Rencontre avec... Geoffrey CLAUSTRIAUX
Le vent s'engouffre dans les vitraux brisés, produisant un hululement funeste qui n'est pas sans rappeler les plaintes déchirantes des disparus qu'il nous arrive d'entendre au coeur de la tempête.
La forêt était silencieuse. Pas le moindre bruit d’insecte. Pas de vent entre les branches. Le seul son était celui des pas de Martin, alors qu’il avançait avec précaution à travers les ronces, incertain de la route à emprunter. Pourtant, il sentait qu’il avançait dans la bonne direction. Il se sentait attiré ; magnétisé, presque, comme l’aiguille d’une boussole. Il plongeait de plus en plus profondément dans le pays de Sous-les-draps : un endroit étouffant, suffocant, un lieu où la plupart des gens pouvaient à peine respirer.
Mais souviens-toi de ce que je t’ai dit. Une fois que vous les trouverez, ils vous suivront. C’est ce qui arrive quand on cherche les choses les plus sombres.
Il ne savait pas s’il croyait, ou non, à cette histoire de Sous-les-draps. Il ne savait pas davantage s’il croyait au pays des idées. Il se sentait comme enfermé dans un rêve - mais d’autre part, dormait-il ? Le lit était réel, les oreillers étaient réels et il pouvait voir ses vêtements de spéléo accrochés au dos de la chaise.
Mais soudain, très loin, là où la mer se confondait avec le ciel, il aperçut un petit bateau de pêche en approche du rivage, et un homme qui posait le pied sur la plage. Le bateau de pêche avait une voile triangulaire couleur rouille et il semblait tout droit sorti d’une vieille aquarelle marine. Martin s’avança, en direction de l’embarcation, puis réalisant la distance qui le séparait du pêcheur, il commença à courir. Sa veste imperméable faisait un bruit d’enfer et ses bottes laissaient de profondes empreintes dans le sol meuble. Les mouettes ne le lâchaient pas d’une aile, elles continuaient à tourner en rond, juste au-dessus de lui.
À d’autres moments, il était capitaine de sous-marin, piégé à cent pieds sous la surface de l’océan. Il devait parcourir d’étroits passages obscurs pour ouvrir les ballasts défectueux, noyés sous les trombes d’eau, et ramper dans les tubes lance-torpilles, afin de s’échapper. Il retrouvait la surface, dans l’air frais de sa chambre à coucher, le souffle court. Il repartait alors vers les profondeurs du lit, où les draps et les couvertures étaient solidement glissés sous le matelas. Il se muait en mineur, se faufilant à travers la plus étroite des fissures, avec des millions de tonnes de roches carbonifères au-dessus de la tête.
Il n’y a pas grand-chose à expliquer. Il y a un autre monde, sous les couvertures. Certaines personnes peuvent y accéder. D’autres en sont incapables. Je suppose que cela dépend de leur imagination. Ma fille Leonora a toujours eu de l’imagination. Elle avait l’habitude de se cacher sous les couvertures et de prétendre qu’elle était une exploratrice des cavernes au temps de la préhistoire. Ou une Indienne des plaines d’Amérique, réfugiée sous sa tente. Mais il y a un mois, elle a prétendu avoir découvert cet autre monde, tout au fond de son lit. Elle pouvait le voir, mais elle ne pouvait pas l’atteindre.
La solitude me frappe avec une puissance que je ne lui connaissais pas.
Martin leva la tête et aspira une longue bouffée, profitant de l’air frais de sa chambre. Puis il plongea vers la première crevasse, qui le mènerait tout droit vers les grottes. Le plafond de roche était dangereusement bas et il dut ramper comme un commando, appuyé sur les coudes. Il déchira la manche de sa veste imperméable sur une saillie rocheuse et s’entailla la joue mais, héroïque, il chassa simplement les gouttelettes de sang d’un revers de main, avant de reprendre sa progression.
Il se trouvait dans une forêt et il n’y avait pas de lune, mais les alentours étaient faiblement éclairés par une étrange phosphorescence. Il imagina que des extra-terrestres avaient pu se poser, derrière les rangées d’arbres. Un vaste vaisseau spatial rempli de chambres étroites, étriquées où un mécanicien spatial pouvait se perdre pendant des mois, glissant son bassin le long de cloisons anguleuses et dans des tunnels de service encombrés jusqu’à l’impossible.