la trouverai, a-t-il dit. Je ne veux pas rester seul.
– Tu n’es pas seul.
Vous vous souvenez quand je vous ai dit que, quand tout va assez bien, cela signifie en général qu'un truc nul va arriver ?
- Les anges ne sont peut-être pas toujours là pour empêcher les drames.
- Dans ce cas-là, je ne vois pas à quoi ils servent.
- A être à nos côtés quand surviennent des drames.
- Ah bon ? Qu'est-ce qu'ils foutaient, alors ?
- C’est un paquet pour Miss Charlotte. Dites-lui qu’on ne peut que se réjouir de l’éclectisme des épiceries américaines en dépit de leur parcimonie quant à leur sélection de produits alimentaires ayant vu la lumière du soleil.
- Elle ne va pas comprendre le mot « éclectisme ».
- « Hétéroclisme » alors.
- Pareil.
Le type a soupiré.
- Le contenu parle de lui-même.
-Je me demande parfois si tu mérites même qu'on essaie de te protéger. Il y a en ce moment une guerre au Vietnam, Holling. T'as remarqué? Une guerre. Deux cents soldats meurent chaque semaine. Ils rentrent chez eux, dans des sacs noirs en plastique, qu'on entasse dans des avions. une fois qu'ils sont enterrés, leurs familles récupèrent un drapeau américain flambant neuf, plié de façon très chic, c'est tout.
Elle s'est interrompue.
- Et je ne supporterai pas que....
( p 161)
Vous savez, quand on pleure, quelque chose reste dans l'air. Ce n'est pas quelque chose qu'on peut voir, ou humer, ou sentir. Ou dessiner. Mais c'est là. C'est comme le hurlement du goéland marin, qui crie dans l'espace vide et immaculé qui l'entoure. Vous ne pouvez pas l'entendre quand vous regarder la peinture. Mais cela ne veut pas dire que cela n'existe pas.
Si ça n’avait pas été le jour de la rentrée, si ma mère n’avait pas passé la nuit à sangloter, si la pompe à injection de la Jeep avait fonctionné comme une pompe à injection de Jeep est censée fonctionner, s’il n’y avait pas eu une pluie diluvienne digne d’un orage tropical australien – et je sais de quoi je parle, car j’en ai vu un de près – et si le tout dernier litre de lait demi-écrémé n’avait pas complètement tourné, eh bien, ma mère n’aurait sans doute pas laissé le Majordome franchir le seuil de la maison.
- Et là –bam ! – Joseph a fait un bon incroyable, comme si quelque chose avait explosé à côté de lui. Son seau s’est renversé pour la seconde fois, le tabouret a valsé et Rosie a mugi de peur. Joseph était collé au mur de l’étable, les mains en l’air. Et lui, qui ne regardait jamais personne, il nous fixait à présent en haletant très fort, comme s’il manquait d’air.
Alors elle l'avait emmené à la bibliothèque pour chercher ce livre avec lui.
Vous savez comment sont les profs. S'ils réussissent à vous faire emprunter un livre qu'ils aiment aussi, ils ne vous lâchent plus.
( p 195)