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Citations de Georges Hyvernaud (99)


Georges Hyvernaud
Personne ne peut souffrir personne. On a parfois l'air de s'entendre. On rigole des mêmes obscénités. On se montre des photos de gosses. On joue aux cartes. Mais il circule là-dessous une haine patiente, attentive, subtile, méticuleuse. Une âcre méchanceté de bureaucrate ou de vieille dame. De jour en jour on aiguise, on recuit, on perfectionne ses griefs et ses répulsions. C'est forcé. C'est à cause de cette misère à odeur de latrines où l'on est barattés tous ensemble, crève-la-faim et crève-l'ennui. On en veut aux autres d'être toujours là. On leur en veut des gueules qu'ils ont, de leurs voix, de leurs goûts et de leurs dégoûts, de la place qu'ils tiennent, de dire ce qu'ils disent, de chanter ce qu'ils chantent, de Nietzsche, de la p'tite Amélie, de renifler, de roter, d'exister. On leur en veut de cette existence immuable, inévitable, où se déchire notre existence. Et à tout moment les antipathies crèvent en disputes extravagantes. On ne sait même pas pourquoi.

(« La peau et les os », 1949, Éditions du Scorpion)
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il y avait un monument aux morts de 70 : un soldat s'affaissant noblement pour mourir, dans la grande tradition de la Comédie-Française.

P.110
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Personne ne peut souffrir personne. On a parfois l'air de s'entendre. On rigole des mêmes obscénités. On se montre des photos de gosses. On joue aux cartes. Mais il circule là-dessous une haine patiente, attentive, subtile, méticuleuse. Une âcre méchanceté de bureaucrate ou de vieille dame. De jour en jour on aiguise, on recuit, on perfectionne ses griefs et ses répulsions. C'est forcé. C'est à cause de cette misère à odeur de latrines où l'on est barattés tous ensemble, crève-la-faim et crève-l'ennui. On en veut aux autres d'être toujours là. On leur en veut des gueules qu'ils ont, de leurs voix, de leurs goûts et de leur dégoûts, de la place qu'ils tiennent, de dire ce qu'ils disent, de chanter ce qu'ils chantent, de Nietzsche, de la p'tite Amélie, de renifler, de roter, d'exister. On leur en veut de cette existence immuable, inévitable, où se déchire notre existence. Et à tout moment les antipathies crèvent en disputes extravagantes. On ne sait même pas pourquoi.
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On a une trop longue habitude de la soumission. On a tant obéi pendant des siècles, tant accumulé de fatigue, on s'est tellement usé à des tâches misérables, tellement accoutumé à l'étroitesse, à la sévérité, à la grisaille de la vie, qu'on finit par se satisfaire de ce qu'on est et de ce qu'on a. Cet ordre qu'il faudrait changer est si lourd et si ancien qu'on perd courage. Il n'y a qu'à rester à sa place. C'est déjà bien beau d'avoir ça. Une petite place à soi, avec du travail à faire, du pain assuré. On sait qu'on ne pourra pas s'en sortir. On n'en a même plus envie. On se trouve bien là. On s'y trouve heureux. On y sauve même une espèce d'orgueil.
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Ils en sont partisans, eux, de la mystique du travail. Et de la fierté artisane.
Et de l'ouvrage bien faîte.
On serait rudement tranquilles si la joie de travailler suffisait comme salaire aux hommes du travail.
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On a une trop longue habitude de la soumission. On a tant obéi pendant des siècles, tant accumulé de fatigue, on s'est tellement usé à des tâches misérables, tellement accoutumé à l'étroitesse, à la sévérité, à la grisaille de la vie, qu'on finit par se satisfaire de ce qu'on est et de ce qu'on a. Cet ordre qu'il faudrait changer est si lourd et si ancien qu'on perd courage. Il n'y a qu'à rester à sa place. C'est déjà bien beau d'avoir ça. Une petite place à soi, avec du travail à faire, du pain assuré. On sait qu'on ne pourrait s'en sortir. On n'en a même plus envie. On se trouve bien là. On s'y trouve heureux. On y sauve même une espèce d'orgueil.
