Citations de Gérard Streiff (54)
Des civils, des Maghrébins, en file indienne, gravissent l’escalier. Ils sont frappés, méthodiquement, les flics visent la tête, ils tapent pour tuer. Au sommet, ils précipitent les suppliciés dans le vide. Les corps virevoltent et s’écrasent sur la surface de l’eau dans un claquement sec.
Ce bruit réveille Chloé Bourgeade.
L’escalier de pierre donne sur le vide. On devine en aplomb une étendue d’eau noire. De part et d’autre de la volée de marches se tiennent des policiers, leurs visages disparaissent sous un large casque et d’énormes lunettes de motocycliste. Ils portent un manteau de cuir tombant sur de hautes bottes, brandissent des matraques. Des civils, des Maghrébins, en file indienne, gravissent l’escalier. Ils sont frappés, méthodiquement, les flics visent la tête, ils tapent pour tuer.
Il n’y a pas de mot pour dire cette affliction. Je veux dire, ce mot n’existe vraiment pas. Une veuve ou un orphelin, on sait ce que c’est, mais moi, sans ma Belette accrochée à mon cou, sans Zora, qu’est-ce que je suis ?
Chloé, songeuse, ferme son écran. Drôle d’histoire, décidément, drôle d’enquête : un bonze l’épie, un corbeau lui distille des informations (merci), un flic boit la tasse, un autre s’enflamme. Elle ne comprend pas bien le mode d’emploi. Et elle a horreur de ne pas comprendre.
les tortionnaires jetèrent des dizaines de leurs victimes dans la Seine qui coule à quelques mètres. (…) M. Papon, préfet de police, et M. Leglay, de la police municipale, assistaient à ces horribles scènes
(Le quartier de la goutte d'or)
Le quartier est en plein chambardement, pris d'une furie de rénovations. Il y a des travaux partout.
C'est plutôt bien, non, tous ces chantiers ? Se félicite la privée. Ça va redonner sa dignité à un quartier pauvre.
Ou préparer le retour des riches dans le centre ? C'est pas ça, le grand remplacement ?
(La manif du 17 octobre 1961)
Il y eut ce jour là au moins 30 000 manifestants, 10 000 emprisonnés, presque autant de blessés, plus de 200 morts ! Tous Algériens. Et cette boucherie, en plein Paris, tout le monde, ou presque, l'a effacée.
En 1994, année du cinquantenaire de la Libération, se tient à Paris un défilé assez particulier. Les autorités françaises en effet ont tenu à y associer la partie allemande. [...] Un symbole fort de réconciliation et d'entente.
Ce jour-là, Hans Heisel aurait bien voulu être de la fête, il aurait aimé participer à la délégation venue de Berlin. N'avait-il pas oeuvré, à sa manière, avec courage et efficacité à la fin du nazisme ? N'était-il pas un pionnier d'une vraie concorde franco-allemande ? Pourtant, le chancelier Kohl s'opposa à sa présence. Pas question de reconnaître un Allemand passé à la Résistance, un "traître", un "déserteur", un "renégat" ! Hans Heisel avait commis la faute de désobéir. Il s'était opposé à l'ordre en place, nazi en l'occurrence. Il avait eu le courage de dire non. Il fallait le lui faire payer. Et l'ordre était sauf. (p.91)
Hans Heisel change. Sa façon de regarder les "siens", ses chefs singulièrement, sa manière de les écouter parler devient de plus en plus critique ; de plus en plus souvent, maintenant, leurs remarques le troublent, l'indisposent. (p.25)
HISTOIRE SANS PAROLES :
Le 28 janvier 1946, lors de la 44e journée du Procès contre 24 des principaux responsables nazis, une belle jeune femme française de 33 ans, résistante et rescapée des camps de la mort, avant de se rendre à la barre des témoins se dirige vers le banc des accusés et dévisage, dans un silence absolu, un à un, les 24 monstres.
Cette première femme à témoigner à ce procès pour crimes contre l’humanité s’’appelait Marte-Claude Vaillant-Couturier (1912-1996).
(Adaption libre de l’introduction du livre)
¬Pardonnez moi l'expression, cher docteur, mais la cerise sur le gâteau, comme on dit ici, c'est le Montrachet. Un Blanc. Pour finir en beauté. » L'Américain avait appris jadis une expression bien française sur le mélange des vins. Le blanc et le rouge, le blanc avant les rouges. Mais c'était à présent trop embrouillé dans sa tête. Il ne retrouvait plus la formule. Il se mit à rire.
Un jour, sans doute, cet homme eut peur. De ne pas s’y retrouver. À force de brouiller les pistes, qui était-il au juste ? où était la personnalité de ce sectaire libéral, de cet outrancier travaillé par le doute, de ce russophone qui rêvait d’être américaniste ? un simple « reflet » comme il l’écrit, un effet de mode, de tendance, de courant, une opportunité ?
