Avec Dara Barnat, Norman Finkelstein, Stephen Fredman, Andrea Inglese, Jena Osman, Ariel Reznikoff, Sarug Sarano, Carlos Soto Roman, Mark Scroggins & Frank Smith
Rencontre animée par Xavier Kalck, Fiona McMahon & Naomi Toth
J'aime cette promenade secrète
dans le brouillard ;
ni vu ni entendu,
au milieu des buissons
couverts de gouttes ;
le sentier solide et invisible
à cinq ou six mètres
et seul l'étroit présent est vivant.
Charles Reznikoff, Going To and Fro and Walking Up and Down, Futuro Press, 1941 Inscriptions: 1944-1956, 1959.
Charles Reznikoff (1894-1976), poète américain considéré comme l'une des figures du mouvement « objectiviste », avec George Oppen, Lorine Niedecker, Carl Rakosi et Louis Zukofsky, est resté largement inconnu de son vivant, mais son héritage est revendiqué aujourd'hui par nombre de poètes dans la poésie expérimentale contemporaine. Pour la Maison de la Poésie, nous nous réunissons autant pour lire Reznikoff que pour faire entendre les résonances que son oeuvre continue à produire aussi bien dans l'aire anglophone que francophone et hispanophone.
En savoir plus colloque international, « Charles Reznikoff : Inscriptions (1894-1976) », Université Paris Nanterre,du 1er au 3 juin 2023.
« Nos rencontres ont été si brèves
qu'il vaudrait mieux les appeler séparations,
et de toutes nos paroles
je me souviens surtout des au revoir »
La Jérusalem d'or, Charles Reznikoff
À lire Charles Reznikoff, Inscriptions, précédé de Ça et là, trad. de l'anglais (États-Unis) par Thierry Gillyboeuf, éd. Nous, 2018.
Publications en anglais : Going To and Fro and Walking Up and Down, 1941 Inscriptions : 1944-1956, 1959.
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Il y a des choses
Parmi lesquelles nous vivons et les regarder
Equivaut à nous connaître.
VII
Curieux comme les gens les plus jeunes que je connaisse
Telle Mary-Anne vivent dans les plus vieux immeubles
Disséminés dans la ville
Dans les chambres noires
Du passé – et les immigrants,
Les sombres
Immeubles rectangulaires
Des immigrants
Ce sont les enfants de la classe moyenne.
« De purs produits de l’Amérique – »
Envahissent
Les vieux immeubles
Se bousculent
Dans le demi-oubli, ce commerce pesant,
Cette muraille de Chine.
/Traduit de l’américain par Pierre Alféri
LE PETIT TROU
Le petit trou au fond de l’œil
Comme l’appelait Williams, le petit trou
Nous a laissés nus face
Au monde
Et ne se refermera pas ?
Le monde y jette
Un regard vide
Et nous composons
Des couleurs
La sensation
Du foyer
Et certains à l’intérieur
Sont si violents
Et si seuls
Qu’ils ne trouvent pas le repos.
Nous menons nos vies réelles
en rêve, disait quelqu'un signifiant par là
puisqu'il était éveillé
que nous sommes cloîtrés en nous-mêmes
Ce n'est pas de cela qu'il rêvait
dans chaque rêve
Il rêvait l'étrange matin
d'un oiseau qui s'éveille
Une femme, disait Diane
Une femme, disait Diane, parlant avec sagesse
Laissera le bateau dériver
Au soleil sous la brise
Laissera le bateau dériver
Un homme saisira une rame.
Peut-être le fera-t-il
N'importe quel gourdin fera l'affaire
Pour abattre le père
/ traduit de l'anglais (américain) par Yves di Manno
C'était donc de la porcelaine
Fine et lisse et au motif délicat, aux traits méticuleux.
Et nous songerons aux thés, à une mode indécise ;
Une feuille, saisie haletante dans l'air ;
Nous songerons donc à elle,
Aux fines nervures délicatement tracées dans l'air,
Et aux murs déclinant avec grâce jusqu'aux haies.