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C'est depuis le Monument aux Morts que je sais que je chante faux. On ne s'en était pas aperçu, parce que je ne chante jamais. Ou alors quand je suis seul.
Mais il y avait ce monument aux morts à inaugurer.
Tout le monde avait son rôle. Les conseillers municipaux, les agents de police.
Les sociétés savantes.
Les fils des morts, les femmes des morts, les pères et mères des morts.
Il n'y avait que les morts qui n'eussent pas de rôle, comme leur nom l'implique .
Il était d'ailleurs superflu de penser aux morts: le monument était Là Pour Ça!
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Parce que votre existence a été éventrée, retournée par l'événement, vous imaginez vaguement que vous aviez droit à du neuf, que vous alliez repartir à zéro. Pas du tout, ça se recolle, ça se retape, c'est comme avant. On ne part pas, on continue. On recommence. On remet ça. On remet sa vieille veste, on remet sa vieille. La vie se remet à couler dans ces vieilles petites rigoles. Comme s'il n'y avait rien eu. On a retrouvé sa place. Ma place de passant parmi les passants, ma place dans de la rue, d'homme dans le métro.
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J'ai un peu fait la guerre, comme tout le monde.J'ai passé une heure ou deux étendu dans l'herbe à plat ventre, au bord d'une rivière, à tirer des coups de fusil.Je suppose qu'on appelle cela se battre.Je me suis donc battu, au printemps de l'an 40. Depuis longtemps, je me disais que cette chose- là finirait par arriver.Rien que d'y penser me faisait froid aux tripes. Je manque de dispositions pour la bagarre. Plutôt pétochard, pour tout dire. Le métier des armes, c'est bon pour les baroudeurs, les sabreurs, les gars qui en veulent, qui en redemandent, les intrépides, les impavides, les types qui ont du coeur et des couilles.Chacun ses plaisirs. Qu'ils s'en mettent jusque-là, de l'héroïsme, les mâles à gueule vache et à cuir dur.C'est leur affaire.Je cède ma part.( p.156)
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J'écris son nom, Gokelaere, comme on écrit un nom sur une croix. Mais personne ne lit les noms sur les croix. Et il n'y a même pas de croix. Il n'y a rien.
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-Comme à l'heure de notre mort , répète docilement Madeleine.
A l'heure de notre mort....Qui viendra après toutes ces heures de notre vie qu'on aura passées à récurer les casseroles, à copier des factures, à élever des enfants pour les casseroles et les factures....Ces heures de notre vie dont nous n'avons pas fait grand-chose, et voilà qu'elle se râpe, notre vie, et s'use, qu'elle s'effiloche comme une veste de bureaucrate.On s'est frotté à tant de gens.On a été mouillé par tant de pluies.Il en tombe, de la pluie, sur une vie d'homme.Sur nos vies à nous autres, le petit monde, monde des petits maux et de vie vivotante.
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Les vacances, c'est un mauvais moment à passer.Un dimanche qui durerait des semaines.
Ma rancune contre les vacances remonte aux étés de mon enfance.Chaque année, nous passions le mois d'août à la mer.
Papa y tenait: pour la santé des petits, disait-il.
Il s'en fichait bien, de notre santé. (...)
