VII
Curieux comme les gens les plus jeunes que je connaisse
Telle Mary-Anne vivent dans les plus vieux immeubles
Disséminés dans la ville
Dans les chambres noires
Du passé – et les immigrants,
Les sombres
Immeubles rectangulaires
Des immigrants
Ce sont les enfants de la classe moyenne.
« De purs produits de l’Amérique – »
Envahissent
Les vieux immeubles
Se bousculent
Dans le demi-oubli, ce commerce pesant,
Cette muraille de Chine.
/Traduit de l’américain par Pierre Alféri
II
Qui ne peut commencer
Par le commencement aura la chance
De trouver tout déjà en place. Il est client,
Arbitre et juge... Et la violence, ici
Est sans issue, un cul-de-sac.
Ils relancent
Le débat pour parler, ils deviennent
irréels, irréels, la vie perd
sa consistance, son poids, leur jeu : le baseball
car le baseball n’est pas un jeu
mais un débat et les avis contradictoires
font les courses de chevaux. Ce sont les spectres qui menacent
Votre âme. Quelque chose bouge
Dans l’air
Qui a des relents d’écurie ils pourront voir la fin
D’une ère
Premier entre les peuples
Et vous pouvez dignement prendre
Vos distances
Si vous y parvenez
/Traduit de l’américain par Pierre Alféri
III
Même à présent je ne parviens
Pas à me détacher vraiment
De ces hommes
Près de qui j’ai vécu dans des camps, sous des tentes
Dans des hôpitaux, des hangars et, caché, dans les bas-côtés
De routes défoncées dans le paysage détruit,
Parmi eux nombre d’hommes
Plus capables que moi –
Moykut et un sergent
Nomme Healy
Ce lieutenant aussi –
Comment l’oublier ?
Comment dire
« Le peuple » d’un ton dégagé ?
Qui est le peuple ? qu’il est
Cette force entre les murs
Des villes
Où les voitures
Des ouvriers
Et des patrons
Résonnent comme l’histoire
Le long des avenues murées
Ou l’on ne peut parler.
/Traduit de l’américain par Pierre Alféri
IV
Possible
D’employer
Des mots à condition de les traiter
En ennemis.
Non des ennemis – des Spectres
Devenus fous
Dans le métro
Et bien sûr les bureaux
Et les banques. Si je les capture
Un par un en procédant
Avec soin ils recouvreront
Je l’espère la raison
Et le sens.
/Traduit de l’américain par Pierre Alféri
V
Acte qui est
Violence.
Et nul ne s’accommode d’un avenir
De déplacements rapides avec bruit décroissant
Moins de cahots
Moins d’engagement. Ils attendent
La guerre, et les nouvelles disent : Guerre
Comme toujours
Que la sève coule en eux
Et la sève stagne.
De grandes choses arrivèrent
Sur la terre, lui offrant une histoire, les armées
Et les hordes en haillons déferlant, les passions
De cette mort
Mais qui trompe
La mort ?
Qu’il y ait ou non la guerre, qu’il ait
On non son opinion, et non seulement les guerriers,
Non seulement les héros
Non seulement les victimes, et ils ont peut-être vu la fin
De tout cela, et si tel est le cas
Peut-être ont-ils vu la fin.
/Traduit de l’américain par Pierre Alféri
Avec Dara Barnat, Norman Finkelstein, Stephen Fredman, Andrea Inglese, Jena Osman, Ariel Reznikoff, Sarug Sarano, Carlos Soto Roman, Mark Scroggins & Frank Smith
Rencontre animée par Xavier Kalck, Fiona McMahon & Naomi Toth
J'aime cette promenade secrète
dans le brouillard ;
ni vu ni entendu,
au milieu des buissons
couverts de gouttes ;
le sentier solide et invisible
à cinq ou six mètres —
et seul l'étroit présent est vivant.
Charles Reznikoff, Going To and Fro and Walking Up and Down, Futuro Press, 1941 – Inscriptions: 1944-1956, 1959.
Charles Reznikoff (1894-1976), poète américain considéré comme l'une des figures du mouvement « objectiviste », avec George Oppen, Lorine Niedecker, Carl Rakosi et Louis Zukofsky, est resté largement inconnu de son vivant, mais son héritage est revendiqué aujourd'hui par nombre de poètes dans la poésie expérimentale contemporaine. Pour la Maison de la Poésie, nous nous réunissons autant pour lire Reznikoff que pour faire entendre les résonances que son oeuvre continue à produire aussi bien dans l'aire anglophone que francophone et hispanophone.
En savoir plus – colloque international, « Charles Reznikoff : Inscriptions (1894-1976) », Université Paris Nanterre,du 1er au 3 juin 2023.
« Nos rencontres ont été si brèves
qu'il vaudrait mieux les appeler séparations,
et de toutes nos paroles
je me souviens surtout des “au revoir” »
La Jérusalem d'or, Charles Reznikoff
À lire – Charles Reznikoff, Inscriptions, précédé de Ça et là, trad. de l'anglais (États-Unis) par Thierry Gillyboeuf, éd. Nous, 2018.
Publications en anglais : Going To and Fro and Walking Up and Down, 1941 – Inscriptions : 1944-1956, 1959.
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