Quelque chose a dû persister d'une très vieille - mieux vaudrait dire enfantine - peur de tomber. Mais aussi d'une certaine propension à la honte, en sorte que regarder en face me fut longtemps aussi difficile - le sentiment qu'il y fallait un véritable courage - que nécessaire. Il en est résulté, comme naturellement, un ensemble de gestes imperceptibles destinés à concentrer, plutôt qu'à diffuser, mon champ visuel. Alors j'ai pris le pli de transformer cette générale timidité devant les choses, cette envie de fuir ou de demeurer dans une perpétuelle attention flottante, en observation de tout ce qui est en bas : les premières choses à voir, les choses que l'on a "sous le nez", les choses terre à terre. Comme si se pencher pour voir m'aidait un peu mieux à penser ce que je vois.
Quelle conséquence de cette lumière pour mon œil qui cherchait ? Quelle conséquence pour mon œil qui, ne cherchant plus, fixa le sol ou se leva vers la lointaine cime des arbres ?
C'est tout autre chose à Birkenau. Ici les murs n'existent presque plus. Mais l'échelle ne ment pas et vous atteint avec une force - une force de désolation, de terreur - inouïe. Le sol aussi ne ment pas. Auschwitz, aujourd'hui tend vers le musée, quand Birkenau ne demeure guère plus qu'un site archéologique.