La vérité, c'est qu'aller à la mer constituait encore une distinction sociale, un privilège des élites. ( p.33)
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Page 30

Tant pis. La littérature française, Dieu merci, peut se passer de mes services. Elle ne manque pas de bras, la littérature française, ça fait plaisir. Elle ne manque pas de mains. On en a pour tous les goûts, pour toutes les besognes. On a des anxieux, des maux du siècle, des durs et des mous, des bien fringués, des chefs de rayon. On a les officiels en jaquette, pour centenaires et inaugurations de bustes. On a les anarchistes qui portent un pull-over jonquille et qui sont saouls à onze heures du matin. Ceux qui sont au courant de l’imparfait du subjonctif, ceux qui écrivent merde, ceux qui ont un message à délivrer et ceux qui sont les gardiens de la tradition nationale. Les facteurs, les gendarmes. Ceux qui me font penser à mon cousin Virgile qui n’était bon à rien : alors il s’est engagé et puis il est devenu sous-officier — voilà où ça mène de s’engager. Les littérateurs engagés, les littérateurs encagés. Il y a ceux à qui le noir va bien, et ceux qui préfèrent le rose, et ceux qui aiment mieux le tricolore. Ceux qui ont le cœur sur la plume. Et les psychologues, et les pédérastes, et les humanistes, et les attendris, et les enfants du peuple à qui ça fait mal au cœur de posséder tant de culture à eux tout seuls, et les moralistes nietzschéens qui ont été élevés dans une institution de Neuilly. On a de tout, on n’en finit pas. On a ceux qui giflent les morts et qui conchient l’armée française, et puis qui se rangent, qui ne plaisantent pas avec la consigne. Les travailleurs de choc qui vous édifient des trente volumes de roman, et toute l’époque est dedans, il y a des tables et des index méthodiques pour qu’on s’y retrouve. Ceux qui font des conférences dans les provinces, avec trois anecdotes et un couplet moral planté dessus comme une mariée en plâtre sur un gâteau de mariage. Et les petits jeunes gens qui parlent tout le temps de leur génération. Et s’ils racontent en deux cent vingt pages qu’ils ont fait un enfant à la bonne de leur mère, cela devient le drame d’une génération.

D’abord, quand on parle de l’esprit d’une génération, je rigole. Voyez-les se tortiller dans leur pull-over, les petits gars. Écoutez-moi ça. On n’est pas comme nos vieux, nous autres. Nous, on est une génération désarmée, désaxée, etc. J’ai lu cela cent fois. Ou le contraire : nous, qui sommes épris de santé, d’énergie, de simplicité, etc. À présent, ils citent Kafka, ou Sartre. De mon temps, c’était plutôt Freud, ou Gide, ou Rimbaud. Les générations ont besoin de noms propres.

Moi aussi, j’aurais des noms propres à citer. Ceux de Barche, de Craquelou, de Ravenel ou de Pignochet. Des hommes de mon âge, des hommes de ma génération. Eux, ils ne faisaient pas de livres, et on ne parle d’eux dans les livres. C’était des remueurs de terre ou de ciment. Nous avons été mobilisés ensemble : bonne occasion d’éprouver ce qu’est au vrai une génération. La guerre se charge de les rassembler et de les séparer, les générations. Les bureaux de recrutement vous disposent les hommes en couches aussi distinctes que des stratifications géologiques. Untel classe tant. Au moins, c’était clair. Chacun à sa place, dans une couche d’hommes nés à peu près en même temps que lui. La voilà, sa génération. Présente, pesante, concrète. Pendant des mois, j’ai pu l’observer, dans ces mous villages du Nord, ma génération.
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Rien ne se passe jamais comme on croit. (...) J'avais attendu, je ne sais pas, une espèce de scène de théâtre probablement. Au théâtre, on dit juste ce qu'il faut dire, on fait juste ce qu'il faut faire. Alors que dans la vie, on parle à côté, on agit tout de travers, et il y a toujours des détails qui ne vont pas, des fausses notes.
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Gardiens, gardés, tous pareils. Tous pris dans la même inconcevable mécanique. Nous, on était au plus bas, voilà tout. Au fond. Au-dessous de tout. Là où il n'y a plus de problèmes – enfin rien que d'infimes problèmes d'esclave, comme de trouver un peu d'eau ou de voler des patates, ou de rafistoler ses souliers à l'aide d'un bout de ficelle. Oui, au-dessous de tout...
C'est cela que je traîne avec moi. Rien que des souvenirs de peur, d'humiliation, de dépossession de soi. Expérience d'où naissent des certitudes rugueuses. On en vient à ne plus concevoir l'homme que soumis, aplati, écrasé. Et on essaye même plus de comprendre. On se tasse dans un coin. Sagesse de pauvre, banal et vieille comme la peur et la mort. Je ne suis pas un philosophe, moi. Un de ses penseurs à grosse tête. Les philosophes, il leur suffit de presser doucement sur un mot – sur le mot /existence/ par exemple (j'existe : qu'est-ce que cela signifie : j'existe?), et voilà, ça y est, la méditation se met à sortir et à s'étaler comme un pâte dentifrice. Égale, onctueuse, inépuisable. Je n'ai jamais été fort à ces jeux. Pas compliquées, mes idées sur l'existence ; et l'existence s'est chargé de les simplifier encore. Des circonstance comme la guerre, la captivité, ça ronge les mots et les fables dont on voudrait se masquer les réalités de sa condition. A la fin, il ne reste pas grand chose – cette amertume sommaire, cette passivité.
