Citations de Gil Courtemanche (100)
Crier tout ce qu'il avait vu, connu, appris, mais qu'il n'avait dit qu'à moitié parce qu'il adhérait au langage virtuel du journalisme, qui fait d'un premier ministre menteur un homme qui évolue, et d'un requin de la finance un homme d'affaires rusé.
Tu as raison, le silence est effrayant car dans le silence, on ne peut mentir.
- Tu vois, chaque pays possède une couleur, une odeur et aussi une maladie contagieuse. Chez moi, la maladie, c'est la complaisance. En France, c'est la suffisance et aux États-Unis, l'ignorance.
- Et au Rwanda?
- Le pouvoir facile et l'impunité. Ici, c'est le désordre absolu. À celui qui a un peu d'argent ou de pouvoir, tout ce qui semble interdit ailleurs apparaît comme permis et possible. Il suffit d'oser. Celui qui, chez moi, n'est qu'un menteur peut devenir ici fraudeur, celui qui n'est qu'un fraudeur se transforme en grand voleur. Le chaos et surtout la pauvreté lui donnent des pouvoirs qu'il ne possédait pas.
Cardinal travaillait pour la dignité des hommes, pour le partage de la richesse du sol, pour la tolérance. Aux yeux de la loi qui gouvernait ce pays, cela constituait trois chefs d'accusation qui méritaient la peine de mort.
Mais, le plus terrible, il n'était pas encore installé dans son premier poste à l'étranger, qu'il craignait déjà d'être rappelé à Ottawa et confiné dans les renseignements consulaires ou dans la section Mongolie, avant même d'avoir pu jouir de sa première villa, de son premier jardinier, de sa première cuisinière, ce qui constitue aujourd'hui, à défaut de pouvoir influencer le cours de l'histoire, le principal plaisir du diplomate représentant un pays comme le Canada au Rwanda.
Valcourt se sentait porté par un de ces manèges monstrueux qu'on trouve dans les grands parcs d'attractions et qui procurent presque simultanément la terreur et l'extase, la peur de mourir et la sensation de vivre intensément sans trop savoir comment départager ces sentiments les uns des autres.
Le général avait pris toutes les mesures pour justifier autant sa passivité actuelle que son impuissance future.
Il faut dix mille morts africaines pour faire sourciller un Blanc, même s'il est progressiste.
Dans les desseins des grandes puissances, ces gens étaient une quantité négligeable, hommes hors de l'humanité réelle, ces pauvres et inutiles Rwandais que le monarque moderne de la grande civilisation française acceptait de regarder mourir pour ne pas mettre en péril la présence civilisatrice de la France en Afrique, menacée par un grand complot anglophone.
Ce pays était destiné, croyait-il, à disparaître. Que ce soit la machette ou la queue infectée qui fasse le travail, quelle différence? Oui, il y en avait une, la queue était plus douce que la machette.
La tristesse de vivre, cette maladie dont souffrent seulement ceux qui ont le luxe d'avoir le temps de se pencher sur eux-mêmes, le rongeait.
Et puis mourir à trente-deux ans ou à quarante massacré par des soldats ivres, ou à quarante-deux ans de la malaria ou à cinquante-cinq ans, comme elle, de lassitude et de tristesse... Quelle différence?
Le matin, la vie s'éveille comme si une ville entière sortait du coma, étonnée d'être vivante tout en comptant ses morts. Beaucoup de gens dans ces pays ont la politesse ou la discrétion de mourir durant la nuit, comme s'ils ne voulaient pas déranger les vivants.
Spectateur intéressé mais distant. C'est ainsi que les Blancs de l'hôtel, petits dieux instantanés, entendent et devinent l'Afrique. D'assez près pour en parler et même écrire à son sujet. Mais en même temps, si isolés dans leurs ordinateurs portatifs, leurs Toyota climatisées et leurs chambres aseptisées, si entourés de petits Noirs en cure de blanchiment, qu'ils croient noire l'odeur des pommades bon marché et des parfums de la boutique hors taxe de Nairobi.
(...) le développement, mot magique qui habille noblement les meilleures ou les plus inutiles intentions.
J'ai le corps long des Tutsis et la détermination paysanne des Hutus. Je me regarde et je sais que je fais un heureux mélange. Et si tous les sangs qui s'entrecroisent dans mes veines ne me font pas de maladies, c'est peut-être qu'ils peuvent s'entendre.
Régulièrement, il faut qu'ils s'entre-tuent. C'est comme le cycle menstruel, de grandes coulées de sang, puis tout revient à la normale.
A une dizaine de mètres, quatre jeunes miliciens portant la casquette du parti du président faisaient des moulinets avec leur machette. La joyeuse et bruyante anarchie du marché s'était éteinte, comme dans une forêt soudain se taisent les oiseaux quand les prédateurs s'y glissent.
De plus en plus, à Kigali et encore en province, la vie ne tenait qu'à un mot, à un caprice, à un désir, à un nez trop fin ou à une jambe trop longue.
Le fonctionnaire lui expliqua que le Canada, pays sans importance dans le concert des nations, exerçait néanmoins dans certaines régions du monde une influence qui pouvait en déterminer l'avenir et surtout l'accès à la démocratie. C'était le cas du Rwanda. Le gouvernement canadien avait accepté d'y financer avec quelques autres partenaires l'établissement d'une télévision dont la première mission serait éducative, en particulier dans les domaines de la santé communautaire et du sida.
- On commence par les besoins hygiéniques, par des émissions sur la prévention, sur les régimes alimentaires, puis l'information circule, et l'information, c'est le début de la démocratie et de la tolérance.