La nostalgie, camarades !
Bon, en fait, n'ayant pas la chance d'avoir eu des parents communistes, ce livre fut pour moi une plongée dans un univers que je soupçonnais riche mais sans réellement le connaitre. L'occasion d'une Masse Critique fit le larron, et je remercie Babelio et les éditions La Déviation.
Visiblement, l'auteur a fait ces derniers temps une fixette sur le personnage : une thèse, publiée, dont il a également extrait un premier essai et enfin ce livre. Normal aussi :
Jean Kanapa fut son mentor au PCF où il le recruta, jeune homme, pour la section politique extérieure (la Polex) qu'il dirigeait alors.
L'objet du livre est donc de rendre justice à
Jean Kanapa, personnage qui a suscité des inimitiés tenaces et des formules assassines, en le montrant sous ses divers jours.
Etait-il ce stalinien intransigeant, se fâchant avec quasiment tous ses amis au gré des dissensions idéologiques ?
Etait-il ce « crétin » ainsi désigné par
Jean-Paul Sartre, qui fut son professeur de lycée, son premier mentor dans le Paris germanopratin d'après-guerre puis son ennemi de classe ? Kanapa avait ainsi publié un essai « L'existentialisme n'est pas un humanisme », ce qui prouve au moins qu'il ne manquait pas d'humour. Mais le qualificatif lui resta collé à la peau, jusqu'à la une de Libération à l'annonce de son décès.
Etait-il enfin cet apparatchik « courtisan » (autre qualificatif qui lui fut attribué), dont les proximités successives avec les premiers secrétaires Thorez, Waldeck-Rochet et Marchais lui valurent de finir au Bureau Politique, malgré la défiance durable de Jeanette Thorez-Vermeersch et Jacques Duclos.
Probablement oui, mais pas que.
Il fut d'abord le fils d'un banquier, et la révolte contre le petit monde bourgeois dont il était issu le mena vers les communistes, aidé en cela par leur action dans la résistance. Il fut aussi un romancier prometteur, qui se contraria lui-même pour se consacrer à l'action et la réflexion politiques. Il fut un père absent (pour l'enfant de son premier lit) puis un père aimant et attentif (pour les filles de son deuxième lit). Il fut un doctrinaire aux ordres, donc, sans états d'âme apparents, mais fut aussi profondément ému par le roman le Monument d'
Elsa Triolet dénonçant la soumission de l'art au parti.
Il fut un peu aventurier aussi, n'hésitant pas à aller vivre d'abord à Prague, pour les besoins de la Nouvelle Revue Internationale, une émanation de la volonté de raviver une internationale communiste à la fin des années 50 et dans les années 60. Où apparemment, même les représentants Russes le craignaient, du fait de son intelligence, de sa puissance de travail et de sa pugnacité. Puis à Moscou, correspondant pour L'Humanité pendant la fin de l'ère Khrouchtchev, en pleine déstalinisation donc, et au tout début de la glaciation Brejnevienne. D'où il partit en laissant une ex-femme est deux filles. A La Havane, enfin, pour y ouvrir un bureau de correspondant de L'Humanité.
Il fut surtout un acteur discret des évolutions du PCF pendant les décennies 60 et 70 : la déstalinisation, l'abandon des diktats dans le champ artistique, l'euro-communisme (un peu avorté côté PCF), la fin de la « dictature du prolétariat », l'union de la gauche… Discret parce qu'il avançait éventuellement plus vite que ce que le Bureau Politique ou les Fédérations étaient prêts à communiquer largement aux militants. Restant alors toujours fidèle en public à la ligne fixée par la direction du PCF et s'efforçant probablement de s'y conformer aussi en privé.
Bref un homme bien plus complexe que son apparence le laisse supposer. Et contrairement à la terrible « on ne peut pas être à la fois communiste, intelligent et honnête » de
Raymond Aron, il semble qu'il ait réussi à concilier son intelligence et son érudition manifestes avec une honnêteté sans faille dans son adhésion fidèle à l'idéal communiste. Même si cette dernière, du fait des louvoiements de la doctrine officielle, impose parfois de faire fi des envies intellectuelles ou des sentiments. Droit dans ses bottes de partisan mais bien moins « crétin » que l'image qu'il donnait ou qu'on a voulu lui donner.
Juste un point : sur l'union de la gauche, il s'est quand même autant que ses camarades fait rouler dans la farine par Mitterand et on peut donc, vu son rôle prééminent, le rendre en grande partie responsable du déclin du PCF qui suivit à partir de la seconde moitié des années 70. Mais l'auteur ne s'y attarde pas.
Et le livre alors ?
Bien qu'il soit court et très facile à lire, il est passionnant. Je ne savais quasiment rien de tout ce que je raconte au-dessus, c'est dire s'il est dense. Mais sans être pesant, parce que si plaisamment écrit. C'est vraiment une introduction attrayante à la grande aventure des idées dans le PCF des années 50 à 78, date de la disparition prématurée du grand fumeur Kanapa.