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L'aventure individuelle et l'aventure collective sont soumises à des transpositions, à des dissociations et à des éparpillements infinis. Voix sans corps, corps sans épaisseur et sans poids, visages sans dimensions, existences sans dates. Une vie, la vie, c'est devenu des signes sur du papier, des sillons sur la cire, du noir et du blanc sur dix mille écrans, des mots tombant en pluie sur cinquante millions de demeures. Notre destin de chair est absorbé par notre destin d'ombre.
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Et il se trouvera des gens pour prétendre que ces années de captivité furent un temps de recueillement. Ce temps où l'on est livré aux autres. Condamné aux autres. Condamné à Vignoche et à Pochon. Envahi par les autres au point de ne savoir plus ce qu'on est, ni si on est encore quelque chose. De l'homme partout. Le frôlement, le frottement continuel de l'homme contre l'homme. Les fesses des autres contre mes fesses. Les chansons des autres dans ma cervelle. L'odeur des autres dans mon odeur. C'est de cela que nous sommes captifs, plus que des sentinelles et des fils barbelés. Captifs des captifs – des autres.
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- Une scène à utiliser pour le Wagon à vaches. Un aspect de la souffrance effarée des vivants enfouis dans l'opacité de l'existence. avec leur tendresse, leur détresse, leur colère. leur ridicule bonne volonté, leur impuissance déchirante. Je sais des choses là-dessus. Celles que n'importe qui apprend n'importe où - sur les bancs, dans la paille des cantonnements, parmi les meubles des chambres meublées... Voilà une bonne quarantaine d'années que je m'instruis. Quarante ans je devrais être depuis longtemps ce qu'on appelle un homme fait. Drôle d'expression fait. Comme un rat. On le dit aussi pour les fromages. Gras, mous, pourris, coulants Je ne suis pas encore à point, mais cela ne saurait tarder.
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La pauvreté, ce n'est pas la privation. La pauvreté, c'est de n'être jamais seul. Je me rends compte maintenant que je suis de l'autre côté. Le pauvre n'a pas droit à la solitude. Il crève avec les autres à l'hôpital. Entre la crèche et l'hospice il y a les garderies et les asiles, les taudis et les casernes. Sa vie, de bout en bout, il lui faut la vivre en commun. On joue dans le sable public des squares et sur le trottoir de tout le monde. On couche à dix dans la même pièce. On se heurte dans les escaliers et les couloirs. Et c'est plein de murs, d'escaliers et de couloirs, la pauvreté. Les portes ferment mal. Les murs ne séparent pas. N'importe qui peut entrer chez les autres pour emprunter cent sous, pour rapporter une casserole, ou simplement s'asseoir les mains aux genoux et raconter sa peine. Et on ne sait même pas où cela commence et où cela finit, "chez les autres".
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L’Histoire apparaît enfin dans sa gratuité absolue, dans son inconcevable cruauté. On peut se défendre avec des mots, avec des théories. Mais c’est tricher. Beuret triche, quand il parle du sens de la vie. Ça n’a pas de sens, le sens de la vie. Je ne veux pas tricher. Je ne veux pas expliquer. J’ai fait ça toute ma vie. J’en ai assez. Je ne veux plus me défendre contre cette évidence déchirante de l’absurdité. On a construit aussi des philosophies là-dessus. Je sais. Mais j’en ai assez des philosophies. L’absurdité, ça ne se démontre pas, ça ne se raisonne pas, ça ne sert pas à faire des conférences ou des articles dans les revues. On l’éprouve dans tout son être. C’est une révélation vivante qui, à de certains moments intenses, emporte tout.
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