Nous songerons à elle, aux thés et au rire de porcelaine,
Comme une chose infime aux bords très fins,
Pour le repos, peut-être,
Etrange, mais suspendue dans une dignité de porcelaine
Elle tombera, tombera
Une minuscule, pitoyable poignée
De poussière vaguement teintée de rose.
Survie : infanterie
Et le monde changea.
Il y avait des arbres et des gens,
Des trottoirs et des routes
Il y avait des poissons dans la mer.
D’où venaient tous ces rochers ?
et l’odeur des explosifs
Le fer planté dans la boue
Nous rampions en tout sens sur le sol sans apercevoir la terre
Nous avions honte de notre vie amputée et de notre misère :
nous voyons bien que tout était mort.
Et les lettres arrivaient. Les gens s’adressaient à nous, à travers nos vies
Nous laissaient pantelants. Et en larmes
Dans la boue immuable de ce terrible sol
Dans Les Matériaux (1962), page 97
Populiste
Je me rêvais de leur peuple, je suis de leur peuple,
je croyais qu'ils me regardaient que je les regardais
qu'ils
regardaient le soleil et les nuages car les villes
ne sont plus miennes image images
de l'existence (ou chant
de moi ?) et le routes car la lumière
dans le rétroviseur n'est pas
la mort mais la lumière
des autres vies alors que si je trébuche sur un rocher je parle
de rocher si je dois dire quelque chose quoi que ce soit
si je dois dire de moi splendeur
des routes secret
de chemins pour un mot comme une
sphère de verre enferme
le mot s'ouvrant
et s'ouvrant
moi-même et je suis malade
un instant
avec peur laissons
parler les enfants magiques nous qui avons apporté de l'acier
et de la pierre encore
et encore
dans les villes dans ce mot la parole aveugle
doit parler
et parler le discours des enfants magiques
conduisant
vers le nord le nord populiste
lentement au lever du soleil le clapotis
des
eaux peu profondes langues
de les criques brillent
comme de la fourrure dans les marées basses tout ce que
l'enfance enviait les sons
de l'océan
sur les plaines les poèmes les jetées
les structures téméraires et les vies les vies ingénieuses
les vents soufflent
des pâturages les clôtures
errantes des ranchs les
jeunes ouvriers
la solitude sur les structures a touché
et touché les outils lourds outils
dans nos mains dans le
pays bruyant lumière de naissance
lumière sauvage
du paysage
page magique la magie les
enfants parlent
Il est impossible de se tromper sans le savoir, impossible d’ignorer qu’on vient de gâcher quelque chose. Les mots non mérités sont, dans un tel contexte, tout bonnement ridicules…
Telle conscience que l’on peut avoir de l’univers, telle préoccupation de l’existence – nul mot ne les exprimait encore. Et le poème n’est PAS fait de mots, on ne peut pas fabriquer un poème en y accumulant des mots, c’est le poème qui fabrique les mots et contient leur sens… Quand un homme a peur d’un mot, il peut avoir commencé…
D’ETRE EN MULTITUDE (1968)
(traduction Yves di Manno)
(Of Being Numerous)
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Difficile à présent de parler poésie ----
concernant ceux qui ont admis l’étendue du choix ou ceux qui ont vécu la vie à laquelle leur naissance les destinait ---. Ce n’est pas véritablement une affaire de profondeur, mais d’un autre ordre d’expérience. On doit pouvoir dire ce qui se passe dans une vie, quels choix se sont offerts, ce que représente le monde à nos yeux, ce qui advient en temps voulu, quelle pensée imprègne le cours d’une vie et par conséquent ce qu’est l’art, et l’isolement des choses concrètes
Je voudrais parler des pièces et de leurs perspectives, des sous-sols et des murs grossiers portant encore la marque du coffrage, les vieilles traces du bois dans le béton, toute la solitude que nous savons ---
et des sols balayés. Quelqu’un, un ouvrier supportant, éprouvant cette dénomination précise comme une paternité honteuse a balayé ce sol solitaire, ce sol profondément caché --- toute la solitude que nous savons.
Il ne faut pas croire que l’on ait tant de fils à sa disposition,
Et c’est parfois l’unicité qu’il faut voir ;
Là est le niveau de l’art
Il existe d’autres niveaux
Mais pas d’autre niveau pour l’art