S’est-il dit qu’il était au fond travaillé par de naturelles contradictions, qu’ainsi était l’humaine condition, qu’il changeait sans changer, qu’il épousa certes mille combats qui le constituèrent mais que, dans cette affaire, il ne fut pas qu’un buvard, il imprima sa marque, il manifesta sa personnalité dans ce qu’elle a de plus intime, la passion, l’égale passion qui le porta toute sa vie ; il ne fut pas que porte-voix, il donna à son discours, amoureux ou politique, son irréductible accent.
Sans doute s’est-il dit tout cela ; il dut penser que cela se tenait, mais que cela ne faisait pas le compte non plus. Il restait une part de mystère, d’incohérence, d’inexploré, d’inexplicable. Comme dans ces mosaïques antiques, laborieusement reconstituées, il peut manquer des pièces, perdues, et ces vides empêcheront à jamais de parfaire le puzzle.
L'homme intrigue pareillement Washington : un fonds d'archives intitulé "Opération Aquarium" montre comment la CIA, espionnant alors le siège du PCF, l'immeuble de la Place du colonel Fabien, est alors tout particulièrement intéressée par le personnage de Kanapa. La centrale américaine demandait à ses agents le maximum d'informations sur son aspect physique, avec l'idée de fabriquer un sosie. Elle comptait utiliser ce doublon pour fouiller son appartement privé.
Au total, sur cette période [avril à novembre 1963], Kanapa consacre une demi-douzaine de papiers à la déstalinisation. Cela représente un dixième de ses correspondances ; c'est peu mais si l'on considère le chemin qu'il vient de parcourir, si l'on mesure les réticences qu'il peut rencontrer à la rédaction de L'Humanité, le choc que cela représente pour le lectorat du journal, le caractère inédit de ces critiques pour le parti de Thorez, ce n'est pas négligeable.
Tout indique que, de l'été 1963 à l'été 1964, Kanapa prend mieux la mesure de l'ampleur de la répression stalinienne. Cette question l'occupe, le préoccupe, beaucoup. D'ailleurs il conservera chez lui, jusqu'à sa mort, quantité d'extraits de presse soviétique à ce sujet. Non seulement il évalue mieux le poids de la répression mais il commence à déceler différentes facettes du stalinisme (collectivisation, incompétence, mythologie).
"J'ai été rédacteur en chef de La Nouvelle Critique pendant dix ans, les dix premières années [1947-1957]. Et pendant pas dix ans mais au moins cinq ou six, j'ai réécrit tous les articles que les camarades donnaient à la revue. Non pas pour des raisons de style mais pour des raisons de fond, pour des raisons que je croyais justes. Je corrigeais ce qu'ils écrivaient, d'une part ; d'autre part, sans leur demander leur avis. Troisièmement, en essayant même le plus souvent de les mettre devant le fait accompli, pour être sûr qu'ils ne protesteraient pas. Quatrièmement, et cela fait partie de cette période, ils ne protestaient généralement pas. Il ne leur venait pas à l'idée de protester. [...] Et bien, pour moi, le stalinisme c'est ça, c'est la substitution du commandement à la conviction, c'est le remplacement de l'adhésion des masses par le commandement des masses."
[Kanapa, en 1968]
Arthur Kriegel raconte cette anecdote qui situe assez bien Kanapa en 1956 : "On n'est pas venu au communisme pour pratiquer ce terrorisme (stalinien)" dit le premier. "Parle pour toi" lui répond Kanapa.
Le polar ? Bof. Je suis du métier, pourtant, mais c’est bien simple, je n’en lis jamais. Vous savez d’ailleurs ce qu’en disait Paul Claudel : Le roman policier s’adresse aux couches les plus basses de la société. Je suis assez d’accord.
Pauvre Claudel. Remarquez, il en connait un brin en polar avec ce qu’il a fait subir à sa pauvre sœur Camille. Mais passons. Citation pour citation, je préfère celle de Cavanna : J’aime le polar parce que j’aime le roman et que le vrai roman ne se trouve plus guère que dans le polar.
Les Américains voudraient aimer plus la France.
Et qu’est-ce qui les empêche ?
C’est que les Français ne sont pas assez américains.
Tout semble artificiel. Ambagitus,toujours en tête,a déjà traversé la plus grande partie de la prairie et se trouve légèrement à l'avant de sa troupe.Soudain,il s'effondre au moment même ou, à l'orée du bois,comme surgi de l'enfer,un mur d'archers se dresse devant la colonne.l'effet de surprise est total.
Au plan politique, il [Ben Bella] manifeste son autorité. Certains parlent déjà d’autoritarisme. Ici ou là, on se méfie du culte de la personnalité. Sur les murs apparaît le slogan : Un seul héros, le peuple !